Laforgue à Berlin

Chronique des lettres françaises
En donnant sa démission de lecteur français auprès de l’impératrice d’Allemagne Augusta (femme de Guillaume Ier), Amédée Pigeon faisait agréer (1881) comme successeur J. Laforgue, un jeune poète alors inconnu, qui lui était recommandé par P. Bourget et Ch. Ephrussi, directeur de la Gazette des Beaux-Arts.

Laforgue, né à Montevideo (1860) d’une famille émigrée, avait fait ses études en France, à Tarbes, où il avait eu pour répétiteur Théophile Delcassé. En 1876, il arrivait à Paris ; il y devait vivre quatre années laborieuses et misérables, au cours desquelles il connut P. Bourget, Ephrussi, G. Kahn, fréquenta les Hydropathes et se consacra à de courtes études sur des sujets d’art.

Aussitôt présenté à l’impératrice, Laforgue fait sa première lecture ; le texte en était l’étude de Melchior de Vogüe sur Mazeppa. Il remplit ses fonctions de lecteur pendant cinq ans ; il lisait à l’impératrice Le Temps, Le Figaro, L’Indépendance belge, les Débats qu’elle trouvait plus clairs sur les affaires d’Allemagne que la Gazette de Francfort. Ses auteurs préférés étaient O. Feuillet, M. du Camp, mais elle était très éclectique et ne proscrivait guère que Renan. Laforgue, en dehors des deux heures que durait, chaque jour, la séance de lecture, était libre. Berlin l’ennuyait et il passait ses loisirs à travailler : c’est alors qu’il écrivit : Le sanglot de la Terre, Les Complaintes, L’Imitation de N.-D. la Lune, les Moralités légendaires. Il songeait à un roman, qu’il n’écrivit pas. Il envoyait des articles de critique à la Gazette des Beaux-Arts.

En 1866, il donna sa démission, pour épouser Miss Lee, une jeune Anglaise, qu’il ramena à Paris. Atteint de pleurésie, il mourait à vingt-sept ans.

Sur Berlin, il avait écrit un livre d’observations. Quelques chapitres de ce livre avaient paru, de son vivant, au Figaro, sous la signature de Jean Vien. Il a été écarté, on ne sait pourquoi, de ses œuvres complètes, parues au Mercure de France. Le manuscrit fut confié par son exécuteur testamentaire, Th. de Wyzewa, à M. G. Jean-Aubry qui l’a publié récemment, à la Sirène, avec une introduction. C’est un volume charmant, spirituel, rempli de fines observations, de portraits, où sont décrits l’aspect des choses, et la physionomie des mœurs (portaits de Guillaume Ier ; du futur Guillaume II ; de Bismarck ; de Mommsen ; etc., impressions de la rue, des promenades, des relèves militaires, des « biergarten », des « tabakerei »…).

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