Pédagogie

Essentiel

Dans la préface d’un ouvrage intitulé Les grands pédagogues (1), Jean Château présente ainsi les textes sur la pédagogie de Platon, celle des Jésuites, celles de Locke, de Rousseau et plus près de nous de Dewey, Montessori et Alain. Ses propos ont conservé toute leur pertinence et s’appliqueraient parfaitement à un ouvrage semblable qui paraîtrait aujourd’hui. Car il faudra toujours savoir distinguer les techniques des fins en éducation:
    «[...]L’éducation n’est point un ensemble de techniques que l’on pourrait mettre au point par des expériences appropriées, comme l’on fait des techniques agricoles. Sans doute les techniques comptent-elles, et il ne faut point négliger les didactiques particulières, ni la pédagogie expérimentale. Mais, au-dessus d’elles, il est une recherche plus difficile et plus urgente, c’est celle de la fin et de l’esprit de l’éducation. Cette recherche engage l’éducateur, elle engage aussi le philosophe, elle engage le politique. Et si on ne la tente d’abord, si l’on ne prend garde de la conserver toujours à l’horizon de ses pensées, le souci des techniques ne vaut pas cher. Il arrive parfois que les techniques, par leur seule vertu, mènent les élèves dans une route opposée à celle que l’éducateur voudrait suivre — et parfois cela est un bien. Que l’on songe à ce que Platon doit aux techniques des Sophistes qu’il sut retourner contre eux. Et Voltaire lui-même a sans doute appris des Jésuites autre chose que "du latin et des sottises". Si l’on veut juger des techniques, il est nécessaire de les dépasser.» (Les grands pédagogues, PUF, 3 éd. 1966)

Enjeux

Enseignement unifié et pluralisme en éducation au Québec (Marc Chevrier)
«Une pédagogie unifiée, définie par des experts, peut s'avérer une expérience collective positive si, assez sages pour reconnaître les limites de leur savoir, ils n'ambitionnent pas de faire primer la théorie sur l'expérience, l'unité de leur programme sur la diversité des situations rencontrées dans les classes. Une telle pédagogie peut fonctionner dans un pays où existe une forte tradition intellectuelle, comme en France par exemple, où les meilleurs établissements sont du secteur public; l'État n'a pas d'autre choix que d'absorber lui-même cette tradition et de la laisser oeuvrer dans son réseau scolaire. Nous avions une telle tradition au Québec, mais avons-nous su la préserver? Ce système de pédagogie unifiée devient par contre dangereux quand ses planificateurs, à partir de théories nouvelles que ni l'expérience ni le temps n'ont vraiment validées, prennent sur eux d'écarter des méthodes pédagogiques anciennes et éprouvées et d'y substituer leur programme.

Autre conséquence d'une pédagogie unifiée: l'État s'embarrasse de responsabilités qu'il n'a peut-être pas à accomplir lui-même. La controverse qui a entouré l'introduction du nouveau programme d'enseignement du français nous en donne un bel exemple. Il y a quelque chose d'un tant soit peu étrange dans le fait qu'une nation aussi instruite que le Québec fasse des méthodes d'enseignement de la langue nationale un objet de législation. C'est un peu comme si, faute de bons pédagogues, de grammairiens et de linguistes capables de juger par eux-mêmes des méthodes appropriées d'enseignement de la langue, il fallait que l'État supplée à une grave carence de notre réseau scolaire. La compétence pédagogique n'est pas une ressource si rare qu'on croit, du moins pas au point de justifier que l'État centralise la composition des programmes d'études.

La conséquence la plus triste de la pédagogie unifiée est qu'elle peut faire perdre à une société une riche tradition intellectuelle, qu'elle avait mis des décennies, voire des siècles, à édifier. Même si l'enseignement prodigué par les anciens collèges classiques du Québec n'était plus vraiment adapté aux exigences du monde moderne, c'était un bien public précieux, fait d'un savoir et d'expériences pédagogiques uniques, que nos modernisateurs des années '60 ont eu la présomption de dilapider, au détriment des jeunes générations qui les ont suivis. Le Québec d'aujourd'hui aurait grand-peine à recréer cette expérience pédagogique perdue, puisqu'il s'est peut-être trouvé trop peu d'institutions pour la perpétuer.

Le pluralisme en éducation: un principe plus véridique et plus humain
De plus en plus, les sciences montrent à quel point la diversité est essentielle à la vie et à la vitalité des sociétés humaines. La biologie nous enseigne que la disparition d'espèces vivantes est une tragédie; elle prive l'humanité d'un réservoir de médicaments et de matières précieuses inconnues, elle rompt l'équilibre des écosystèmes et provoque des dérèglements naturels. En économie, on ne saurait concevoir de développement durable sur la base d'une seule industrie ou d'un seul type d'entreprise. La démocratie vit de la pluralité des groupes politiques, des pouvoirs — législatif, exécutif, judiciaire et médiatique — et des idéologies. Le choc des cultures est généralement plus fécond que le développement d'une culture dans une société fermée. L'art naît le plus souvent de la pluralité des mécènes et de l'opposition entre les goûts. Bref, la diversité peut être une force constructrice. À nous de la mettre à profit, de la canaliser, sans y mettre de freins inutiles.

Le pluralisme est maintenant un concept à la mode dans les sciences sociales et déjà plusieurs experts éminents se sont penchés sur ses rapports avec l'éducation. Toutefois la plupart des études faites sur cette dernière question présupposent le principe de l'enseignement unifié. On étudie comment l'école d'un régime scolaire unique peut intégrer des élèves aux origines ethniques et culturelles de plus en plus diverses. Cette question est certes intéressante et brûlante d'actualité, mais n'envisage le pluralisme en éducation que sous un seul angle.

Avec l'historien britannique des idées Isaiah Berlin, je partage l'idée que le pluralisme est un idéal plus riche que la recherche, même rationnelle, de l'unité. Il écrivait : Le pluralisme [...] me semble un idéal plus véridique et plus humain que l'idéal de la maîtrise de soi positive des classes, des peuples ou de l'humanité toute entière que certains croient trouver dans les grands systèmes bien ordonnés et autoritaires. Il est plus véridique, parce qu'il reconnaît que les fins humaines sont multiples, pas toujours commensurables et en perpétuelle rivalité les unes avec les autres. Accepter pleinement le pluralisme en éducation, c'est reconnaître que les choix pédagogiques ne sont pas des questions techniques que l'on peut résoudre par une simple règle de calcul. Ils se ramènent tous à des choix de valeurs, liés à des conceptions de l'Homme et de l'existence que nul État, si démocratique soit-il, ne peut prétendre fondre en un seul tableau. Préconiser un régime d'enseignement unique, sans permettre à des écoles, avec le concours neutre de l'État, d'en diverger et de suivre leur vocation propre, c'est défendre une conception unitaire de la vie, saupoudrée de science.»

MARC CHEVRIER, «L'enseignement unifié», L'Agora, vol. 4, no. 1, Septembre 1996.



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La querelle des modernes et des post-modernes
En France, comme au Québec, (où, pour avoir le droit d'enseigner, un docteur en physique doit faire de longues études en pédagogie) il semble qu'il soit désormais plus important de savoir enseigner que de savoir. On craint plus le maître qui enseigne mal ce qu'il sait que celui qui sait enseigner ce qu'il ne sait pas. Cette querelle des modernes et des post-modernes suscite de vives polémiques comme en fait foi cette truculente diatribe extrait d'un site français consacré à la défense de l'école traditionnelle:
    Quant aux prétendues sciences de l'éducation, elles sont une fumisterie solennelle qui nourrit assez grassement quelques cuistres incultes et peut même leur ouvrir les portes de l'Université sur laquelle ils déversaient naguère leur bile de mauvais étudiants pseudo-révolutionnaires, ennemis jurés de la culture bourgeoise...( Dès qu' ils entendent parler culture, humanités, ou pis littérature, ces cancres arrogants sortent leur revolver. Pas question d'évoquer le mérite, le travail ou l'intelligence : ça recréerait une bourgeoisie... Le maximalisme égalitaire est une machine à broyer ubuesque, un rouleau compresseur qui ne veut pas voir une tête depasser. Malheur à la différence, malheur à l' aptitude hétérogène, malheur au talent aberrant. Triomphe de la médiocrité paresseuse qui ne se connaît plus que des droits et des dûs. Apothéose de l 'hypocrite démagogie que l'on rebaptise "démocratie".)

    Et, en effet, nos faux dévots de la cause des élèves vidangent le contenu réel des enseignements au profit de la forme du cours, qui seule devrait retenir les efforts du professeur. Comme si les fameuses séquences de l'enseignement du français, par exemple, étaient une panacée! La vraie pédagogie n'est affaire que de psychologie, de bon sens et de réflexions sur le terrain. (Antoine Roussel, «La pédagogie», sur le site "L'école: morte?)


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    «Qu'il s'agisse de l'enfant ou de l'adulte, des arts pratiques ou des sciences, des valeurs morales ou religieuses, le but de toute action pédagogique est la formation dans l'âme d'une disposition stable. Une fois acquise, cette disposition ne disparaît plus.»
    (Abdesselam Cheddadi,Ibn Khaldun, ©UNESCO, article reproduit dans le document associé: «Ibn Khaldun et l'éducation»)

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