Enseignement

Les mots formation, éducation, enseignement et instruction suscitent bien des confusions qui ne sont pas étrangères à la crise de l'école. Nous proposons pour chacun de ces termes un sens qui le situe par rapport aux trois autres de telle sorte que l'ensemble des quatre termes rende compte adéquatement du phénomène en cause: l'accomplissement d'un être humain. Nous nous limitons ici au sens que nous proposons pour éviter les confusions1. C'est une question d'accent. Il va de soi que l'éducation ou l'enseignement tels que nous les définissons peuvent concourir à la formation, etc.

L’enseignement consiste à signaler à l'élève ce qui doit retenir son attention, à lui montrer les choses importantes. Car à quoi bon marquer (insignire) certains savoirs parmi d'autres si tous s'équivalent? Enseigner a les mêmes racines qu'insigne, il vient du verbe latin insignire, qui signifie mettre une marque, signaler, distinguer. L’enseignement consiste à aider l’enfant à introduire forme, hiérarchie dans ses connaissances. Nul n’a besoin de l’enseignement pour apprendre les choses une à une dans le désordre.

L'éducation et la formation ont en commun de s'appliquer à l'ensemble de la personne,
l'enseignement et l'instruction ont en commun de ne s'appliquer qu'à sa dimension intellectuelle ou cognitive.

On peu également associer d’une part éducation et instruction où l’accent est mis sur l’énergie, d’autre part formation et enseignement où l’accent est mis sur la forme, l’ordre, l’architecture.

L'oeuvre achevée est celle qui comporte une juste part d’éducation, de formation, d’enseignement et d’instruction.

Essentiel

Perspective historique

Comme le rappelle René Rémond dans la préface de L'histoire de l'éducation de Michel Rouche : « L'enseignement se range assurément dans la longue durée. Replacée dans une perspective à très long terme, l'institution éducative s'éclaire d'une façon toute nouvelle : les ruptures qu'une observation à courte vue croyait déceler s'effacent ou se relativisent, les césures s'aplanissent, les bouleversements présumés s'amenuisent en inflexions mineures. »1

Au cours de la décennie 1970, deux historiens français, parmi les plus réputés de leur génération, François Furet et Jacques Ozouf ont mené avec une armée de chercheurs une enquête minutieuse sur l'alphabétisation des Français à partir du XVIe siècle. Dans ce prodigieux essor de l'éducation, concluent-ils, c'est la demande sociale qui a été déterminante. Le moindre petit village réclamait des maîtres et des écoles. C'est l'enseignement qui importait aux gens, l'école n'était qu'un moyen parmi d'autres. La Savoie fut l'une des premières régions alphabétisées de France, grâce aux maîtres ambulants. Dans les hautes vallées alpines par exemple, qu'il s'agisse de la Vallouise ou de celle de Barcelonnette, l'alphabétisation, particulièrement bien réussie, a été l'oeuvre de maîtres ambulants . «Le savoir élémentaire se transmet ici par des
circuits privés : les maîtres ambulants se déplacent de hameau en hameau pour des prestations parfois très courtes ; les habitants sont allés les louer à la foire Saint-Martin du Gap où ils attendaient leurs clients, les plumes de leur chapeau indiquant leurs capacités :une plume pour l'enseignement de la lecture, deux pourl'enseignement de la lecture et de l'écriture,trois si l'on y joint à l'enseignement de l'arithmétique desrudiments du latin.Parce qu'il ne dispose pas comme ailleurs de délibérations communales ou de contrats écrits,l'historien pourrait être tenté de loger ces régions sous le signe du désert scolaire. Le contresens seraitd'autant plus grossier que de nombreux villages de la Vallouise ont été des centres de production et d'émigration de maîtres d'école. »

La demande sociale ne se limitait pas à un vague appel à l'État ou à l'Église qui s'occuperaient ensuite d'implanter des écoles et d'en assurer le financement. Les populations locales s'occupaient elles-mêmes du financement, selon des méthodes réinventées d'un lieu à l'autre. La population choisissait aussi les maîtres et faisait ensuite approuver ses choix par le curé. Le prodigieux essor de l'éducation du XVIe et au XIXe siècle s'explique essentiellement par cet engagement enthousiaste et responsable de la population. Cet engagement eut pour conséquence la variété, la souplesse des institutions. « Rien de prévisible et de standardisé, comme aujourd'hui ; au contraire, une mosaïque d'institutions et de pratiques superposées, rivales, complémentaires, un compromis protéiforme entre des vouloirs locaux, une politique continue de l'Église, des impératifs occasionnels d'État, bref une existence et une histoire d'autant plus fluides qu'elles ont été plus longtemps ignorées par les grandes lois unificatrices de la monarchie. Tout a commencé par les villes, et par les petites écoles médiévales placées sous le contrôle de l'Église cathédrale, qui subsistent à l'époque classique, mais comme la strate la plus ancienne d'un réseau qui a proliféré. […] Mais ce réseau des congrégations enseignantes qui couvre les villes du royaume à la fin du XVIIe siècle, et dont le souffle n'est pas épuisé au siècle suivant, n'empêche ni la multiplication des écoles privées, payantes celles-là, ni l'activité des maîtres-écrivains, qui ne cessent de gémir de toutes ces concurrences contradictoires avec leurs privilèges. » 3 Ce sont là des signes de la vitalité propres à tous les grands commencements. Pour sortir de la crise actuelle, il importera que nous puissions saisir au passage les signes analogues de recommencement.

1-Histoire de l'enseignement et de l'éducation, t. 1,Éditions Perrin,Paris, 2003, p.14.
2- R. CHARTIER, M.M. COMPÈRE, D.JULIA, L'éducation en France du XVIe au XVIIIe siècle, Sedes, Paris.
3-François Furet,Jacques Ozouf,Lire et Écrire, l'alphabétisation des Français, de Calvin à Jules Ferry, Les Éditions de Minuit, Paris, 1977, tome 1,p. 82.
***

Pour enseigner il faut avoir la foi, religieuse ou laïque. Voici l'opinion d'un enseignant français sur cette question:

«Parce que voilà; pour enseigner il faut avoir la foi. C'est un vocable qui peut paraître surprenant chez des laïcs patentés, mais c'est le terme exact, celui que l'on emploie abondamment dans la profession. Il faut croire à ce qu'on enseigne, croire à l'avenir, à la culture, au progrès, à la justice. Il n'y a d'enseignants véritables que les missionnaires. C'est ce qu'étaient les bons maîtres, nos prédécesseurs; ils avaient des croyances solides en l'homme, en leur mission; ils nageaient dans les certitudes, les participes passés qui s'accordaient comme ça et pas autrement. Ils avaient la foi; avec, généralement, en face, une contre-foi en soutane pour attiser leurs passions. Ça soutient le moral une forte haine, ça occupe une vie.»

Claude Duneton. Je suis comme une truie qui doute. Paris, Seuil, 1976

Enjeux

Deux paragraphes qui évoquent bien les tensions à l'intérieur des écoles partout dans le monde.
«Une telle fracture divise aujourd’hui profondément les acteurs de l’enseignement. « Changer l’école » ou « sauver l’école » ? Aller résolument de l’avant dans la rénovation des pratiques pédagogiques et des programmes, ou bien restaurer la rigueur des disciplines et un haut niveau d’exigences ? Moderniser l’enseignement pour l’adapter aux « nouveaux publics » ou défendre les « acquis de l’école républicaine » ? Ouvrir l’école sur le monde ou la protéger des influences de la société mercantile ? Placer l’élève au centre ou placer les savoirs au centre ? Les deux protagonistes s’affublent respectivement des sobriquets de « pédagos » et de « ringards ». Ici, un fort bataillon d’instituteurs, peut être davantage sensibles au développement complet des enfants avec lesquels ils vivent plusieurs heures par jour. En face, une armée recrutant largement dans les rangs des professeurs du secondaire, horrifiés par l’irrésistible « chute du niveau » dans leurs diverses disciplines. Mais la division traverse largement les filières et les types d’enseignement.

Les deux bords ont leurs extrémistes. D’un côté ceux qui cultivent un rapport sectaire, quasi-religieux, à une chapelle pédagogique particulière. De l’autre, ceux qui ne jurent que par « l’école républicaine » en la réduisant à ce qu’elle avait de plus détestable, la sélection élitiste. D’un côté ceux qui se gaussent du « professeur détenteur et transmetteur du savoir ». En quoi ils ont évidemment tort car, quelle que soit la stratégie pédagogique utilisée, le but de tout enseignement est bien de faire accéder l’apprenant à des savoirs et, pour ce faire, celui qui fait apprendre, celui qui enseigne, doit forcément les posséder, ces savoirs. De l’autre côté ceux qui ont pareillement tort en crachant leur venin sur les sciences de l’éducation : comme si, dans l’ensemble des activités humaines, seul l’acte pédagogique devait échapper à toute tentative de rationalisation (et dire cela ne signifie pas prendre pour argent comptant toutes les théories - souvent contradictoires - élaborées par les diverses écoles pédagogiques).

Source: Site du SNUIP, Syndicat National Unitaire des Instituteurs, Professeurs des écoles, Pege.

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