L'Encyclopédie sur la mort


Adolphe et l'idée de la mort

Benjamin Constant

Rendu en Pologne, Adolphe découvrit qu'il s'était rapproché du château d'Ellénore, de dix ans son aînée. Il s'arrêta et prit une autre route retardant l'heure de rencontrer de nouveau Ellénore. Pour Adolphe, la nuit entière s'écoula à parcourir les champs. Il se livre à la pensée de la mort.
De temps en temps, j'apercevais dans quelque habitation éloignée une pâle lumière qui perçait l'obscurité. « Là , me disais-je, là, peut-être quelque infortuné s'agite sous la douleur, ou lutte contre la mort; mystère inexplicable dont une expérience journalière paraît n'avoir pas encore convaincu les hommes; terme assuré qui ne nous console ni ne nous apaise, objet d'une insouciance habituelle et d'un effroi passager! Et moi aussi, poursuivais-je, je me livre à cette inconséquence insensée! Je me révolte contre la vie, comme si la vie devait ne pas finir! Je répands du malheur autour de moi, pour reconquérir quelques années misérables que le temps viendra bientôt m'arracher! Ah! renonçons à ces efforts inutiles; jouissons de voir le temps s'écouler, mes jours se précipiter les uns sur les autres; demeurons immobile, spectateur indifférent d'une existence à demi passée; qu'on s'en empare, qu'on la déchire: on n'en prolongera pas la durée! Vaut-il la peine de la disputer?»

L'idée de la mort a toujours eu sur moi beaucoup d'empire. Dans mes afflictions les plus vives, elle a toujours suffi pour me calmer aussitôt; elle produisit sur mon âme son effet accoutumé; ma disposition pour Ellénore devint moins austère. Toute mon irritation disparut; il ne me restait de l'impression de cette nuit de délire que le sentiment doux et presque tranquille; peut-être la lassitude physique que j'éprouvais contribuait-elle à cette tranquillité.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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