Calvé Emma
On a aussi dit que sa voix coulait comme les sources de son pays natal. La poétesse Anna de Noailles «l'a comparée à une perle qui rayonnerait de toutes les couleurs du prisme.» Cette voix, comme celle du ténor Caruso, était un don de la nature et de la culture première. L'enseignement formel lui permit de s'accomplir, il ne la créa point.
Quelques années avant sa mort, Emma Calvé, confia ses mémoires à un éditeur, qui les publia sous le titre: Sous tous les ciels j'ai chanté. Témoignage précieux d'un être vrai, bien résumé par le vers d'Aubanel cité en exergue: «Qui chante, son mal enchante.» Son amie Eleonora Duse lui rappelera ces mots pour la consoler d'une peine d'amour qu'elle lui confia pudiquement, dans la seule allusion qu'elle fait à sa vie privée dans ses mémoires.
Adolescente, elle quitte l'Aveyron pour Paris, accompagnée de sa mère, qui veillera sur sa santé et sur sa voix. Elle débuta à Bruxelles en 1882, dans le rôle de Marguerite de Faust. Un échec à la Scala en début de carrière, échec qu'elle sut transformer en épreuve, sera la seule ombre dans une carrière où elle ne connut que des soirées triomphales, dont plus de 3 000 dans le rôle de Carmen.
C'est à Jean Richepin qu'elle fait le plus souvent allusion, mais elle montre aussi son attachement à Mistral et par là à sa Provence natale dans une longue anecdote en rapport avec la cérémonie d'ouverture du musée Arlaten à Arles. Elle évoque aussi sa rencontre avec Verlaine et Oscar Wilde en des termes qui nous donnent à entendre que sa richesse et son succès ne l'ont pas rendue indifférente au malheur. Elle connut également le poète italien Gabriele D'Annunzio. Elle était attachée comme lui à sa grande et à sa petite patrie.
«Si la grande Patrie soulève notre âme
La petite Patrie parle à notre coeur.» Elle sut toucher les Américains à un point tel qu'au début de la guerre de 1914-1918, elle contribua efficacement à l'effort fait par le gouvernement français pour convaincre les Américains d'entrer en guerre contre l'Allemagne. En 1916, juste avant de s'embarquer pour la France, elle chanta la Marseillaise devant 30 000 personnes à New-York. «L'immense salle du Grand Central Palace pouvant contenir 30 000 personnes était comble. On avait improvisé une estrade que j'ai dû atteindre par une échelle.
Toute vêtue de noir, drapée dans notre beau drapeau, j'ai entonné le premier couplet de notre glorieuse Marseillaise, dont le refrain était repris par les choeurs du Metropolitan Opera. Mais voilà que, après le deuxième couplet, la foule entière, dans un élan d'enthousiasme indescriptible, a poussé le cri: «Aux armes citoyens!» répercuté par l'immense verrière de la coupole avec une telle force que je me suis sentie vaciller comme un arbre qu'on vient de déraciner.» On a recuilli 500 000 francs pour les blessés de guerre à cette occasion.
Son attachement pour la langue et la culture françaises, Emma Calvé avait eu auparavant l'occasion de le démontrer à Montréal.
Elle fit ses adieux à l'Opéra en 1907, à l'occasion de la millième représentation de Carmen à Paris. «En effet, voulant finir en beauté, je suis décidée à quitter le théâtre pour toujours. En regardant mon visage de gitane, je lui ai dit un adieu sans retour! C'est de la folie disent parents et amis. Je ne veux pas que le public se lasse de moi. Il ne verra pas mes rides. Mon bon sens rouergat me suggère qu'à quarante-sept ans, on n'a plus le droit de jouer les amoureuses! Je vais continuer la carrière de concerts car ma voix n'a pas de rides.»
Elle consacra les dernières années de sa vie à l'enseignement, suivant l'exemple de madame Laborde, son professeur. Elle réunissait ses élèves dans le château de Cabrières, près de Millau, acheté en 1894.
Georges Girard nous apprend «qu'elle fit de son château de Cabrières, qu’elle avait acquis pour se ressourcer dans son pays, en une sorte de sanatorium pour les enfants pauvres de Millau. Elle n’hésita pas à soutenir les ouvriers gantiers lors de leurs grandes grèves durant les années trente.
Voilà longtemps qu'elle n'était déjà plus la star qu'elle était durant la belle époque.»
On présume qu'elle a beaucoup pris sur son capital pour accomplir ses oeuvres, car elle est morte dans le dénuement.
Elle ne fait nullement allusion à ce dénuement dans ses mémoires, parus peu avant sa mort. Elle cite plutôt des vers de son compatriote Fabié sur la viellesse sereine.
«Si vous avez semé votre âge le plus beau
Sur les mille chemins où l'orgueil vous entraîne
Le pays vous fera une vieillesse sereine
Et l'ombre du clocher est si douce au tombeau.»