Création
Le texte qui suit est tirée d'un étude de Laurent Giroux sur L'origine du monde et la création selon Thomas d'Aquin. La question de la création y est remarquablement bien posée.
L’origine du monde et l’idée de création
Πλάτων δ΄αυτον (χρόνον) γεννα μόνος
(Physique Θ, 251 b 17-18)
« Platon seul l’engendre », écrit Aristote en exposant sa théorie du temps dans Physique (VIII), rappelant du coup la position naturelle de tous ses prédécesseurs, sauf Platon, en ce qui a trait à leur conception du temps et, par conséquent, de la durée du monde matériel. La matière du monde serait donc éternelle, quelle que soit la façon dont on ait conçu sa constitution originelle. Or, l’enseignement judéo-chrétien sur ce sujet soutient en général la thèse opposée de la création directe de l’univers et de tout ce qu’il contient par Dieu lui-même. Ce qui nous amène à formuler un dilemme dont il est difficile de voir comment on pourrait jamais y échapper. Ou bien, en effet, la matière est éternelle et n’a donc jamais commencé, et dès lors il devient absurde d’essayer de vouloir en rejoindre le commencement, sa véritable constitution primordiale demeurant inaccessible à quelque recherche scientifique que ce soit. Ou bien la matière a en un temps zéro commencé d’être, et alors tout effort pour nous situer à son point d’émergence, ou encore en deçà, est également voué à l’échec. La conscience a surgi dans le monde à une distance temporelle infranchissable de ses origines lointaines et il ne lui est plus d’aucune façon possible de les retracer. Nous nous trouvons ainsi d’ores et déjà à l’intérieur d’un univers dont nous sommes une composante indissociable, si bien que, en tant que tout, il ne peut être appréhendé comme « objet » de perception ou de pensée. Aussi a-t-on été amené à poser une entité préexistante au monde et au temps qui aurait créé de toute pièce et à partir de rien la matière depuis laquelle l’univers se serait constitué. Mais qui alors voudra bien tenter de déterminer la nature (et l’origine ?) de cette entité elle-même autrement que par la fonction qu’on lui attribue, celle de créatrice du monde? Il n’en demeure pas moins légitime de chercher à reconstruire en imagination ou en pensée une représentation cohérente de ce pur commencement de manière à satisfaire le besoin humain de comprendre ses origines ou, du moins, de les rendre vraisemblables, et de nous situer nous-mêmes dans la totalité des êtres. En ce sens, les mythes ont toute leur raison d’être et leur vérité profonde qui garde sa valeur nonobstant les découvertes postérieures de la recherche historique ou archéologique. Écoutons à ce sujet Claus Westermann : « Le premier chapitre de la Bible est une des grandes pièces de la littérature mondiale. Toutes les questions qui ont été adressées à ce premier chapitre de la Bible, tous les doutes sur l’exactitude de ce qui s’y trouve […] n’en affecte en aucune manière la validité ».1 Avant donc d’entrer dans la théologie thomiste de la création, nous voulons examiner de plus près deux de ces récits mythiques, celui de la Genèse et celui qu’a conçu Platon dans son Timée, qui se trouvent sans aucun doute à l’arrière-plan de l’enseignement de Thomas.
Source: L'orgine du monde et la création selon Thomas d'Aquin.