(...) En dehors de ses chants et des sentiments qui les inspirèrent, la vie d'Alfred de Musset fut élégante et vulgaire, car l'élégance du monde, et même du plus raffiné, peut être quelquefois vulgaire. Mais ce qui ne l'est point, ce fut son génie, son génie tout en âme, le plus puissamment humain et le plus puissamment moderne, - le plus
nous tous,
enfin, qui ait assurément jamais existé! Né dans les premières années du siècle, quand le canon de Wagram fêtait le baptême de ceux-là qui pouvaient avoir l'espérance de mourir un jour en héros, et qui, l'Empire tombé, ne surent que faire de la vie, Alfred de Musset se jeta aux coupes et aux femmes de l'orgie, comme il se serait jeté sur une épée si on lui en eût offert une, et il a peint cette situation dans les premières pages qui ouvrent les
Confessions d'un Enfant du siècle,
avec une mélancolie si guerrière! Comme tous les jeunes gens qui vécurent sous Louis-Philippe, ce triste
Napoléon de la paix à tout prix, en se dévorant d'activité étouffée, Musset, qui n'avait ni les millions ni la pairie de
lord Byron, devint homme du monde du temps, avec l'âme la moins faite pour le monde. Comme les élégants d'alors, il salit beaucoup de gants, blancs et jaunes, mais, moins superficiel que les autres, il livra le meilleur de sa jeunesse en proie aux plaisirs enivrants et aux cruautés de l'amour... L'extraordinaire poésie qui était en lui s'était éveillée dès l'enfance. A l'âge où Byron écrivait ses
Heures de Loisir,
si justement sifflées par la
Revue d'Edimbourg, Alfred de Musset débutait par les
Contes d'Espagne et d'Italie,
d'une couleur inconnue et immortelle, qui étonna le romantisme, lequel pourtant ne s'étonnait de rien! Ce fut pour avoir écrit un peu plus tard
Namouna,
Rolla et
Mardoche qu'on l'accusa d'imiter Byron, les veines de ces trois marbres ressemblant aux veines de ces trois autres:
Manfred,
Beppo,
Don Juan... Seulement pourquoi n'aurait-il pas
byronisé de nature aussi bien que d'imitation? ... Pourquoi n'aurait-il pas été un frère jumeau de Byron, à distance? ... Fatalement, l'atmosphère du temps saturée de poésie byronienne dut pénétrer jusqu'au fond de cette jeune poitrine. Mais quoi qu'il en ait été, du reste, ce qui est certain c'est que plus il chanta, plus Alfred de Musset perdit l'accent byronien, et fut plus
lui-même,
dans une
genuiness incomparable.
Jamais, en effet, l'amer, le sauvage, le strident Byron, n'eut, même dans ses œuvres qui
voulaient être tendres (comme, par exemple,
Parisina et
la Fiancée d'Abydos),
la tendresse, la pureté, la mélancolie au divin sourire d'Alfred de Musset. Jamais Byron n'eut de ces touches mouillées, de ces rosées d'éther... Byron rugit toujours un peu quand il roucoule; il veloute ses rugissements, mais c'est toujours le lion amoureux... Le caractère du génie de Byron, c'est la fierté, - une fierté incoercible. Le caractère du génie de Musset, c'est au contraire la tendresse, - la tendresse jusqu'au fond de la passion la plus ardente et plus forte qu'elle; car elle la fond toujours, cette passion, dans une dernière larme... Et il l'avait tellement, cette tendresse, qu'il en oublia le plus souvent dans les bras de celles qui l'aimèrent (et même pour cela il n'était pas toujours besoin de leurs bras!) cette vie de monde que le monde lui avait faite, à ce dandy qui ne l'était que par les habits de Staub et les gants de Geslin, mais qui, sous ses caparaçons de mondain garda toujours sa tendresse dans son incorruptible sensitivité... Hermine de pensée et de cœur jusqu'à sa dernière heure, qui mourut de ses taches encore plus que de ses blessures, pour qu'il fût bien et dûment puni d'avoir, étant hermine, cru qu'on peut se guérir de ses blessures en se roulant dans le ruisseau de feu du vice, comme le bison dans son bourbier! [...]