La liberté
Quand on a tendance à pousser trop loin la foi en l'égalité et en la bonté naturelles de l'homme, on est enclin à lui octroyer une liberté plus grande que celle qu'il possède en réalité. D'où cette utopie de la liberté absolue, qui est très répandue aujourd'hui: on croit qu'on peut tout refaire à chaque instant, y compris soi-même. Chez l'homme, être vivant, la liberté est subordonnée à la mémoire, c'est-à-dire à la somme des déterminations biologiques et culturelles accumulées au cours de l'évolution. Un singe a la liberté de cueillir une banane dans la mesure où il conserve le souvenir de la façon de poser efficacement ce geste. De manière semblable, la liberté humaine est forte des déterminations sur lesquelles elle s'appuie. Certes, un excès de déterminations peut nuire au développement d'une personne, mais le manque de déterminations a le même effet. C'est le manque de déterminations qui est actuellement le problème, dans les familles comme dans les écoles, et non l'inverse. Les adultes ont de plus en plus tendance à s'incliner devant les caprices des enfants avant de leur avoir donné les éléments d'information qui les rendraient aptes à faire des choix véritables. Ils les abandonnent ainsi soit au vide intérieur, soit à des déterminations extérieures, celles de la publicité par exemple, qui les poussent dans une direction qui n'est en aucune manière celle de la perfection à laquelle ils sont appelés. Pour la même raison, on entretient dans les écoles comme dans les familles un préjugé favorable à l'égard de la table rase. Au cours des trente dernières années, on a tourné le dos à l'expérience accumulée avec une impardonnable légèreté. On en est ainsi venu, entre autres erreurs graves, à méconnaître le fait que l'un des meilleurs moyens d'acquérir la maîtrise d'une langue est de s'imprégner de sa musique, de sa couleur, de son esprit, en apprenant de grands textes par coeur.