Beethoven: ébauche de portrait
Finisseur du monde! Ainsi que ce qui tombe en pluie sur la terre et les eaux, qui, négligemment, par hasard, se dépose – se relève de partout, moins visible et joyeux d’obéir à sa loi, et monte, et flotte, et forme le ciel : de même s’éleva hors de toi la montée de nos chutes, et de musique envoûta le monde.
Ta musique : elle eût pu être autour de l’univers; non pas autour de nous. On t’eût construit un orgue dans la Thébaïde; et un ange t’aurait conduit devant l’instrument solitaire, entre les montagnes du désert où reposent des rois, des hétaïres et des anachorètes. Et, brusquement, il aurait pris son vol, de peur que tu ne pusses commencer.
Et alors tu te serais répandu à flots, fluvial, dans le vide, restituant à l’univers ce que seul l’univers peut supporter. Au loin les bédouins se seraient enfuis sur leurs chevaux, superstitieusement; mais les marchands se seraient jetés par terre, aux confins de ta musique, comme si tu étais la tempête. Et seuls quelques rares lions, la nuit, auraient rôdé très loin, autour de toi, effrayés par eux-mêmes, menacés par leur sang agité.
Car qui a présent te retirera des oreilles cupides? Qui les chassera hors des salles de concert, ces véniels dont l’ouïe stérile se prostitue et ne reçoit jamais? Voici de la semence qui rayonne, et ils se tiennent en dessous d’elles comme des filles, et ils jouent avec elle; ou bien la laissent tomber, comme la semence d’Onan, tandis qu’ils sont couchés dans leurs contentements inachevés.
Mais si jamais, maître, un chaste à l’oreille vierge était étendu contre ton son : il mourrait de félicité, ou il concevrait l’infini, et son cerveau fécondé éclaterait de trop de naissance.