Le pinceau du Titien
Mon père travaillait à un grand tableau, et il était au haut de l’échelle qui lui servait à peindre, lorsque des hallebardiers, leur pique à la main, ouvrirent la porte et se rangèrent contre le mur.
Un page entra et cria à haute voix : « César! » Quelques minutes après, l’empereur parut, roide dans son pourpoint, et souriant dans sa barbe rousse.
Mon père, surpris et charmé de cette visite inattendue, descendait aussi vite qu’il pouvait de son échelle; il était vieux; en s’appuyant à la rampe, il laissa tomber son pinceau.
Tout le monde restait immobile; car la présence de l’empereur nous avait changés en statues. Mon père était confus de sa maladresse et de sa lenteur; mais il craignait, en se hâtant, de se blesser. Charles-Quint fit quelques pas en avant, se courba lentement, et ramassa le pinceau. « Le Titien », dit-il d’une voix claire et impérieuse, « le Titien mérite bien d’être servi par César ». Et, avec une majesté vraiment sans égale, il rendit le pinceau à mon père, qui mit un genou en terre pour le recevoir.
Notes
1. Il s’agissait plutôt des duchés de Parme et de Plaisance, car il n’y a pas eu de duché de Florence.
2. Le pape Paul III (Alexandre Farnèse), né en 1468, succéda à Clément VII en 1534, mourut en 1546; il s’était allié à l’empereur Charles-Quint pour s’opposer au progrès du protestantisme, et, dans ce but, il parvint aussi à amener un rapprochement entre l’empereur et François Ier, roi de France. Dans la suite Paul III se détacha de l’alliance de Charles-Quint dont la trop grande puissance devenait dangereuse.
3. Charles-Quint, empereur d’Allemagne et roi d’Espagne (1500-1558); Charles exerça une très grande influence sur toutes les grandes questions religieuses et politiques qui agitèrent la première moitié du seizième siècle.