Caton l'Ancien

234 av. J.-C.-149 av. J.-C.
«Caton (Marcus Porcius), d’abord surnommé Priscus, et ensuite Cato, du moins catus, qui, dans la langue des Sabins, désignait la sagacité d’esprit et une prudence naturelle. Ce surnom, extrêmement commun chez les Romains, semble aujourd’hui appartenir exclusivement à cette famille d’hommes illustres dont Marcius Porcius fut la tige, et il ne peut être prononcé sans rappeler l’idée des plus hautes vertus publiques et privées. Marcus Porcius naquit (en) l’an 232 (*) avant J.-C., à Tusculum, aujourd’hui Frascati. Son père, qu’il perdit jeune, était plébéien, et lui laissa pour tout bien une petite propriété, située dans le pays des Sabins, de tous les peuples d’Italie, les plus renommés par l’âpre sévérité de leurs mœurs. Ce modeste héritage, que Caton cultivait de ses propres mains, se trouvait près de l’habitation qu’avait construite Curius Dentatus, vainqueur des Samnites, des Sabins, de Pyrhus, et trois fois illustré par les honneurs du triomphe. Lorsque Caton comparait cette chaumière et le petit nombre d’arpents qui l’entouraient, avec sa maison et avec sa terre, son économie lui paraissait de la prodigalité, sa sévérité de la faiblesse; il réformait encore sa dépense, gourmandait la paresse de ses esclaves, et donnait lui-même l’exemple d’une nouvelle ardeur pour le travail.

L’époque de sa jeunesse fut celle des plus grands dangers que Rome eût jamais éprouvés : Annibal était en Italie. Caton fit ses premières armes au siège de Capoue, sous Fabius Maximus; il avait alors dix-sept ans. Cinq ans après, il combattait sous le même général au siège de Tarente. Après la prise de cette ville, il se lia d’amitié avec Néarque, philosophe pythagoricien, qui l’initia dans la sublime théorie de la sagesse, dont la pratique lui était déjà familière.

La guerre terminée, Caton retournal cultiver sa terre; mais, instruit dans les lois, parlant avec facilité, il allait de grand matin dans les petites villes voisines, donnant des consultations, et plaidant les causes de tous ceux qui imploraient son appui. Valérius Flaccus, noble et puissant dans Rome, habitait une terre située près du petit domaine de Caton. Témoin des vertus et des talents que déployait ce jeune homme dans le cercle étroit où le sort l’avait placé, il devina ce qu’il pouvait devenir, l’invita chez lui, rechercha son amitié, et lui proposa d’aller demeurer à Rome, où il l’aiderait de son crédit.

Ce n’était plus le temps où le peuple romain arrachait aux travaux rustiques ceux qu’il plaçait à la tête des armées et dans le sénat. Un petit nombre de familles, illustres depuis longtemps par les services qu’elles avaient rendus à la république, et possédant de grandes richesses, étaient maîtresses de tous les suffrages, de toutes les dignités; à cette époque, il faut l’avouer, les chefs de ces familles méritaient ces préférences. On distinguait parmi eux Scipion, qui devait triompher de Carthage; Servilius Galba, qui asservit les Lusitaniens; Quintus Flamininus, qui dompta la Macédoine et la Grèce.

Caton était ce qu’on appelait alors un homme nouveau, d’un nom obscur, et sans fortune; mais à peine se fut-il montré, que cette éloquence, qu’on osa depuis comparer à celle de Démosthène, que cette austérité de mœurs et cette énergie de caractère, qui n’ont jamais été surpassées, le firent remarquer. Dans les tribunaux, comme dans les assemblées du peuple, il réalisait la belle définition que lui-même a donnée de l’orateur et que Quintilien nous a conservée : « l’homme de bien, savant dans l’art de bien dire ». Mais c’était dans les camps plutôt qu’à la tribune qu’il aspirait à se distinguer. Il fut nommé tribun militaire à l’âge de trente ans, et envoyé en Sicile, vers l’an 202 avant J.-C. L’année d’ensuite, nommé questeur, ou trésorier de l’armée que Scipion devait conduire en Afrique, Caton voulut user des droits de sa charge pour réformer les dépenses du général en chef : mais Scipion ne le permit pas, et lui répondit « qu’il entendait rendre compte aux Romains des victoires qu’il remporterait, et non de l’argent qu’il aurait dépensé ». Tel fut entre ces deux hommes illustres le commencement d’une rivalité et d’une haine qui ne s’éteignirent qu’avec la vie. Caton revint à Rome, et dénonça ce qu’il appelait les prodigalités de Scipion. Le vieux Fabius Maximus, soutien de l’antique austérité, appuya la dénonciation. Des tribuns du peuple furent envoyés en Sicile; Scipion leur montra ses préparatifs et tous les présages de ses succès futurs : il fut absous; mais Caton n’en acquit pas moins auprès du peuple cette influence qu’obtient toujours celui qui, dans une république, se montre jaloux d’économiser les revenus de l’État.

Cinq ans après avoir passé par la charge d’édile, Caton fut nommé préteur, et le gouvernement de Sardaigne lui échut par le sort. Son austère tempérence, son intégrité et sa justice sévère le firent encore plus remarquer dans ce gouvernement qu’à Rome même, parce que son administration formait un plus grand contraste avec la conduite de ceux qui l’avaient précédé. Ce fut dans cette île qu’il fit connaissance avec le poëte Ennius, et qu’il apprit de lui la langue grecque. À son retour il l’amena à Rome, et Cornelius Népos déclare qu’on doit lui en savoir plus de gré que de la plus grande victoire qu’il aurait remporté sur les Sardes. Enfin Caton parvint au consulat (en) l’an 193 avant J.-C., et, pour comble de faveur, on lui donna pour collègue son améi Valérius Flaccus, qui avait été son protecteur.

Une affaire singulière, et en apparence futile, attirait l’attention de Rome entière, et semblait la distraire de la guerre avec Antiochus, des incursions des Gaulois, et de la révolte de l’Espagne. Lors de la seconde guerre punique, Oppius avait fait passer une loi qui défendait aux dames romaines d’employer plus d’une demi-once d’or à leur usage, de porter des habits de diverses couleurs, etc. On demandait l’abolition de cette loi de circonstance, nommée Oppia. Le Capitole était rempli d’une foule de peuple divisé sur cette affaire. Les femmes sortaient de leurs maisons, accouraient des bourgs voisins, se répandaient dans les rues, suppliaient les consuls, les préteurs, tous les magistrats, de leur être favorables. Elles remplissaient la place publique, lorsque l’inflexible Caton s’avança pour prononcer, en faveur de la loi, une belle harangue que Tite-Live a rapportée; mais l’éloquence du tribun Valérius qui demandait l’abrogation de la loi, et plus encore peut-être l’importunité et les séductions des Romaines, l’emportèrent sur l’influence de Caton, et la loi Oppia fut révoquée.

Caton partit aussitôt pour l’Espagne citérieure, qui avait secoué le joug. Son premier soin, en arrivant à l’armée, fut de renvoyer à Rome toutes les provisions qu’on avait amassées, et il dit à ses soldats : « La guerre doit nourrir ceux qui la font. » Avec de nouvelles recrues, dont il sut faire des troupes excellentes, il remporta de nombreuses victoires, soumit la province aux Romains, fit démanteler toutes les villes, et ramena son armée en Italie, où il obtint les honneurs du triomphe. Tite-Live a décrit les événements de cette guerre remarquable, avec sa clarté et son éloquence ordinaires; mais à ses yeux, comme à ceux de Caton, toutes les actions qui sont dans l’intérêt de Rome sont dignes de louanges. Sous la plume d’un historien moderne, Caton serait justement accusé de perfidie à l’égard des alliés, et de férocité envers les vaincus.

Avide de rendre à sa patrie des services signalés, Caton est à peine descendu de son char de triomphe, qu’il quitte la loge consulaire, endosse la cuirasse de lieutenant, et accompagne Sempronius en Thrace. Il se met ensuite sous les ordres du consul Manius Acilius, pour aller combattre Antiochus et porter la guerre dans la Thessalie. Par une marche hardie, il franchit avec une partie de ses soldats le Callidrôme, un des sommets les plus escarpés du passage des Thermopyles, et décide ainsi le succès de la bataille. Le consul, aussitôt après et dans l’excès de son enthousiasme, l’embrasse et s’écrie, en présence de toute l’armée, qu’il n’est ni dans son pouvoir, ni dans celui du peuple romain, de décerner à Caton des récompenses égales à son mérite. Il le choisit ensuite pour aller à Rome annoncer cette victoire, qui eut lieu (en) l’an 189 avant J.-C.

Ce fut sept ans après que Caton se mit sur les rangs pour obtenir la plus honorable et la plus redoutée de toutes les magistratures, celle de censeur. Sa demande porta l’effroi dans le parti des nobles; ils réunirent tous leurs efforts pour l’écarter; mais des circonstances particulières le favorisaient. Les conquêtes en Asie avaient introduit à Rome des semences de luxe qui effrayaient les amis des bonnes mœurs. La conspiration des bacchanales, qu’on en regardait comme l’effet et le résultat, avait jeté dans toutes les âmes une terreur qui n’était pas encore dissipée : un remède vigoureux et prompt paraissait nécessaire.

Aussi Caton ne sollicitait pas les suffrages du peuple comme les deux Scipion et ses autres concurrents, Publius Lucius et Cnéius Manlius; il ne demandait pas, il s’offrait; il ne priait pas, mais il grondait et menaçait d’avance. Encore semblait-il ne pas laisser le choix de son collègue; il fallait lui donner Valérius Flaccus : ce n’était qu’avec lui qu’il pouvait réformer les désordres et ramener la pureté des mœurs antiques. Il fut élu, ainsi que celui qu’il demandait, et, dans cette circonstance, le peuple romain ne parut pas seulement le choisir, mais lui obéir.

Cette censure fut remarquable par son extrême sévérité, et attira à Caton des ennemis qui le poursuivirent pendant toute sa vie. Il priva de la dignité de sénateur Lucius Quintus Flaminius, personnage consulaire, pour un trait de férocité dont il s’était rendu coupable. Manilius, qui était sur les rangs pour être nommé consul l’année suivante, fut aussi expulsé du sénat, pour avoir embrassé sa femme d’une manière indécente en présence de sa fille. Il ôta le cheval à Scipion l’Asiatique. Par cette dernière rigueur, Caton fut accusé d’avoir cherché à satisfaire sa vieille haine contre Scipion l’Africain. Des clameurs universelles s’élevèrent, lorsque ce rigoureux censeur entreprit de réformer le luxe et les gains des administrateurs des deniers publics. Il n’en usa pas moins de l’autorité que les lois lui accordaient pour opérer toutes les réformes qui lui parurent salutaires, et il obtint l’approbation universelle pour son administration pendant sa censure.

Lorsqu’elle fut terminée, on lui décerna une statue dans le temple de la Santé, avec une inscription honorable. Il semblait faire bien peu de cas de cet honneur, et répondit à quelqu’un qui, avant cette époque, lui disait qu’on avait élevé des statues à des personnages peu remarquables et même inconnus, tandis qu’on ne lui en avait dressé aucune : « J’aime mieux, dit-il, qu’on demande pourquoi on n’a pas accordé de statue à Caton, que par quelle raison il en obtint une. » Caton n’aimait pas la flatterie; mais il trouvait bon, quand on avait fait de grandes actions, qu’on se plût à les vanter; aussi n’était-il rien moins que modeste. Il disait que les sénateurs, dans les circonstances difficiles, avaient coutume de jeter les yeux sur lui, comme les navigateurs sur le pilote, quand le vaisseau était battu par la tempête; et il rappelait avec complaisance que le sénat remettait à un autre temps les affaires importantes, quand il n’était pas présent; ce que d’autres que lui, dit Plutarque, témoignent avoir été véritable. Quand il voulait excuser quelqu’un qui avait manqué à son devoir, il se contentait de dire : « Est-ce donc un Caton? »

La postérité a rendu le même témoignage à sa vertu et l’exprime encore de la même manière. Sa vie politique fut un long combat. Il accusait sans cesse et avec acharnement, et il fut accusé de même. Tite-Live, plein d’admiration et de respect pour cet illustre personnage, et qui, dans le portrait qu’il en a tracé, déploie toutes les ressources de son beau talent, ne déguise pas cependant qu’il fut soupçonné d’avoir suscité contre Scipion l’Africain l’accusation qui força ce grand homme à la retraite, et que ce fut d’après ses poursuites que Scipion l’Asiatique fut condamné pour crime de péculat; qu’il se vit dépouillé de ses biens, et qu’il eût été traîné en prison, sans la généreuse intervention de Tiberius Gracchus.

Quant à Caton, accusé jusqu’à quarante-quatre fois, il fut toujours renvoyé absous. Il avait quatre-vingts ans lorsqu’il se vit forcé de se justifier pour la dernière fois. Le début du plaidoyer qu’il prononça dans cette occasion a quelque chose de sublime dans sa simplicité. « Romains, dit-il, il est bien difficile de rendre compte de sa conduite devant les hommes d’un autre siècle que celui où l’on a vécu. »

Le dernier acte de sa vie politique fut son ambassade en Afrique, où on l’envoya juger le différend qui s’était élevé entre les Carthaginois et le roi Massinissa : ce voyage est célèbre, parce qu’on attribue à cette circonstance la destruction de Carthage. En effet, frappé de la manière dont cette rivale de Rome avait réparé ses pertes, il ne prononçait plus depuis un seul discours au sénat, sur quelque sujet que ce fût, sans le terminer par ces mots : « Il faut détruire Carthage. » Scipion Nasica, qui était d’un avis contraire, terminait tous les siens en disant : « Mon avis est qu’il faut laisser subsister Carthage. »

Caton, si économe des revenus publics, ne méprisait pas les richesses, et n’était pas négligent, ni même très-scrupuleux sur les moyens d’en acquérir. Sévère jusqu’à la dureté envers ses esclaves, il leur vendait presque la liberté de cohabiter avec leurs femmes. Il connaissait toutes les ressources de l’agriculture, et savait s’en prévaloir pour augmenter son patrimoine. Ce moyen ne lui paraissant pas assez rapide, il y joignit les spéculations commerciales et financières, et le prêt à gros intérêt afin de soustraire, disait-il, une partie de sa fortune à l’influence de Jupiter.

Sa conversation était alternativement gaie, sévère et sentencieuse, semée de maximes et de sarcasmes. Dans les derniers temps de sa vie, il aimait, lorsqu’il était à sa campagne, à réunir à dîner chez lui ses voisins, et il se montra moins austère dans son régime et plus enclin aux plaisirs de la table; c’est à quoi Horace fait allusion dans ces vers :
    Narratur et prisci Catonis
    Saepe mero caluisse virtus.
Il fut un bon mari, et disait qu’il mettait cette qualité au-dessus de celle de bon sénateur. Sa première femme était noble et peu riche; il n’en eut qu’un seul enfant, et la conduite de Caton dans l’éducation de ce fils, qui a été décrite en détail et avec beaucoup d’intérêt par Plutarque, offre le modèle le plus parfait d’un excellent père et d’un habile instituteur. Ce fils épousa la fille de Paul Émile, sœur du second Scipion d’Africain. Il demeurait chez son père après son mariage. Caton, veuf alors, avait, malgré son grand âge, une jeune esclave qui le soir se rendait secrètement dans sa chambre. Un jour, elle eut l’audace de faire parade de la faveur dont elle jouissait auprès de son maître, et de passer de manière à se faire remarquer devant la chambre à coucher des jeunes époux. Le lendemain, la froide réserve et la pudeur silencieuse du fils apprirent au père que ce mystérieux commerce était découvert, et le déterminèrent à épouser en secondes noces la fille de Solonius, son secrétaire, dont il eut un fils nommé, à cause de sa mère, Caton le Solonien, qui fut l’aïeul de Caton d’Utique. Son premier fils (…) mourut avant lui.

Marcus Porcius Caton termina sa vie en l’an 147 avant J.-C., un an après son retour d’Afrique, cinq ans avant la destruction de Carthage, à l’âge de 85 ans (et non de 90, comme Plutarque et Tite-Live l’ont dit par erreur). On le nommait souvent Caton l’Ancien, ou Caton le Censeur, pour le distinguer de ses fils et petits-fils. Plutarque nous apprend qu’il était roux, et qu’il avait les yeux bleus. Sa santé fut toujours inaltérable, et l’austérité de sa vie, sa patience invincible dans les travaux, son héroïque fermeté dans les périls supposaient en quelque sorte, dit Tite-Live, un corps et une âme de fer, que l’âge, à qui tout cède, ne fit jamais fléchir.

Il écrivit un grand nombre d’ouvrages, presque tous dans sa vieillesse, et il n’y a rien, observe un ancien, d’utile au peuple romain qu’il n’ait su, qu’il n’ait enseigné. Ses écrits sont :

1) De re rustica, traité d’agriculture adressé à son fils, le seul des ouvrages de l’auteur qui soit parvenu jusqu’à nous; encore plusieurs critiques doutent-ils que celui qui nous reste sous son nom soit celui qu’il ait composé (1). (…)

2) Oraisons, discours ou plaidoyers prononcés pendant tout le cours de cette longue vie, et recueillis dans sa vieillesse. Il en existait encore cent cinquante du temps de Cicéron, qui, dans ses entretiens de Claris Oratoribus (c. 6), en porte le jugement suivant : « Je ne considère Caton ni comme citoyen, ni comme sénateur, ni comme général d’armée; il s’agit de l’orateur. Que de dignité quand il loue, que d’austérité quand il blâme! Que de finesse dans ses pensées, que de délicatesse dans ses paroles et ses instructions! Plus de cent cinquante oraisons qui nous restent de lui (c’est tout ce que j’en ai pu découvrir jusqu’à présent) sont remarquables par l’intérêt du sujet et la manière dont elles sont traitées. Qu’on choisisse encore parmi elles ce qu’il y a de plus digne d’estime, et l’on y trouvera toutes les beautés de l’éloquence (2). Son style est trop vieux, et ses termes quelquefois barbares; mais arrangez les mots, rendez-les nombreux, ce que les premiers Grecs n’ont pas toujours fait, et vous ne trouverez personne au-dessus de Caton. » Il ne nous reste rien de ces discours de Caton.

3) Les Origines ou Histoires et Annales du peuple romain, en 7 livres, ouvrage précieux que Caton termina peu de mois avant sa mort, qui est souvent cité par les historiens de l’antiquité, mais que le temps nous a aussi ravi. Le 1er livre renfermait l’histoire de Rome sous les rois; le second exposait la naissance, le commencement de chaque ville d’Italie, et c’est apparemment par cette raison qu’il avait donnée à l’ouvrage entier le titre d’Origines. Les 4e et 5e livres étaient l’histoire de la première et de la seconde guerre punique. Dans les derniers livres, il racontait les autres guerres des Romains, et surtout celles d’Espagne. (…)

4) Un livre sur l’art militaire (3) : Ausone de Popma en a commenté les fragments qui nous restent (…)

5) Un livre sur l’éducation des enfants (…) (4)

6) Des préceptes sur les mœurs, en prose et non en vers.

7) Des apopthegmes.

8) Un traité de médecine renfermant le détail des traitements employés par Caton dans les maladies de son fils, de ses domestiques, de ses esclaves.

9) Des lettres citées par Pline, Festus, Priscianus.

10) Des livres de questions épistolaires (citées par Aulu-Gelle, liv. 7, c. 20).

Plutarque a écrit une vie de Caton; Cornélius Népos en avait aussi composé une, à la prière d’Atticus; mais il ne nous en est parvenu qu’un très-court extrait (5), fait, ainsi que les autres vies qui portent le même nom, par Emilius Probus, grammairien du 6e siècle. C’est dans Tite-Live qu’on trouve les meilleurs et les plus nombreux renseignements sur la vie publique de cet homme célèbre. Cicéron l’a mis en scène d’une manière intéressante dans son traité De Senectute. On a imprimé à part Vita Catonis ex Plutarcho, per Pelrum Nannium, Louvain, 1540. Théodore de Bèze a fait une tragédie latine intitulée Caton le Censeur


(*) Tout en conservant les repères chronologiques adoptés par l'auteur de cet article, nous renvoyons le lecteur au champ "Biographie en résumé" pour les années généralement retenues des événements marquants de la carrière de Caton.

Notes
(1) Ce doute nous paraît peu fondé. Ce traité, à la vérité, a beaucoup souffert des injures du temps; le commencement et la fin manquent, l’ordre des matières semble même avoir été interverti; mais l’antiquité du style et les préceptes de cette sévère économie, si bien d’accord avec le caractère connu de Caton, portent à croire qu’il est véritablement de lui. Il y recommande de vendre les esclaves qui sont devenus incapables de servir, soit par l’âge, soit par les maladies; et non seulement le bon Plutarque le blâme avec raison d’avoir mis en pratique cette maxime barbare, mais il semble ne pouvoir lui pardonner d’avoir vendu en Espagne le cheval qui lui avait servi à faire la guerre, afin d’épargner la dépense qu’il lui en aurait coûté pour le ramener. Après avoir commencé par quelques détails sur les libations, les sacrifices et la médecine, l’auteur du traité De Re rustica passe à la description des instruments aratoires, et traite ensuite de la culture des champs, de celle de la vigne, de l’olivier, des arbres fruitiers; il parle des différentes espèces de greffes et de marcottes. On voit qu’il avait des notions assez justes sur les assolements et les prairies artificielles; il ne néglige pas les objets de pur agrément, et il fait l’énumération des plantes odorantes, ou des fleurs agréables dont il veut que le jardin soit formé. (…)
(2) Son traité de l’éloquence ne nous est connu que par deux passages; c’est probablement le plus ancien traité de ce genre qui ait été composé en latin. (…).
(3) On ne sait pas exactement quel était le titre de cet ouvrage. Aulu-Gelle et les autres grammairiens disent toujours De re militari, au lieu que Pline et Végèce indiquent De disciplina militari.
(4) Il ne paraît pas bien prouvé que Caton ait composé un traité sur ce sujet. La remarquable sollicitude avec laquelle il veillait sur l’éducation de son fils avait engagé Varron à intituler un traité sur l’éducation des enfants : Cato, sive de liberis educandis, cq eui a donné lieu à la méprise de Pontanus, qui, en lisant ces mots dans Varron, s’est empressé de grossir la liste des ouvrages de Caton. Cette faute a été copiée par une foule d’autres érudits; mais elle a été relevée par M. Leclerc, dans son cours d’éloquence latine à la faculté des lettres (année 1834).
(5) À la réserve cependant de celle d’Atticus, qui nous est parvenue tout entière.


Extraits de "Caton l’Ancien", dans Louis-Gabriel Michaud (dir.), Biographie universelle ancienne et moderne: histoire par ordre alphabétique de la vie publique et privée de tous les hommes... Tome septième (Carne-Chassipol). Ouvrage rédigé par une société de gens de lettres et de savants. Nouvelle édition revue, corrigée et augmentée. Paris, A. Thoisnier Desplaces, Michaud, 1844, p. 229-232

* * *


L'art oratoire de Caton

«Un seul homme représente pour nous l’éloquence autochtone, Caton le Censeur. Très admiré par Cicéron, étudié avec passion par les archaïsants du IIe siècle, il revit dans de nombreux fragments et montre ce que peut faire l’esprit latin sans le secours de l’art grec.

C’est un esprit moraliste et didactique. Caton définit l’orateur « un homme de bien qui sait parler », et en effet l’enseignement moral tient une large place dans ses discours. S’il veut exhorter des soldats à se dévouer pour la patrie, il leur fait un vrai cours de morale :

Cogitate cum aminis vostris, si quid vos per laborem recte fecetritis, labor ille a vobis cito recedet, bene factum a vobis, dum vivitis, non abscedet. Sed si qua per voluptatem nequiter feceritis; voluptas cito abibit, nequiter factum illud apud vos semper manebit. («Quand on se donne de la peine pour accomplir une bonne action, la peine s’en va, le bien reste. Lorsque au contraire on agit mal en vue d’un plaisir, le plaisir disparaît et le mal demeure. »)

La même solennité pédantesque se retrouve dans ses distinctions entre l’amour et la passion, entre les mots festinare et properare :

Qui unum quicquid mature transigit, is properat; qui multa simul incipit, neque perficit, is festinat. (Faire tout en temps utile, c’est se hâter; tout commencer et ne rien finir, c’est se presser. »)

La race romaine aime aussi à railler : Caton est un satirique qui prend tous les tons qu’on rencontrera plus tard chez Horace et Juvénal, de l’invective ardente à la plaisanterie amusante. Tantôt il raille spirituellement les généraux trop gros qui ne peuvent plus combattre, les bavards « qui ont la rage de parler, comme les hydropiques celle de boire », les raffinés qui chantent des vers grecs en dansant et en prenant de belles poses. Tantôt il s’élève et s’échauffe; il se déchaîne contre les magistrats cruels, il flétrit les concussionnaires :

Fures privatorum furtorum in nervo atque compedibus aetatem agunt; fures publici in auro atque in purpura. (« Les voleurs privés vivent dans les chaînes, les voleurs publics dans l’or et la pourpre. »)

Tantôt il s’abaisse jusqu’à des jeux de mots populaires, à des calembours (Fulvius Nobilior, qu’il appelle Mobilior). C’est toujours la satire romaine, âpre et bouffonne tour à tour. L’ironie est si naturelle chez lui qu’elle s’exerce quelquefois aux dépens de ses propres clients. Quand il plaide pour les Rhodiens révoltés, il trouve le moyen de dire des vérités désagréables à la fois aux Romains et aux Rhodiens; lorsqu’il intervint en faveur des exilés achéens qui demandent à rentrer dans leurs foyers, c’est avec un dédain cruel : « Que nous importe que ces vieillards soient enterrés par des fossoyeurs grecs ou romains. »

Mais cette éloquence, si originale par sa gravité dogmatique et sa verve satirique, n’ignore pas toute espèce d’artifice. Caton est bien trop rusé pour négliger les moyens de faire valoir ses idées; Cicéron a raison de louer chez lui l’abondance des figures, car, sans avoir consulté les manuels de Tisias ou d’Isocrate, il a ses procédés de composition et de style. Pour mieux frapper ses auditeurs, il emploie la prétérition. Dans le discours où il rend compte de ses dépenses, il représente faisant ses calculs avec son secrétaire, et lui disant d’effacer tout ce qui prouve ses économies, car, dit-il, le peuple ne veut pas que les magistrats soient économes : Dele; nolunt audire. – L’amplification, si chère à Cicéron, ne lui est pas non plus inconnue. Qu’on lise le passage où il retrace le supplice infligé par un préteur à des citoyens romains :

Quis hanc contumeliam, quis hoc imperium, quis hanc servitutem ferre potest?… ubi societas? ubi fides majorum?… Quantum luctum, quantumque gemitum, qui lacrumarum, quantumque fletum factum audivi!… (« Qui pourrait supporter cette injure, cette tyrannie, cette servitude?… Où sont les droits de alliés? Où est la bonne foi des ancêtres?… Quels deuils, quels gémissements, quelles plaintes, quelles larmes! etc. »)

Ce n’est pas encore le développement large et majestueux de Cicéron dans les Verrines; mais il y a déjà là une abondance et une chaleur voulues. – Enfin, le style lui-même est plus travaillé qu’on ne pourrait s’y attendre. Caton ne se contente pas de la première expression venue, il cherche ses mots, les redouble, les accumule comme Cicéron; parfois c’est un bavardage stérile, parfois aussi cela donne plus d’énergie à son éloquence :

Decem funera facis, decem capita libera interficis, decem hominibus vitam eripis, indicta causa, injudicatis, incondemnatis. (« Tu commets dix meurtres, tu fais périr dix citoyens libres, tu enlèves la vie à dix homme, sans défense, sans jugement, sans condamnation. »)

Il y a là un art un peu gauche, mais déjà ingénieux.»

RENÉ PICHON, extrait du chapitre V (La prose archaïque) de son Histoire de la littérature latine. Deuxième édition. Paris, Hachette, 1898, p. 123-126.

Articles


Le médecin grec vu par Caton

Jacques Dufresne
La cité qui a conquis le monde dans l'Antiquité, Rome, avait refusé longtemps de se faire conquérir par les médecins. Les premiers médecins grecs ayant immigré à Rome furent expulsés sous prétexte qu'ils ramollisaient les moeurs de la grand

Vie de Caton

Plutarque



Articles récents