Les Temps modernes: la renaissance du sport

Pierre Coubertin
TEMPS MODERNES
Lorsque J.-J. Rousseau, en termes bien vagues, recommanda une culture physique qui d'ailleurs ne reposait point sur le principe sportif, il ne trouva guère d'écho 24. Un peu plus tard, un Américain de marque, Noah Webster, devait proclamer cette vérité audacieuse: «qu'une salle d'armes n'est pas moins nécessaire dans un collège qu'une chaire de mathématiques». Mais le Nouveau-Monde, pas plus que l'Ancien, ne répondit à l'appel. La période révolutionnaire et impériale est une des plus fermées à l'idée sportive. A la veille de la Révolution on voit, à Versailles, le comte d'Artois, épris de sport, faire venir un acrobate pour apprendre de lui à danser sur la corde raide; et le prince, bien entraîné, convie la cour à admirer son adresse. Mais devenu le roi Charles X, et encore beau cavalier, il ne songera même pas à encourager les goûts sportifs de ses sujets. Ceux-ci du reste ne s'en soucient guère. Et pourtant Charles X a, sous la main le leader désirable.

L'échec d'Amoros
Rien n'est plus instructif à suivre que la carrière obstinée et méritoire d'Amoros, ce colonel espagnol qui vers 1820, tenta de faire de Paris un grand centre d'éducation sportive. Tout semblait lui permettre d'y aspirer. Au lendemain de l'épopée napoléonienne, les sports ne devaient-ils pas trouver dans une paix agitée et énervante l'occasion la plus favorable pour se développer? Généralement Amoros est représenté comme ayant échoué, faute d'encouragement. Or ni la popularité ni l'argent ne lui manquèrent. Pas loin d'un million de francs lui furent remis. En 1821 l'État versait déjà 20.000 francs par an; en 1824, 32.000. Un énorme espace que recouvre aujourd'hui une partie du quartier de Grenelle avait été concédé à Amoros pour y créer son établissement modèle. On peut dire qu'à aucun moment, un système d'éducation physique ne fut si puissamment épaulé. Le gouvernement, l'université, les autorités militaires, les Écoles chrétiennes, tout le monde était d'accord pour vouloir du bien à l'œuvre; de partout les élèves affluaient. A partir de 1832 la générosité officielle se lassa et, cinq ans plus tard, le parc de Grenelle fut fermé. Cabales, injustices, maladresses d'Amoros trop autoritaire et parfois hâbleur... c'est entendu. Mais les élèves, comment expliquer leur dispersion? Des footballers vont-ils renoncer au foot-ball parce que leur club est dissous? Ils en formeront un autre. Or les exercices d'Amoros étaient bien plus aisés à reconstituer. Souvent on aurait pu les continuer chez soi. «Mais dès qu'a cessé l'espèce d'envoûtement à l'aide duquel le maître faisait passer en ses élèves sa propre conviction et sa propre volonté, tout s'est évanoui sans presque laisser de traces».

Jahn et Ling
En 1774, Basedow avait fondé à Dessau une école où les exercices physiques étaient en honneur. Dix ans plus tard, un de ses disciples en fonda une autre à Gotha, tandis que Pestalozzi à Yverdon cherchait aussi à réintroduire la gymnastique dans l'éducation et que Clias, officier suisse, ouvrait à Berne une «palestre» modèle. Tous ces établissements végétèrent; aucun ne créa d'enthousiastes élèves. C'est à un indiscipliné, fougueux, instable, médiocrement épris de sport pour lui-même, qu'il était réservé de soulever l'Allemagne. Ludwig Jahn ouvrit en 1811 dans le Hasenheide, près de Berlin, le «turnplatz», d'où allait sortir la régénération nationale. Un étrange patriotisme teutonique s'y installa avec lui. Les insignes des membres de l'association portaient ces chiffres cabalistiques: 9-919-1519-1811. C'étaient les dates du désastre de Varus, de l'introduction des tournois en Allemagne, de la célébration du dernier tournoi et de la création récente du Turnplatz 25. Ce symbolisme, ridiculisé en haut lieu, plut aux masses et gagna de proche en proche. Mais en 1819 l'assassinat de Kotzebue par un membre d'un Turnverein détermina une réaction violente des pouvoirs publics jusque-là plutôt bienveillants. Jahn fut arrêté et les Turners abolis. Ils se reconstituèrent vingt-deux ans plus tard, en 1842. A partir de 1860 le mouvement s'accentua. Au festival de 1861, à Berlin, 6.000 gymnastes participèrent et 20.000 en 1863 à celui de Leipzig 26. La nature des exercices pratiqués évoluait aussi. Jahn appelait le Turnplatz «un lieu de contestations chevaleresques». La course, le saut, la lutte, le travail des poids y étaient habituels. Peu à peu, sous l'influence d'Ad. Spiess qui enseigna de 1830 à 1848, à Giessen, puis à Darmstadt, les mouvements d'ensemble s'implantèrent et se répandirent parmi les Turners. Mais l'esprit général resta ce que Jahn avait voulu qu'il fût: énergique et rude, sportif par conséquent.

Très différentes étaient les caractéristiques de l'œuvre entreprise par Ling. A 17 ans, Ling, échappé de l'école, avait déjà couru l'Europe et fait tous les métiers: domestique, interprète, soldat de l'armée de Condé, etc. Rentré assagi à l'université de Lund, puis étudiant en théologie à Upsal, il passa de là à Copenhague où, croit-on, il reçut ses premières leçons d'escrime de deux émigrés français en même temps qu'il suivait l'enseignement donné par le danois Nachtegall, lequel venait d'introduire dans son pays la gymnastique allemande 27.

Plus tard, protégé par Charles XIV (Bernadotte) et Oscar 1er, il développa grandement l'Institut central de gymnastique fondé par lui à Stockholm en 1813 et dont il fut, durant un quart de siècle, le «premier professeur». Chose curieuse, Ling n'avait rien d'un scientifique. C'était plutôt un imaginatif et un empirique 28. Sa popularité naquit de ses efforts pour remettre en honneur les vieilles sagas scandinaves. Sans qu'on puisse déterminer exactement quels furent son rôle et celui de ses collaborateurs dans l'édification du «système suédois», la préoccupation de la lutte contre la maladie s'y affirma avec force dès le principe ainsi que le souci d'éviter toute exagération et, partant, toute émulation violente. C'est dans cette voie que la gymnastique suédoise n'a cessé de se développer, réalisant de beaux progrès et accomplissant des cures remarquables, mais tellement opposée à sa voisine la gymnastique allemande que la bataille entre elles ne pouvait manquer de se produire. Le heurt survint vers 1862; il fut violent. Le capitaine Rothstein, qui commandait alors l'Institut de Berlin (École normale de gymnastique, à la fois civile et militaire, créée en 1851) admirait Ling. Il supprima la barre fixe et les barres parallèles. Scandale et indignation dans les rangs adverses. L'université prit part à la controverse. Des célébrités comme le professeur Virchow n'hésitèrent pas à intervenir et Rothstein fut disgracié.

Ce conflit a eu une grande importance; il domine toute l'époque moderne. En effet, on y voit aux prises les deux tendances fondamentales dont la divergence ira s'accentuant au point de donner naissance à deux courants pédagogiques presque inconciliables; l'un se dirigeant vers la modération, l'unification, l'intérêt collectif et la physiologie pure — l'autre vers l'effort passionné, la culture individuelle, l'«esprit de record». Cette opposition, que nous avons vu s'esquisser déjà dans l'antiquité, a pris de nos jours une telle ampleur qu'elle a pénétré notre civilisation et s'étend peu à peu à tous les domaines.

Thomas Arnold; transformation de l'Angleterre
Malgré certaines apparences, on peut dire que rien au début du XIXe siècle n'indique que l'Angleterre soit prédestinée à devenir un foyer de renaissance athlétique 29. Nous l'avons laissée au moyen-âge se défendant contre la passion des exercices violents qui lui vient de France. Edouard III et Richard II ont rendu des ordonnances dans ce sens. Deux siècles plus tard, Jacques 1er éprouve le besoin d'encourager ses sujets en sens inverse. Mais son King's Book of Sports ne préconise guère que des «amusements» villageois tels que quilles ou mât de Cocagne et on sait que le foot-ball, trop énergique, n'a pas ses faveurs.

A la lueur de ce qu'elle est devenue depuis, l'Angleterre de 1800 passe pour très sportive à cause de quelques chasses au renard qui occupent le «squire dans son comté ou de quelques combats de boxe alimentés çà et là par des spectateurs mécènes qui provoquent la rencontre à coups d'argent 30. En réalité, il n'y a à agir dans un sens pseudo-sportif qu'un certain besoin de plein air engendré par l'excès des boissons alcooliques. Quant aux milieux scolaires, ils sont en proie à la plus affreuse brutalité. L'alcool et le jeu y règnent souverainement 31. C'est alors que surgissent le chanoine Kingsley et ses «muscular Christians» en réaction absolue, physique et morale, contre la dépravation du jour. Ils ne prêchent que par l'exemple, ne parlant pas mais trop vigoureux pour ne pas se faire respecter. On se moque d'eux par derrière; ils n'en ont cure et leur sportivité si saine commence à leur gagner des adhérents dans les universités 32. L'aviron en bénéficie grandement. La fameuse course Oxford-Cambridge qui vient de naître attire du monde. Une furieuse campagne de presse éclate. A quoi pensent ces gens? Ils vont abaisser le niveau des études, dénationaliser la jeunesse et la démoraliser... Cependant un clergyman inconnu a pris la direction du Collège de Rugby.

Thomas Arnold a peu de temps devant lui: une mort prématurée l'enlèvera au bout de quatorze ans (1828-1842) mais ce délai lui suffit à transformer la mentalité des professeurs et des élèves; il ne laissera aucun écrit sinon des lettres et des sermons, mais il créera la cellule de la rénovation britannique, l'institution dont l'influence va opérer comme une sorte de radium, obligeant de proche en proche les plus rebelles à imiter ce qui s'y passe.

Or la pédagogie arnoldienne a le sport comme rouage central, non qu'il y empiète sur les études ou prétende remplacer la morale, mais Arnold qui considère que «l'adolescent bâtit sa propre virilité avec les matériaux dont il dispose et qu'en aucun cas on ne peut la bâtir pour lui», organise le sport en terrain de construction à l'usage de ses élèves. Il les y introduit et les y laisse libres. A eux de s'y débrouiller, d'y apprendre la vie pratique, de s'exercer à doser la tradition et la nouveauté, à combiner l'entre aide et la concurrence... Qu'ils gouvernent en un mot leur petite république sportive et, comme elle est à base de muscles et de loyauté, leurs erreurs et leurs fautes n'auront pas grande conséquence, seront même salutaires. Aussi bien le maître est à portée, vigilant et aimant. Arnold professe, selon la formule que donnera plus tard un autre headmaster britannique, Edw. Thring, que «l'éducation est une œuvre de travail, d'observation et d'amour». Son intervention est rare, mais son regard est inlassable et ses conseils toujours prêts.

Remarquons que de tels principes sont absolument nouveaux; personne n'en a jamais conçu ni énoncé de pareils. Faire de l'organisation sportive remise aux mains du collégien et fonctionnant par ses soins l'école pratique de la liberté, c'est ce que ni l'antiquité ni le moyen-âge n'avaient même entrevu et ce sera la pierre angulaire de l'empire britannique 33 qui, au temps d'Arnold, est en train de s'édifier et dont on peut difficilement aujourd'hui apprécier les particularités architecturales si l'on fait abstraction de ses fondations scolaires.

Le collège anglais ainsi transformé a vécu indemne jusqu'au début du XXe siècle 34; depuis lors il tend à se détériorer sous l'action d'influences extérieures 35; ses rouages sportifs ne fonctionnent plus comme ils devraient, mais l'institution est encore assez forte pour trouver en elle-même les aliments de sa rénovation éventuelle.

L'adhésion des États-Unis
Après un vague et vain essai aux environs de 1825 pour s'intéresser à la question de l'éducation sportive, les États-Unis s'en étaient détournés. Entre 1830 et 1860 on eût là-bas de tout autres préoccupations. L'éloquence débordait de toutes parts: prolixe et tonitruante chez les politiciens, sombre et maladive chez les agitateurs religieux. «L'éloquence, disait Daniel Webster, est la peste de ce pays». Partout on parlait, on tenait des meetings et des revivals. Les étudiants déclamaient et versifiaient; on faisait tourner et parler les tables, on fondait des sectes contre nature et des sociétés puérilement secrètes 36. Dès le début de la guerre de Sécession, tout changea. La fermeté, l'endurance et l'action reprirent leur prestige, et, à partir de ce moment, les sports ne cessèrent de progresser. L'université d'Amherst donna l'exemple en établissant, en 1861, un grand gymnase bien équipé. Les Allemands émigrés qui avaient commencé de former des Turnvereine en souvenir de la mère patrie les unirent en une puissante North American Turnerbund. Les universités sans cesse enrichies par des legs et des donations 37 furent dotées de gymnases et de terrains de jeux perfectionnés cependant que des «camps de sport» s'établissaient chaque été dans les Adirondacks, groupant ceux qui souhaitaient mener pendant quelques semaines l'existence du cow-boy jadis méprisé et devenu le représentant d'une carrière enviée des petits Américains.

Les États-Unis ont introduit dans la vie sportive contemporaine — outre différents jeux dont les principaux sont le base-ball et un football Rugby modifié d'une façon qui le rend plus rude sans en accroître la valeur technique — quelques nouveautés intéressantes; en premier lieu l'Athletic Club.

Un Athletic Club américain, — tels ceux de New-York, de Chicago, de Boston, de San-Francisco, etc., — est une réplique en hauteur du gymnase grec avec cette différence essentielle que la fréquentation en est restreinte aux seuls membres du club et que le public n'y est pas admis. Édifice urbain comprenant une piscine, des salons et salles à manger, un gymnase, une salle de paume, voire même des chambres à coucher, l'Athletic Club dont les nombreux étages se terminent par une terrasse où l'on peut prendre un bain d'air ou patiner en hiver, possède souvent une annexe rurale avec jardins, terrains de jeux, étangs ou cours d'eau, etc. Il semble que de tels paradis sportifs soient faits pour inciter tous ceux qui y ont accès à la pratique des sports. Mais ce n'est pas toujours le cas. Une statistique publiée en 1908 indiquait comme faisant partie des groupements régionaux de l'Amateur Athletic Union (la grande Fédération des États-Unis), plus de 400 clubs avec un effectif d'environ 850.000 membres. La valeur immobilière représentée était de plus de 120 millions de francs, sans compter 3 millions d'engins et appareils répartis en 314 gymnases et 323 terrains de jeu. Voilà des chiffres impressionnants, surtout pour l'époque. Mais on note avec surprise que, par exemple, dans la région de Saint-Louis, il y avait 9.900 «inactifs» sur 13.579 membres. Dans l'ensemble on dénombrait 50.000 gymnastes, 43.000 adeptes des «athletic sports», 8.367 joueurs de balle, 1.482 lutteurs... C'est peu sur un pareil total 38. Les autres donnaient leurs noms et leur cotisations; ils n'avaient pas le temps de faire du sport eux-mêmes: Time is money. Depuis lors, les choses ont un peu changé. Il y a moins d'honoraires et plus d'actifs.

En matière de doctrine les Américains n'ont pas beaucoup innové sinon dans le détail. Un temps, ils se sont épris de 1'«homme normal» et ont cru pouvoir le construire scientifiquement à l'aide d'une anthropométrie perfectionnée. Ils ont d'autre part introduit le cœfficient corporel dans les examens et possèdent à Springfield (Massachussetts) où les célèbres Y.M.C.A. ont leur quartier général éducatif, une université musculaire de premier ordre. On y forme les «Directeurs d'Exercices physiques» que les Y.M.C.A. envoient dans le monde entier, partout où elles ont un de leurs cercles de jeunes gens.

La conquête de l'Europe continentale
Les deux instruments de cette conquête ont été le ski et la bicyclette. En face de l'Angleterre de plus en plus sportive se tenait (vers 1885), une Europe convaincue que le sport, particularité nationale de la vie britannique, ne saurait être nécessaire aux autres races: conviction qui ne déplaisait pas à l'insularisme des Anglais. Certes il y avait, çà et là, sur le continent, des groupes sportifs non négligeables mais ce qui les distinguait, c'est que leurs effectifs demeuraient stationnaires et que leur emprise sur l'opinion se trouvait presque nulle: amateurs de chasse à courre ou d'équitation de haute école, rameurs, escrimeurs (fleurettistes français, sabreurs italiens et hongrois). Seuls les gymnastes (turners allemands et suisses 39, sokols de Bohême, gyms français) préoccupés de préparation militaire et subissant un entraînement patriotique bénéficiaient d'un accroissement numérique d'ailleurs assez lent sauf en Bohême et en Allemagne. Mais leur programme d'action restait étroit et rigide.

Or en 1879 fut courue aux environs de Kristiania la première course de ski et, l'année suivante, fut fondé le «Kristiania Ski Club», premier du nom. C'est ainsi que le sport pris possession des régions scandinaves jusqu'alors plus ou moins monopolisées par la gymnastique médicale, étrangère et même hostile à l'idée sportive. La chose est d'autant plus étrange que le ski, venu sans doute d'Asie 40, était déjà pratiqué en ces régions il y a mille ans. Le roi Sveire, en 1200, avait un corps de skieurs émérites; Gustave-Adolphe de même. Au début du XVIIIe siècle, des compagnies régulières furent créées dans l'armée norvégienne et un peu plus tard, des écoles militaires ouvertes à Trondhjem et à Kongsvinger; en 1808 dans leur guerre contre la Suède, les Norvégiens avaient à leur disposition deux mille skieurs. Il n'en est que plus étonnant de constater combien de temps dut s'écouler avant que le sport n'annexe ce magnifique instrument 41. Quiconque en a fait usage peut se rendre compte de sa valeur de propagateur sportif engin de course et engin de saut, alternant l'âpreté de l'ascension avec la griserie de la descente, simple et peu coûteux, se portant sur l'épaule ou s'attelant à un cheval au galop, passant partout et permettant de doser l'audace depuis la sagesse jusqu'à la folie, le ski, dès que l'instinct sportif s'en empare, est fait pour conquérir le nombre en même temps que pour tenter le champion éventuel. C'est ce qui s'est produit. Par la trouée qu'il a faite, ont passé les autres sports d'hiver si intensément surexcitants: le hockey sur glace, «le toboggan», le «steel skeleton et l'«ice-yachting». Ainsi s'est éprise de sport toute une portion de l'Europe 42; la bicyclette a conquis le reste.

L'histoire du cyclisme, bien qu'encore à écrire, n'est pas ignorée dans ses grandes lignes. Au point de vue sportif, l'engin le plus intéressant fut certainement le «grand bicycle»; la génération actuelle ne le connaît plus que par de rares représentations: appareil élégant, amusant, volontiers dangereux, demandant autant de sang-froid que de souplesse mais qui nous semblerait aujourd'hui d'allures un peu lentes. En tous cas, il ne pouvait se généraliser, n'étant à la portée que de jeunes gens très alertes.

Leurs escouades, jusque vers 1885, sillonnèrent principalement les routes d'Angleterre et de Hollande; routes plates qui seules convenaient bien.

La bicyclette changea toutes les conditions du cyclisme; l'adjonction géniale de la chaîne et de la roue dentée lui ouvrit des perspectives inattendues d'agrément, de vitesse et de commodité. Le Touring-Club de France et les autres Touring Clubs aidant, le merveilleux engin, bientôt muni de pneumatiques, put devenir pleinement utilitaire sans jamais cesser d'être sportif. A ce dernier point de vue, la bicyclette apparaît comme l'agent d'un perfectionnement physique incontestable. En effet la coordination de mouvements rapides auxquels elle oblige ceux qui s'en servent développe en eux l'équilibre corporel et, d'autre part, elle crée «la soif d'air» qui est le grand incitant physiologique des sports modernes 43.

C'est précisément cette «soif d'air» qui a fait que toutes les formes de sport ont bénéficié des progrès du ski et de la bicyclette après avoir souvent, et bien à tort, redouté leur concurrence.

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