Réflexions d’un Français sur les Sokols

Daniel Essertier

« Les Sokols tchèques se voulaient "la pierre angulaire de l’identité slave". Ils développaient aussi une théorie solidariste de la citoyenneté aux accents humanistes et rationalistes. (...) 

Le Sokol est donc avant tout un gymnaste citoyen, responsable, sachant développer ses capacités physiques et forger son esprit aux idéaux démocratiques. La fraternité est l’un des concepts clefs de l’idéal sokol car chaque gymnaste contribue à l’édification du "Temple de l’Avenir" » (Jean-Philippe Saint-Martin, « Les Sokols tchécoslovaques, un symbole de l’identité slave entre les deux guerres mondiales », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique « Sport et propagande en Europe (XIXe-XXe siècles) », no 88, 2002) 

Il n'est rien que j'admire plus en Tchécoslovaquie que les Sokols. Mais les Sokols sont bien autre chose et bien plus qu'une société modèle de gymnastique.

Je ne sais à quel signe recourir pour donner une juste idée de leur puissance. — Leur nombre? Créés en 1862, ils étaient 10 000 en 1871, ils sont 560 000 aujourd'hui. La constance de leur progression ? Dès 1882, elle est vertigineusement ascendante, en 1905, les femmes et les enfants sont enrôlés, il y a des familles dont tous les membres sont sokols. Leurs ressources ? Les fêtes fédérales entraînent des millions de frais, et le «Slet» qui aura lieu au mois de juillet dépassera en ampleur, en magnificence tous les précédents: les Sokols feront face à toutes les dépenses, ils n'acceptent rien de l'Etat.

Le signe que je cherche n'est pas extérieur, matériel. Ce mouvement des Sokols, c'est l'élan même d'une nation qui n'a pas voulu mourir et qui, aujourd'hui, sait bien qu'il est encore plus malaisé de conserver la liberté que de la conquérir. La Maison des Sokols — il en est jusque dans les plus petits bourgs — c'est vraiment le temple de la patrie: non loin du Stade, non loin des agrès de gymnastique, on trouve la bibliothèque, la salle de conférences; les moniteurs, les aînés sont penchés avec sollicitude sur tous ces « jeunes » qui représentent la force physique et morale du pays. En vérité, je ne vois rien qui définisse mieux ce mouvement: il se confond avec la vitalité et la fierté nationales. Et quand on l'étudié de près, tout contribue à accuser ce caractère. Il vaut la peine de l'étudier de près. Qui ignore les Sokols, ne peut prétendre savoir ce que c'est que la nation tchécoslovaque. Et il méconnaît par surcroît un des plus beaux instruments que l'humanité ait inventés pour s'élever à plus de dignité, de noblesse, décourage. Les Sokols, c'est le meilleur de l'hellénisme adapté à notre monde moderne; c est le plus puissant antidote de l'industrialisme, de ses maladies, de ses vices et de ses laideurs.

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La part que les professeurs ont eue dans la renaissance de ce pays est considérable et elle frappe tous les étrangers. Voici que Tyrš, le fondateur des Sokols, était, lui aussi, un professeur. C'est d'ailleurs moins surprenant si l'on songe qu'il n'y a pour ainsi dire pas d'aristocratie et que la bourgeoisie possédante a toujours été plus ou moins encline à se ranger du côté du pouvoir. Qui donc pouvait redresser ce peuple, sinon les « intellectuels »?

Tyrš débuta par le pessimisme. Il écrivit une Introduction historique à la philosophie de Schopenhauer. Il était de santé faible et la fortune ne le gâtait pas. Il eût pu élaborer un système qui justifiât, sinon le découragement, du moins une acceptation résignée. Mais dans la frêle enveloppe du jeune philosophe couvait une énergie ardente. Peut-être s’alluma-t-elle à la ferveur patriotique qui commençait à embraser tous les coeurs autour de lui. De la dure loi de Darwin, Tyrš tira l'idée de la nécessité, de la sainteté de la lutte, pour un peuple qui veut vivre, et tout un programme d'éducation nationale. Santé physique, santé morale, beauté, effacement volontaire de l'individu devant la collectivité, discipline librement acceptée, tel est l'idéal de Tyrš et tel sera l'idéal des Sokols.

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Il n'est pas sûr toutefois que Tyrš aurait réussi, à lui seul, à décl[e]ncher un tel mouvement: il fallait un homme d'action, un homme d'affaires, un réalisateur: il se rencontra dans la personne de Henri Fügner. Mais ce business man est aussi un idéaliste: il est épris d'art et de philosophie, et surtout il rêve de liberté, de grandeur nationale.

La foi, l'abnégation de ces deux hommes font des prodiges.

«L'élite donne. Appui moral de hautes autorités comme Purkynĕ et Palacky; concours direct de Charles Maydl, professeur à l’Université, chirurgien de renommée universelle, du laryngologue Frankenberger, de Skuhersky, qui allait devenir recteur de l'Ecole des Hautes études techniques de Prague; d'hommes politiques, de juristes et d'écrivains tels que le professeur Tonner, Ed. Grégr, Jules Grégr, Thomas Černy, qui devint plus tard maire de Prague, Emanuel Engel, député, et cent autres. Tous ont contribué à la fondation, ou ont été moniteurs des Sokols de Prague. Mentionnons à part le nom de Joseph Manes, le grand peintre national, et celui de Madame Podlipská, la femme écrivain si aimée du public.

« Le peuple, lui, est trop arriéré pour discerner encore nettement l'importance de l'oeuvre nouvelle. D'ailleurs n'a-t-il pas entendu la Diète elle-même, par la bouche d'un haut dignitaire gentilhomme, juger la gymnastique un désordre condamnable? Il demeure hésitant. Il faut pour le décider des symboles, des devises à son usage. Ce sera d'abord le nom de Sokol lui-même. Le Sokol, c'est-à-dire le Faucon, c'est la force libre, c'est l'essor d'une aile puissante, c'est un bec et des serres robustes. C'est aussi, chez les Slaves du Sud, le héros, la jeunesse virile et forte. Puis, ce seront les formules usuelles: les membres du Sokol s'appellent frères. Ils se saluent du sonore Na zdar (Ave! ou Bonne chance!). Enfin, ce seront la forme et les couleurs de l'uniforme choisi, avec sa chemise rouge garibaldienne, celles des étendards et des insignes, le son des trompettes, les commandements brefs et impératifs (1) ».

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Ceux qui mèneront la nation à la victoire, à l'indépendance, s'enrôlent sous l'étendard des Sokols. Sur une photographie qui date de 1890, on peut voir, les bras nus, en maillot de sokol, le visage encadré d'une barbe noire, le professeur Masaryk. Le pessimisme, qui avait effleuré Tyrš, ne toucha jamais ce rude lutteur, doué d'une énergie de fer, combatif, résolu, d'ailleurs enfant du peuple et du plein air, ami des exercices physiques. Mais ce Sokol est avant tout un penseur et un chef: il pose hardiment la «question tchèque » sur le terrain politique. Il n'est pas exagéré de dire qu'il voit déjà dans les Sokols les futures Légions libératrices.

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Non, ce n'était pas pour renforcer les armées impériales et royales que les Gymnastes tchécoslovaques avaient assoupli, durci, discipliné leurs muscles et leur volonté. Lorsque la Guerre éclata, « des phalanges deSokols prêts à combattre pour la patrie surgirent des quatre coins de l'horizon. Dès les premiers jours, les Sokols de Paris donnèrent aux armées françaises un bataillon de 600 Tchèques, qui s’illustrèrent en Artois, et dont 50 tombèrent au champ d'honneur. Ailleurs, en Italie, en Russie surtout, les Sokols internés comme prisonniers n'eurent qu'un souci, celui d'échanger la sécurité de leur camp contre de nouveaux combats, et de tourner leurs armes contre leurs maîtres.

« L'esprit des Sokols anime les légions de Russie, de France, d'Italie, d'Amérique. Ces légions entreprendront, à travers les steppes sans fin de la Russie et de la Sibérie, une nouvelle anabase qui s'inscrit en lettres d'or dans l'histoire. Elles rentreront enfin dans la patrie, victorieuses (2)».

La fameuse Anabase des légions sibériennes me paraît moins surprenante par les faits d'armes et l'endurance physique que par la résistance que ces soldats déracinés, en pleine tourmente révolutionnaire, offrirent à tant de causes de désagrégation. Ici encore « l'esprit des Sokols fut une sauvegarde pour les Tchécoslovaques ». Il les protégea contre les influences dissolvantes auxquels ils étaient dangereusement exposés.

« Pour tous les légionnaires tchécoslovaques, les Sokols étaient d'ailleurs l'image de la famille et de la patrie. Comme les Sokols, ils s'interpellaient, simples soldats ou gradés, du nom de frère; comme eux ils se tutoyaient. Les exercices de gymnastique auxquels ils se livraient, sur le front comme à l'arrière, marquaient des repos lumineux dans ces longues périodes de fatigue. Ils relevaient leur moral et leur rappelaient la patrie lointaine. « Sans les Sokols, avons-nous souvent entendu dire aux légionnaires, nous aurions vécu comme des bêtes (3) ».

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28 octobre 1918 ! Moment plein de gloire, mais aussi de fièvre et de dangers! Crise où peut périr, avant même que de naître, la dignité d'un peuple brusquement promu à la liberté ! Les appétits ne vont-ils pas se déchaîner, les rancunes s'assouvir? Les Sokols sont là. Le bel instrument, fourbi pendant tant d'années et qui vient de se révéler si merveilleusement propre aux oeuvres de guerre, n'est pas moins prêt à assurer l'ordre civique: « Les Sokols, exempts de tout esprit de vengeance, sans molester personne, remettent le gouvernement des affaires tchèques aux mains des représentants de la nation. Ils se font en même temps les défenseurs de l'ordre. Ils prouvent, par leur calme, par leur discipline, combien peu le peuple tchécoslovaque songeait à faire tort à autrui. Aussi comprend-on que la confiance du peuple dans les Sokols fût illimitée et que le Conseil National faisant fonctions de gouvernement provisoire ait confié à leur chef, M. Joseph Scheiner, le commandement suprême de l'armée ».

***

J'admire que cette société de gymnastique se soit délibérément proposé de développer l'homme tout entier. De l'enfant que les familles lui confient, du petit « faucon » qu'émerveille la fière allure, sous la chemise rouge ou le maillot d'exercice, de ses aînés, elle veut faire un corps robuste et souple, une intelligence ouverte, un coeur généreux, un patriote, un citoyen. Mais avant tout il faut que l'individu renonce à ses aises, à ses caprices, à son petit quant à soi. Quatorze mille gymnastes font, ensemble, à la même seconde, le même mouvement. L'effectif d'une division et demie. Pour obtenir un pareil résultat il faut une discipline de fer. Mais cette discipline est librement acceptée. Elle trempe les âmes qui en sentent le bienfait et qui la recherchent. Ce n'est point du dressage, du drill. Nul n'est enrôlé de force.

 

Sokols pratiquant des exercices de gymnastique. Photo prise à Tábor (Tchécoslovaquie), en 1924. 

Auteurs : Šechtl and Voseček. Source en ligne : Wikimedia Commons



De même que l'individu est à la fois libre et contraint, la « cellule » sokole, la section locale, est autonome et cependant sous le contrôle des unions régionales, et celles-ci, à leur tour, sont surveillées par la Fédération.

***

Les Sokols sont naturellement à l'affût des derniers perfectionnements des méthodes d'éducation physique. Et ce n'est pas sans quelque fierté que nous constatons que le système Hébert, adopté de bonne heure en Bohême, s'introduit de plus en plus dans leurs exercices. M. J. V. Klima en définit très bien l'esprit et les principes :

« Les anciennes méthodes se réglaient plus sur une gradation d'exercices dont les plus difficiles étaient destinés à faire l'admiration des spectateurs, que sur les besoins physiologiques de l'organisme humain. Aussi cette forme de gymnastique convenait-elle surtout aux personnes sédentaires, corpulentes, à qui elle permettait de se débarrasser de leur excès de graisse. Les méthodes actuelles, au contraire, exigent une tension musculaire réduite au minimum; les exercices corporels qu'elles prescrivent visent surtout à assouplir tous les muscles et à faciliter toutes les fonctions du corps humain. Les vieilles méthodes avaient pour but de fortifier la musculature; elles aboutissaient même assez souvent à l'hypertrophie de certains muscles, telle l'hypertrophie du biceps chez les gymnastes pratiquant surtout les exercices aux agrès. Les nouvelles méthodes, au contraire, tendent à équilibrer les diverses fonctions du corps, particulièrement en fortifiant et en régularisant l'activité du coeur et des poumons, ces deux organes du renouvellement des cellules. C'est pourquoi, outre des exercices exigeant un effort musculaire, elles préconisent des mouvements sans fatigue et des exercices rythmiques. (4) »

La gymnastique de Hébert est la gymnastique de l’homme débrouillé — marche, course, saut, lancement de poids, exercices à l'échelle, au mât ou à la corde, port de fardeaux, natation. Le but n'est pas l'athlétisme, mais la santé.

***

Et aussi la beauté. Lorsque, il y a trente ans, les sections féminines de Sokols commencèrent à s'organiser, elles pratiquèrent tout d'abord les méthodes d'exercices établies pour les hommes. Mais on s'aperçut bientôt que ces méthodes ne leur convenaient pas. La souplesse du système Hébert permit de donner à la gymnastique féminine une orientation nouvelle. Les danses rythmiques de Jacques Dalcroze furent adaptées à l'éducation physique, et un Tchèque d'Amérique, M. Čermák, écrivit un ouvrage où il introduisait dans la gymnastique des pas de danse et des mouvements esthétiques. Enfin les mouvements d'assouplissement inventés par M. Demény vinrent encore enrichir cette culture systématique de la beauté et de la grâce.

Tous les éléments étaient réunis. Restait à en faire la synthèse. Ce fut l'oeuvre d'un gymnaste et moniteur, rompu à la pratique comme à la théorie, M. Očenášek, et d'un musicien très versé dans la connaissance des danses populaires tchèques, M. Pospišil.

Les éléments rythmiques, les exercices de plastique musicale et d'eurythmie, ont été incorporés méthodiquement dans les exercices gymnastiques. Et c'est à « un véritable poème » de la beauté physique qu' on aboutit ainsi.

***

Or ce poème sera, si l'on peut dire, exécuté au cours des grandes journées de juillet. Je laisse ici encore la parole à M. J. V. Klima, qui est dans le secret des dieux. Les mouvements d'ensemble pour jeunes gens ont été, nous dit-il, composés par M. Očenášek :

« On y voit associés le rythme musical aux principes physiologiques. Accompagnés par la musique — orchestre ou choeurs — les exercices ainsi combinés sont beaucoup plus propres à faire valoir la beauté et l'harmonie de la gymnastique que les exercices conçus selon les anciennes méthodes, même lorsque ceux-ci bénéficiaient également d'un accompagnement musical. (...) L'ensemble prend aux yeux du spectateur l'aspect d'un symbole parfaitement clair. L'exercice se termine par un choeur entonné par des milliers de voix. On pourra s'apercevoir à la Fête fédérale que ces mouvements, dont certains sont en euxmêmes assez insignifiants, prennent, à la faveur de l'accompagnement musical et de l'idée qui s'y exprime, la valeur d'un véritable poème.

C'est aussi un poème que la scène allégorique des Sokols, qui mettra en pleine lumière les résultats de l'éducation rythmique. L'idée qui a présidé à sa conception est fort simple; c'est le retour du printemps et des travaux champêtres, la beauté printanière des champs de seigle qui ondulent sous le souffle de la brise; mais c'est aussi la lutte contre l'ennemi, suivie de la rentrée au pays et de la reprise des travaux de la paix. »


J'ai eu le privilège d'assister à une répétition générale de ces mouvements d'ensemble et de la grande allégorie nationale. J'ai vu cinq mille fillettes, sur le stade immense, dans un ordre parfait, s'avancer au rythme de la musique, lentement, comme une force irrésistible et à laquelle on ne songe pas d'ailleurs à résister. Et ce fleuve vivant est devenu un champ de blé qui ondulait mollement sous la brise, ou une vaste draperie aux reflets de moire, et je ne sais quoi encore de beau et d'émouvant qui fait que l'on comprend que la danse ait été sacrée autrefois et que l'on est tenté d'appeler «divine» cette foule humaine, jeune, fraîche, harmonieuse.

Quant à l'allégorie — c'est le thème éternel du sol natal, aimé, convoité, attaqué, défendu, sauvé et plus passionnément aimé encore pour le sang et les larmes qu'il a coûtés. Que pèsent alors les petites querelles, les dissensions politiques ? L'allégorie des Sokols est le symbole même de leur rôle dans la nation: ils unissent, ils réconcilient, ils tournent sans cesse tous les regards vers la seule réalité qui compte: la Patrie.

* * *

L'esprit n'est pas oublié par ces fervents du corps humain. Car qu'est-ce qu'une intelligence ratatinée et une volonté débile dans un corps robuste et « débrouillé »? Les Sokols s'occupent aussi de l'âme. On a assisté, en 1924, à ce spectacle curieux d'une assemblée de gymnastes prenant position en ce qui touche la question sociale, la question religieuse, la liberté républicaine, le droit égal de tous à la satisfaction des besoins matériels et intellectuels.

Aujourd'hui, plus de 2000 sections locales ont chacune leur bibliothèque littéraire — cela représente près de 500 000 volumes. 117 sections possèdent déjà leur salle de lecture. Conférences, représentations théâtrales, concerts, soirées littéraires, expositions — plus de 120 000 entreprises, en tout, pour la seule année 1924. Voilà, on en conviendra, pour une « société de gymnastique », un beau bilan.

Je me rappelle certaines sociétés où tout l'idéal était d'avoir un beau maillot blanc, une casquette à lisière, et de faire plusieurs fois le moulinet à la barre fixe. Elles passaient fièrement, musique en tête, par les rues de la ville et ne m'inspiraient aucune joie. Je ne voyais pas plus en elle l'espoir du pays que l'honneur de l'humanité. J'ai, je dois l'avouer, un sentiment tout autre en face des Sokols.

* * *

Je voudrais terminer par un trait qui m'enchante. Les Sokols sont des bâtisseurs. Je ne parle pas de leur magnifique Palais, la maison Tyrš, à Prague. Ce qui m'intéresse surtout, c'est que, de plus en plus, ils construisent eux-mêmes leurs propres locaux, non seulement avec leur argent, mais avec leurs bras. Depuis la guerre ces gymnastes-maçons ont fait des prodiges : ils possédaient, en toute propriété, 144 édifices, ils en ont maintenant 500. Toute cette activité est d'ailleurs soigneusement réglée : il y a, à la Fédération, une Section du bâtiment, qui a publié un traité de la construction des salles de gymnastique et terrains d'exercices. Les projets des sections locales sont soumis à cette Section. Lorsqu'elle a donné son approbation (souvent accompagnée de conseils ou de modifications) le travail commence.

«C'est alors, dit M. Krasny (5), que les Sokols entrent en scène. Toute la partie des travaux qui peut leur être confiée est exécutée par eux. Ils se font terrassiers, carriers, briquetiers, maçons. En particulier, tous les transports de matériaux sont assurés par leurs soins. L'enthousiasme étant communicatif, on voit même se joindre aux membres de l'association des personnes qui n'en font pas partie: parents et enfants manient à l'envi la pelle et la pioche, faisant office d'ouvriers et de manoeuvres. Tout cela gratuitement.

«Afin de régulariser cette main-d'oeuvre bénévole, les règlements des Sokols prévoient pour chacun d'eux, homme ou femme, un nombre déterminé d'heures de travail à fournir: de 50 à 100. Ces prestations de travail n'empêchent d'ailleurs pas les Sokols d'apporter à l'oeuvre commune des contributions volontaires de toute sorte: l'un a donné son temps et ses connaissances pour dresser les plans, un autre se charge de la surveillance des chantiers, d'autres mettent véhicules et attelages à la disposition de la société. Et plus d'un encore y ajoute des dons en argent, parfois considérables ».

Ainsi s'élève dans les moindres villes, souvent dans de simples villages, la Maison des Sokols.

« Elle s'élève, dit encore M. Krasny, en quelque site bien choisi neuve, claire, coquette et accueillante, temple à la fois de l'amour de la patrie et de l'éducation physique, et ressuscitant dans le monde moderne, selon l'idée profonde de Tyrš, le gymnase des cités antiques ».


Et c'est vrai. Et c'est vrai aussi que je n'ai jamais contemplé ces maisons claires où s'élabore une humanité meilleure, sans les envier pour mon pays.

Notes
(1) Gazette de Prague, numéro spécial, abondamment illustré et documenté, consacré aux Sokols. Nous y avons fait, dans cette étude, de fréquents emprunts.
(2) Les Sokols (numéro spécial de la Gazette de Prague).
(3) Commandant Procházka, Les Sokols (n° spécial de la Gazette de Prague).
(4) Les Sokols, «Gazette de Prague », numéro spécial, p. 50
(5) Gazette de Prague (« Les Sokols »).


 

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