Art religieux et art profane
Or, vous savez tous que, lorsque la religion ne vient qu'en second lieu, elle ne vient pas du tout. Dieu tolère bien des choses, dans le coeur humain, mais il en est une qu'Il ne tolère pas : c'est un rang secondaire. Celui qui n'offre à Dieu qu'un rang secondaire ne lui en offre aucun. Et il est une autre grande vérité que vous connaissez tous : c'est que celui qui fait de la religion son premier but, en fait son seul but, et ne peut travailler pour rien au monde que pour l'amour de Dieu.
C'est pourquoi je ne dis pas que l'art ancien soit plus religieux que l'art moderne. Ce ne peut être ici une question de plus ou de moins. L'art ancien était religieux, l'art moderne est profane, et la distinction qui les sépare est aussi nette que celle qui sépare le jour de la nuit.
121. — Ne vous laissez pas troubler l'esprit par cette objection que l'art, selon vous, ne devrait pas être mis au service de la religion. Il n'est pas question de cela maintenant ; ne vous en préoccupez pas. Le fait est que l'art ancien fut consacré à ce service et reçut, par conséquent, une certaine forme, et que l'art moderne n'a pas été consacré à ce service et a reçu, par conséquent, une autre forme ; telle est la grande distinction qui sépare l'art médiéval de l'art moderne ; on peut en déduire clairement toutes les autres.
C'est là le point de vue auquel je désire me placer afin d'éviter toute discussion. On peut se demander si la foi chrétienne s'épure dans la mesure où elle est privée des services de l'art ; je n'entends pas soulever cette question à présent ; mais il est indiscutable que l'art s'altère dans la mesure où il ne sert pas cette foi. C'est la seule chose qui nous importe, pour le moment.
122.- Peut-être y a-t-il quelques personnes, parmi vous, qui n'admettent pas que la religion régnant au XIIIe siècle appartienne au Christianisme. Même s'il en était ainsi, il n'en resterait pas moins vrai, et c'est le seul point que j'ai à prouver, que l'art devait sa grandeur à la religion existant à cette époque, à la glorification de laquelle il s'était voué. Excluez le catholicisme romain de la chrétienté — mettez-le, si vous voulez, sur le même rang que l'ancien paganisme — je vous répéterai que, quel qu'il soit, les fidèles vivaient et mouraient pour lui, et que sa pensée régnait en maîtresse dans leur esprit. C'est en travaillant pour ses dieux que s'est élevé l'art classique, c'est en travaillant pour les siens que s'est élevé l'art médiéval, mais l'art moderne n'a pas de grandeur parce qu'il ne travaille pour aucun Dieu.