L'Encyclopédie sur la mort


Coriolan

Plutarque

«..si l'histoire est bien au coeur des Vies parallèles, le but recherché par Plutarque n'était pas [...] de faire oeuvre d'historien, mais d'offrir à ses contemporains, à cette élite cultivée du monde romain, des modèles de «vertu». D'où l'importance accordée à ces comportements révélateurs du caractère de ses héros.» (Claude Mossé, «Introduction», Plutarque, Les vies parallèles Alcibiade- Coriolan, Paris, Les Belles Lettres, 1999, p. XIII). Dans les Vies parallèles, Plutarque essaie d'établir des parallèles entre deux héros, l'un étant Romain et l'autre Grec. S'appuyant sur des sources historiques disponibles, il raconte la vie de chacun et, en guise de conclusion, il compare leurs bons et leurs mauvais points. Le couple Alcibiade-Coriolan n'est pas un modèle de vertu: deux traîtres, deux hommes qui se plaçaient au service de l'ennemi. La figure de Marcius, appelé Coriolan grâce à sa victoire sur la cité de Corioles, son courage et sa fermeté, ses conflits internes et le rôle de médiation exercé par sa femme et sa mère ont inspiré Shakespeare*, Collin et Beethoven.
Histoire France33.3 [Valérie] se leva, fit lever toutes toutes les autres et se rendit à la maison de Volumnie, mère de Marcius. 4 Elle entra et la trouva assise avec sa belle-fille et tenant sur ses genoux les enfants de Marcius. Elle fit ranger les femmes autour d'elle et dit: 5«Volumnie, et toi, Vergilie, femmes nous-mêmes, nous nous adressons à des femmes [...] Allons! Venez avec nous trouver Marcius, joignez-vous à nos supplications et rendez à la patrie ce véridique et juste témoignage que, malgré tous les maux qu'il lui a causés, elle n'a pris ni décidé par colère aucune mesure de rigueur à votre égard [...]

7 Les autres femmes applaudirent à ce discours de Valérie. Volumnie répondit: «Non seulement, femmes, nous prenons la même part que vous aux calamités publiques, mais nous avons encore ce malheur particulier d'avoir perdu la gloire et la vertu de Marcius et de le voir lui-même prisonnier des armes ennemies plutôt que sauvé par elles [...] 10 Néanmoins prenez-nous, usez de nous et conduisez-nous auprès de lui. Si nous ne gagnons rien, nous pouvons du moins rendre notre dernier souffle en le suppliant pour notre patrie.»

34, 1 Là-dessus, elle fit lever les enfants et Vergile et se rendit avec les autres femmes au camps des Volsques. 2 Leur vue et leur aspect pitoyable imposèrent le respect et le silence même aux ennemis. Il se trouva que Marcius était assis sur son tribunal et entouré de ses officiers. 3 En voyant ces femmes s'approcher, il fut d'abord frappé de stupeur, puis, ayant reconnu sa mère, qui marchait la première, il voulut d'abord persister dans sa décision inflexible et implacable; mais, vaincu par l'émotion et profondément bouleversé à ce spectacle, il ne put se résoudre à rester assis à son approche; il descendit précipitamment, et, courant au-devant d'elle, il la salua la première et la tint très longuement embrassée; puis il embrassa sa femme et ses enfants; sans plus retenir ses larmes ni ses marques de tendresse, il se laissa emporter par la force de ses sentiments comme un torrent.

35. 1 Quand il vit que sa mère voulait parler, Marcius] écouta Volumnie qui s'exprima ainsi: «Tu vois mon fils même sans que nous le disions, et tu peux juger toi-même à nos habits et à notre mine de malheureuses, à quelle vie ton exil nous a condamnées au logis. [...] 5 [...] Si je ne puis te persuader de rétablir l'amitié et la concorde à la place de la discorde et des maux qu'elle entraîne, et de devenir le bienfaiteur des deux peuples plutôt que le fléau de l'un des deux, alors réfléchis bien et prépare-toi à ceci: tu ne pourras donner l'assaut à ta patrie avant d'avoir passé sur le corps de celle à qui tu dois la vie. 6 Car je ne dois pas attendre le jour où je verrai mon fils traîné captif dans le cortège triomphal de ses concitoyens ou triomphant lui-même de sa patrie. 7 Si je te demandais de sauver ta patrie en perdant les Volsques, ce serait, mon fils, te proposer une alternative pénible et difficile à trancher; car il n'est ni beau de détruire ses concitoyens, ni juste de trahir ceux qui se sont fiés à nous. 8 Mais en réalité, ce que nous demandons, c'est d'être délivrés des maux de la guerre, bienfait qui sera également salutaire aux deux partis, mais plus glorieux et plus beau pour les Volsques, puisqu'on les verra, alors qu'ils sont les plus forts, procurer les plus grands des biens, la paix et l'amitié, dont ils ne jouiront pas moins que nous. En ce cas, c'est toi surtout qui en auras le mérite; sinon, tu porteras la responsabilité du malheur chez les deux peuples. 9 L'issue de la guerre est incertaine; mais ce qui est certain, c'est que, vainqueur, tu seras le mauvais génie de ta patrie, et que, vaincu, tu paraîtras, pour satisfaire ton ressentiment, avoir causé les plus grands maux à des gens qui étaient tes bienfaiteurs et tes amis.»

36. 1 Tant que Volumnie parla, Marcius écouta sans rien répondre. Quand elle eut fini, il garda longtemps le silence. Alors Volumnie, reprenant la parole: 2 «Pourquoi te taire, mon fils? dit-elle. Est-il beau de tout concéder à la colère et à la rancune, et ne l'est-il pas de complaire à ta mère qui te supplie pour de si grands intérêts? [...] 3 [...] Ce serait la plus belle marque de piété que tu m'accordes sans contrainte une requête aussi belle et juste que la mienne. Mais, si je ne te persuade pas, pourquoi m'abstenir de recourir à la dernière chance ?» 4 En disant ces mots, elle se jeta à ses genoux et, avec elle, sa femme et ses enfants. 5 «Que fais-tu là, ma mère?» s'écrie Marcus, et il la relève et lui pressant fortement la main: «Tu as vaincu, dit-il, et ta victoire est heureuse pour ma patrie, mais funeste pour moi. Je vais me retirer, vaincu par toi seule.»

[Il existe plusieurs versions de la mort de Coriolan. Tite-Live (II, 40, 10-11) évoque le témoignage de Fabius selon lequel Coriolan serait mort de vieillesse. D'autres parlent de suicide. Selon Plutarque, «les plus hardis d'entre eux» se jetèrent sur lui «en masse et le tuèrent»]

39. 9 Cependant, la majorité des Volsques n'approuva point le meurtre. Ils le montrèrent en accourant aussitôt de leurs villes pour assister aux obsèques. Ils rendirent en effet à Marcius les honneurs qui lui étaient dus et ornèrent d'armes et de dépouilles son tombeau., comme celui d'un grand héros et d'un grand capitaine.
10 Les Romains, informés de sa mort, ne donnèrent aucun signe d'estime ni de rancune envers lui. Seulement, sur la demande des femmes, ils leur permettent d'en porter le deuil* pendant dix mois, comme elles avaient coutume de le faire chacune pour un père, un fils ou un frère. 11 C'était le terme du plus long deuil, tel qu'il avait été fixé par Numa Pompilius, comme il été dit dans la Vie de celui-ci.

Arts et Lettres
Plutarque, Vie de Coriolan, traduction de Jacques Amyot, 1584.
William Shakespeare, Coriolan, tragédie créée en 1607.
Ludwig van Beethoven, «Coriolan», ouverture symphonique composé (1887) en do mineur op. 62 pour la tragédie de Heinrich Joseph von Collin (1771-1811).

Peintures:
Jean-François de Troy (1679 -1752), «Coriolan devant Rome».
Eustache Le Sueur (1616 -1655). «Volumnie et Véturie devant Coriolan».
Louis Gauffier(1762-1801), «Dames romaines suppliant la famille de Coriolan» («Cornélie, mère des Gracques...» ancien titre), 1792.
Louis Jean François. Lagrenée (1725-1805), «Coriolan chez les Volsques»
Etienne Aubry (1745-1781), «Les adieux de Coriolan à sa femme», 1781.


Image: www, histoire.fr : Eustache Le Sueur (1616 -1655). «Volumnie et Véturie devant Coriolan».
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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