Rachel Carson (1907-1964)

Jacques Dufresne

Elle se distinguait aussi, ce qui n’a rien d’étonnant dans son cas, par une approche globale, holistique du vivant. Le livre commence sur un ton virgilien : elle y présente un paysage américain rappelant l’Arcadie mythique ou le printemps de Méléagre. On assiste ensuite à la mort lente de ce paysage sous l’effet des pesticides chimiques, du DDT en particulier. « Il y avait un étrange silence dans l’air. Les oiseaux par exemple – où étaient-ils passés ? On se le demandait, avec surprise et inquiétude. Ils ne venaient plus picorer dans les cours. Les quelques survivants paraissaient moribonds ; ils tremblaient, sans plus pouvoir voler. Ce fut un printemps sans voix... Les générations à venir nous reprocheront probablement de ne pas nous être souciés davantage du sort futur du monde naturel, duquel dépend toute vie » Édition numérique

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L’industrie chimique a mal réagi évidemment. On a attaqué Rachel Carson, bassement parfois, sur tous les points où elle paraissait vulnérable, en particulier sur sa méthode basée sur des corrélations statistique semblables à celles qu’on utilise en épidémiologie. Elle n’a heureusement pas commis l’erreur si fréquente depuis de mesurer la gravité des nuisances à l’aune d’une santé conçue comme le minimum de vie qu’il faut posséder pour pouvoir travailler. Son critère est plutôt la vie dans sa plénitude : that which is good ce qui est bon.

EXIGER DE VIVRE PLUTÔT QUE DE SE CONTENTER DE DURER

«Avons-nous donc sombré dans un état d’hypnose qui nous fait considérer comme inévitable ce qui est inférieur ou dégradant, comme si nous avions perdu plus assez de volonté et vision pour exiger ce qui est bon? Cette façon de penser, note l’écologiste Paul Shepard équivaut à réduire l’idéal de vie à un minimum consistant à se tenir la tête hors de l’eau, quelques pouces au-dessus du seuil de tolérance de la corruption de l’environnement. Pourquoi donc devrions-nous tolérer une diète à faible teneur en poisons, une maison dans un quartier insignifiant, un cercle de connaissances qui ne sont pas encore ouvertement nos ennemies, le bruit de moteurs qui nous laisse juste assez de répit pour éviter de devenir fous. Qui voudrait vivre dans un monde dont la seule qualité est de pas être encore mortifère?» Édition numérique, p.11

PRÉFACE DE AL GORE

«Le printemps silencieux fut conçu le jour où Rachel Carson reçut une lettre d’une femme du Massachusetts qui lui disait que le DDT tuait les oiseaux. En 1962, lorsque le livre est paru, le mot « environnement » n’existait tout simplement pas dans le vocabulaire des politiques publiques. Ce livre est arrivé comme un cri dans un désert, mais il a changé le cours de l’histoire. On peut considérer cette parution comme la naissance du mouvement écologiste. L’Agence de protection de l’environnement (EPA) a été créée en 1970, essentiellement grâce à la sensibilisation que Rachel avait fait naître : il y a interconnexion des êtres humains et de l’environnement naturel.

Bien évidemment, le livre et son auteur (biologiste) se sont heurtés à une énorme résistance de la part de ceux à qui la pollution rapporte. Lorsque des extraits ont été publiés dans le New Yorker, le lobby a immédiatement accusé Rachel d’être hystérique et extrémiste. Comme Rachel était une femme, l’essentiel de la critique qui lui fut adressée jouait sur les stéréotypes de son sexe. Si l’on devait s’attendre aux attaques des puissances économiques, il fut en revanche plus surprenant que l’Association médicale américaine prenne fait et cause pour les industries chimiques. Mais après tout, l’homme qui avait découvert les propriétés insecticides du DDT n’avait-il pas été prix Nobel ? Tandis que les ventes de Printemps silencieux dépassaient les 500 000 exemplaires, CBS Reports programmait un reportage en dépit du retrait de ses deux principaux sponsors. Le Président Kennedy constitua un comité pour examiner les conclusions du livre, Rachel avait raison. Deux ans après la parution de son livre, Rachel mourait d’un cancer du sein. Intoxication aux produits chimiques ? Si l’esclavage pouvait être aboli d’un trait de plume, ce n’est malheureusement pas le cas de la pollution chimique. Depuis la publication de Printemps silencieux, l’usage des pesticides dans l’agriculture a doublé, pour atteindre 1,1 milliard de tonnes par an. » Source

L’OBLIGATION DE SUBIR NOUS DONNE LE DROIT DE SAVOIR

«Je ne me bats pas pour que les insecticides chimiques ne soient jamais utilisés. Je conteste le fait qu’on ait mis de puissants poisons sans discrimination entre les mains de personnes ignorant totalement ou partiellement leur pouvoir nocif sur la biologie. Nous avons mis un nombre effarant de gens en contact avec ces poisons sans les consulter et souvent sans même qu’ils les connaissent. Si notre Charte des Droits ne contient aucun article garantissant la protection du citoyen contre des poisons mortels mis en circulation soit par des individus soit par des membres du gouvernement c’est parce que nos prédécesseurs en dépit de leur sagesse et de leur prévoyance ne pouvaient pas concevoir l’existence d’un tel problème.

Plus encore, je conteste le fait qu’on ait autorisé l’utilisation de ces produits chimiques sans une recherche approfondie et continue sur leurs effets sur le sol, l’eau, les animaux sauvages et l’homme lui-même. Et il est probable que les générations à venir nous pardonneront notre insouciance à préserver l’intégrité de l’ensemble de la nature sur qui toute vie repose. Car il existe encore une connaissance très limitée de la nature de la menace. C’est le domaine de spécialistes où chacun d'entre eux ne voit que son propre problème et ne prend pas en compte ou ne se soucie pas du cadre plus large dans lequel il doit s’insérer. C’est aussi un domaine dominé par l’industrie où le droit de faire un dollar à n’importe quel prix n’est jamais contesté.

Quand s’élève une timide protestation du public devant les preuves évidentes des dommages causés par l’épandage des pesticides, on le drogue de demi vérités pour le tranquilliser! Il faut absolument mettre fin à ces fausses assurances à cette façon d’enrober de sucre des faits inavalables. On demande au public d’assumer les risques que calculent ceux qui contrôlent les insectes. C’est au public de décider s’il désire poursuivre le chemin actuel ce qu’il ne peut faire qu’en pleine connaissance des faits. Comme le dit Jean Rostand : «La nécessité d’endurer nous donne le droit de savoir.» Édition numérique, ch.2

 

HOMMAGE DE L’UNESCO EN 2012, 50 ANS APRÈS LA PUBLICATION DU PRINTEMPS SILENCIEUX

Rachel Carson était profondément attachée au monde naturel qui nous entoure. La vie de l’océan et les dangers liés à la pollution chimique sont demeurés au premier plan de ses préoccupations tout au long de sa carrière de biologiste marine. Son travail a jeté les bases du mouvement environnemental moderne. Le Printemps silencieux eu un impact profond au moment de sa parution en 1962, qui résonne encore aujourd’hui. Elle savait aborder les questions techniques dans un style poétique et accessible, touchant ainsi un large public.

Rachel Carson a fait valoir qu’il est plus correct d’appeler les pesticides « biocides » en raison de leurs effets néfastes sur l’environnement, qui se limitent rarement aux espèces nuisibles ciblées. Constatant que l’usage aveugle des pesticides tuait les oiseaux chanteurs, elle s’inspira d’un poème de John Keats —« Et aucun oiseau n’y chante » pour trouver le titre de son livre. Le Printemps silencieux a suscité un tollé général, suivi d’une contre-attaque brutale de l’industrie chimique, souvent teintée de sexisme.
L’héritage de Rachel Carson est multiple. Elle devint une référence internationale pour la popularisation de la science par le biais de sa trilogie de la mer, qui explore la vie marine des profondeurs aux rivages : Under the Sea Wind, Cette mer qui nous entoure et Les Merveilles de la mer et de ses rivages. Le Printemps silencieux a contribué à l’émergence de l’écologisme et à la définition moderne de l’environnementalisme. Rachel Carson sert indéniablement de modèle pour les femmes scientifiques à travers le monde. Source

STOÏQUE

Rachel Carson: Son livre Silent Spring Le printemps silencieux fut, il y aura 50 ans en septembre, un best seller et cette publication vaudra à son auteur une réunion avec les conseillers scientifiques du Président, des interventions devant les membres du Congrès, et de multiples médailles d’honneur. Mais aussi un lot d’invectives de la part de l’industrie produisant les pesticides qu’elle dénonçait. À travers toute cette publicité ses amis et ses proches admirèrent le calme de son visage, la douceur de sa voix, sa courtoisie, l’élégance de ses vêtements et de sa silhouette. Mais diverses photos laissaient transparaître son agacement d’être l’objet d’une telle publicité.

Or, pendant tout ce temps elle eut le courage de cacher les souffrances que lui infligeait un cancer du sein dont les métastases s’étaient répandues dans tout son organisme. Elle a posé ce geste de peur que ses ennemis ne mettent en doute son objectivité scientifique dans ses dénonciations des méfaits des produits chimiques. Et surtout, qu’elle utilise son propre cas pour montrer le rôle que pouvaient jouer ces produits dans l’histoire du cancer humain. Ses écrits intimes révèlent quelles angoissantes souffrances se dissimulaient derrière les belles images publicitaires : métastases dans les os, brûlures des radiations, angine, des souffrances qui ne lui laissaient aucun répit.
D’interminables séances de photos avaient lieu pour dissimuler les effets de sa maladie. Et pourtant sur la photo prise sur Mountain Hawk, elle est très belle et son sourire parfaitement naturel malgré ses souffrances.

D’interminables séances de photos avaient lieu pour dissimuler les effets de sa maladie. Et pourtant sur la photo prise sur Mountain Hawk, elle est très belle et son sourire parfaitement naturel malgré ses souffrances. Source

 

 

 

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