Gênes
L’aube fraîche d’avril a souri sur les monts
Et scintille en saphirs aux arêtes de neige;
Le glacier frémissant avec fracas s’allège
D’eaux qui brisent aux rocs leur essor et leurs bonds.
Notre route dévale entre deux bois profonds
Dont l’épaisseur nocturne environne et protège
Les toits épars contre le vent qui les assiège,
Vers les cités qu’on rêve et les jardins féconds.
Déjà souffle au soleil une plus molle haleine,
Le Printemps étincelle, et voici, dans la plaine,
Que les arbres fruitiers sont tout roses de fleurs;
Bientôt l’âpre ravin succède aux terres grasses,
Puis, sur la mer en fête où flambent les couleurs,
Gênes voluptueuse étage ses terrasses.
II
Entre le calme azur du frémissant matin
Dont l’heure triomphale est de printemps fleurie
Et, pure sous le ciel, la mer de Ligurie
Qui rêve en souriant jusqu’au Phare lointain,
Enfouissant dans l’ombre un chaos clandestin
De carrefours étroits où pullule flétrie
Et lamentable la gueusaille que charrie
Et que broie au hasard la houle du destin,
Du Môle et de l’Eau-Verte aux Fontaines-Moroses,
Albâtres, cipolins, porphyres, marbres roses
Qu’avive le soleil de reflets violets,
Debout au bord du golfe, où sa splendeur étale
Église après église et palais sur palais,
Se dresse en plein orgueil Gênes monumentale.
III
Du fond des Océans, des havres et des rades,
Pacifiques hérauts d’harmonieux dessins,
Les vaisseaux ont empli le port et les bassins,
Et déjà les marins préparent leurs aiguades.
Vers la ville de marbre et les roses façades,
Au gré des regrets lourds qui soulèvent leurs seins,
Ils invoquent les dieux, les héros et les saints
Penchés dans les grands parcs au bord des balustrades.
La voilure légère est arrondie au vent,
Ils ont appareillé, sont au large, rêvant
De souvenirs qui font leurs tâches plus cruelles;
Et toujours ils revoient, étranges pavillons,
Frémir, oripeaux d’or ou sordides haillons,
Les linges suspendus dans d’étroites ruelles.