Les technologies et la vie
Ces animaux et cet être humain que nous connaissons si peu. « Pis encore, les anthopologues soutiennent que l’être humain a été domestiqué par le chien. Eh oui ! Que lorsqu’il ne restait de toute la généologie humaine sur terre que l’homo sapiens de Neandertal, ce dernier pourtant fort robuste n’aurait pas survécu aux aléas de la vie d’alors sans le chien, sans la compassion de cet animal qui l’aurait aidé à survivre en lui prêtant son flair pour attraper à la chasse de la nourriture.
Dans nos sociétés modernes, le mot «évolution» rime souvent avec «technologie». Nous sommes passés de techniques hard — celles des industries, par exemple — aux techniques soft — celles des ordinateurs. Mais avons-nous pour autant évolué en notre for intérieur ? Tant de pays sont encore ensanglantés par des luttes territoriales, conflits et tensions qui durent. Voilà où nous en sommes, des prédateurs les uns pour les autres.
Certains animaux aussi se mangent entre eux à l’occasion. Et nous, nous dégustons les bêtes, et de petites bêtes nous rongent en retour. Les animaux que nous sommes font partie du paysage de la grande chaîne alimentaire et concluons avec David Suzuki que «tous les êtres vivants sont de l’herbe. Presque tout ce que nous mangeons est soit une plante, soit un animal qui se nourrit de plantes»… elles qui ont aussi leur propre système de défense faisant même appel au règne voisin. «Quand elle subit l’attaque d’un insecte herbivore, une plante peut également émettre des composés phénoliques qui attirent d’autres insectes se nourrissant de l’envahisseur1.» En regard des systèmes de défense que les humains inventent, sans comprendre la collaboration qui peut s’instaurer entre les règnes animal, végétal et minéral, en regard aussi de leur culture de surconsommation, plusieurs riches ou voulant devenir ou rester riches volant les pauvres et les ressources naturelles, en regard finalement des armes guerrières secouant la planète et de la démotivation des jeunes à vivre dans un climat de réchauffement des tensions des adultes, surexposées notamment dans des médias qui s’en nourrissent et d’autres qui en font des jeux vidéos, la grande question existentielle peut se formuler en «Être ou ne pas être», en «Être ou ne plus être» ou encore en «Être mangé ou manger»! Mais lorsqu’il n’y a plus de quoi se nourrir, ni physiquement ni psychiquement, le « ne plus être» est une conséquence inévitable et le «ne pas être» se présente comme un luxe inutile de la pensée.
Nous aurons dorénavant à satisfaire nos besoins élémentaires dans une perspective de développement durable. Car quoique partageant presque tout leur adn avec les singes, les humains d’aujourd’hui sont la dernière race d’hominidés sur terre et il ne reste pratiquement plus de singes. Et parmi les animaux, l’homme n’est pas génétiquement le mieux pourvu pour survivre à ses propres bêtises. Alors que les petites bêtes, elles, survivent même à nos technologies polluantes. «On sait maintenant que les cellules chromosomiques des salamandres renferment environ cent fois plus d’adn chromosomiques que celle des mammifères, humains compris. Personne ne sait à quoi servent ces nucléotides supplémentaires 2.» Mais on sait par contre que les fourmis, comme les blattes, résistent aux radiations de nos fours à micro-ondes.
Et que dire du tardigrade, cet invertébré se développant dans les filets d’eau et semblant y mourir lors d’une sécheresse. Rentrant ses pattes, il se déssèche aussi, perd jusqu’à 85% de son aquosité et entre en état de cryptobiose. En indestructible vit-il, supportant le froid absolu (-272 degrés Celsius ), une chaleur extrême (149 degrés Celsius ), les radiations. Une fois réhydraté, il sort d’une mort feinte.
Il est encore plus saisissant d’apprendre que même «complexe et unique dans sa pensée», l’homme est, «au niveau de son organisation, d’une simplicité et d’une banalité désarmantes3». Sans compter que l’on ne sait presque rien de la complexité et de la singularité de la pensée des bêtes, ou si peu de choses… On est par contre en mesure de constater l’originalité pour ne pas dire la science de certaines d’entre elles : pigeons voyageant grâce au magnétisme terrestre, yeux des vautours aux verres grossissants, requins au flair électrique, grillons entendant avec leurs pattes, escargots salivant avec deux mille dents sur la langue, lapins extrayant de leurs propres crottes la vitamine b1, vaches dormant debout, taons leur prélevant jusqu’à un demi-litre de sang par jour, bécasses au regard circulaire, hippocampes mâles portant les bébés, larves d’insectes battant leur urine en neige, libellule voyant trois cents images par seconde, nèpe respirant avec une paille dans son derrière, boas possédant treize paires de récepteurs thermiques autour des lèvres, nématodes des vers se désséchant pour reprendre vie à l’humidité, etc., etc., etc.
Nous pourrions même frôler la panique, une panique bien plus profonde que celle que peuvent provoquer les petites bêtes dont on a la phobie, en constatant que nous ne sommes même pas plus intelligents que nos propres ancêtres malgré nos technologies. «Cessons de confondre évolution technologique à évolution biologique. En reculant dans le temps se dégage certes “une tendance qui va vers la bipédie toujours plus perfectionnée, un accroissement de la taille corporelle, une augmentation du volume cérébral et une réduction de la face”. Pourtant, tous ces caractères n’évoluent pas de concert. Il y a 60 000 ans à peine, les Néandertaliens, guère plus corpulents que nous, avaient un cerveau plus grand (de l’ordre de 200 cm3). Il en était de même pour les hommes de Cro-Magnon… L’homme de l’an 2000, utilisant Internet, n’est pas différent, et certainement pas plus intelligent que celui qui a peint Lascaux4.»
Pis encore, les anthopologues nous affirment que l’être humain a été domestiqué par le chien. Eh oui ! Que lorsqu’il ne restait de toute la généologie humaine sur terre que l’homo sapiens de Neandertal, ce dernier pourtant fort robuste n’aurait pas survécu aux aléas de la vie d’alors sans le chien, sans la compassion de cet animal qui l’aurait aidé à survivre en lui prêtant son flair pour attraper à la chasse de la nourriture.
Les bêtes pensent, les bêtes ont des sentiments, des stratégies de survie, des technologies coopératives et même des codes de conduite. Il suffit pour s’en convaincre de regarder vivre les fourmis. Sociales, civilisées, organisées, les fourmis! On le constate en les croisant au printemps sur le parquet des cuisines, devinant qu’elles ont quelque chose de pressé à accomplir, et qu’on les voit, l’été, sortir d’un petit monticule de terre, parader en ligne ou tenir de hauts congrès sur des sujets que l’on ignore, les odeurs constituant la base de leur langage. Elles inspirent, les petites bêtes, par leur sens de la discipline et elles effraient tout autant par leur nombre. On sait maintenant qu’elles se partagent des rôles et accomplissent même des rites funéraires. Si ce n’est pas un signe d’intelligence sensible, c’est quoi alors?
1. D. Suzuki et W. Grady, L’arbre de la vie, Montréal, Boréal, 2005, p. 168.
2. Ibid., p. 111.
3. P. Picq, «De la nageoire à la patte», La plus belle histoire des animaux,
Paris, Seuil, 2000, p. 34.
4. P. Picq, Les origines de l’homme, Paris, Tallandier, 2005,
Ce texte est extrait de La beauté des petites bêtes que personne n'aime, Coll. Figures libres, Montréal, Liber, 2006