Pour jamais
Antiochus fait ses adieux à Bérénice, qui lui préfère Titus, lequel fait passer la gloire avant l'amour.
Antiochus
Que vous dirais-je enfin? Je fuis des yeus distraits,
Qui me voyant toujours ne me voyaient jamais.
Adieu. Je vais le coeur trop plein de votre image
Attendre en vous aimant la mort pour mon partage.
Surtout ne craignez point qu'une aveugle douleur
Remplisse l'univers du bruit de mon malheur:
Madame, le seul bruit d'une mort que j'implore
Vous fera souvenir que je vivais encore.
Adieu
[...]
Je la verrai gémir; je la plaindrai moi-même.
Pour fruit de tant d'amour, j'aurai le triste emploi
De recueillir des larmes qui ne sont pas pour moi.
Titus
Mon coeur se gardait bien d'aller dans l'avenir
Chercher ce qui pourrait un jour nous désunir.
[...]
Les obstacles semblaient renouveler ma flamme,
Tout l'empire parlait: mais la gloire, madame,
Ne s'était point encore fait entendre à mon coeur
Du ton dont elle parle au coeur d'un empereur.
[...]
Mais il ne s'agit plus de vivre, il faut régner.
Bérénice
Hé bien! régnez, cruel; contentez votre gloire:
Je ne dispute plus. J'attendais, pour vous croire,
Que cette même bouche, après mille serments
D'un amour qui devait unir tous nos moments,
Cette bouche, à mes yeux s'avouant infidèle,
M'ordonnât elle-même une absence éternelle.
Moi-même, j'ai voulu vous entendre en ce lieu.
Je n'écoute plus rien, et pour jamais adieu.
Pour jamais! Ah! Seigneur, songez-vous en vous-même
Combien ce mot cru est affreux quand on aime?
Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous?
Que le jour recommence et que le jour finisse
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que de tout le jour je puisse voir Titus?
Mais quelle est mon erreur, et que de soins perdus!
L'ingrat, de mon départ consolé par avance,
Daignera-t-il compter les jours de mon absence?
Ces jours, si longs pour moi, lui sembleront trop courts