La grippe et la gangrène, analyse déviante des déviances de l’après-crise

Nicole Morgan

 Suite à son analyse des rêves avortés de l’après 2008, Nicole Morgan donne à réfléchir à ceux qui prédisent des lendemains qui chantent après la pandémie. Ce n’est en fait, pense-t-elle, ni un débat, ni une discussion mais un délire du refus des limites.  Les ultras de droite ne veulent aucune limite à leur prédation de la planète et ne veulent aucune responsabilité envers ce qu’ils appellent les parasites. Les ultras de gauche ont leur propre délire en refusant de limiter les droits des individus. Critique de Thomas Piketty.

« Vous ne voulez jamais qu'une crise grave se perde, car c’est une occasion en or de faire des choses que vous ne pouviez pas faire avant. » (Emmanuel Rahm, ancien chef de cabinet d’Obama)

La longue histoire des pandémies et ses hypothétiques leçons…

Les crises sociales brutales et sévères, telles les pandémies, sont autant de levers de rideau sur les jeux  de l’inconscient qui construisent le contrat social des sociétés humaines  ou si l’on veut reprendre la métaphore kantienne  sur « ce bois de charpente  dont l’homme est fait et, est qui  est si tordu qu’on ne voit pas comment on pourrait en équarrir quelque chose de droit »5. [i]   Et pourtant cela fait des siècles qu’on s’y essaie. On évite nœuds et torsions et l’on s’affaire, on rabote, on bâtit, on grée, on planifie, on raisonne afin de construire ou plutôt de reconstruire le droit.  Il faut prendre la métaphore kantienne à la lettre : le droit doit être droit.

Dans un livre fort intéressant au demeurant, paru en 2018,  Walter Scheidel nous parle donc de ces  «quatre cavaliers de l'apocalypse», venus des tréfonds de l’inconscient collectif, ces événements –guerres mondiales, révolutions, effondrements des États, pandémies–  qui rebattent si profondément les cartes d'une société que selon son hypothèse, elles réduisent massivement les inégalités [ii][iii] La peste, la variole et la rougeole ont ravagé des continents entiers avec plus de force que même les plus grandes armées ou les révolutionnaires les plus fervents ne pouvaient l'espérer. Dans les sociétés agraires, la perte d'une part importante de la population, parfois un tiers ou plus, due aux microbes a rendu la main-d'œuvre rare et a augmenté son prix par rapport à celui des actifs fixes et des autres capitaux non humains, qui sont généralement restés intacts. En conséquence, les travailleurs ont progressé et les propriétaires et les employeurs ont perdu avec l'augmentation des salaires réels et la baisse des loyers. [iv]

L’idée n’est pas nouvelle. Il existe depuis longtemps une théorie, nous dit Thomas Piketty, selon laquelle la fin du servage était plus ou moins une conséquence de la peste noire. L'idée était qu'avec jusqu'à 50% de la population anéantie dans certaines régions, la main-d'œuvre devenait rare et les travailleurs pouvaient donc se garantir de meilleurs droits et un meilleur statut...[v]   Ce qui manque aux modèles socio-économiques, nous répète-t-il, c'est l'inégalité - le fait que tous les groupes sociaux ne soient pas touchés de la même manière. 

En bon théoricien qu’il est, il brosse large. Dans son dernier livre[vi],  il soutient que les deux guerres mondiales étaient en grande partie le résultat de l'extrême inégalité qui existait dans les sociétés européennes d'avant la Première Guerre mondiale - à la fois au sein de ces sociétés et au niveau international, en raison de leur accumulation d'actifs coloniaux. Cette inégalité devenue extrême n'était pas durable et ce fut l'éclatement de ces sociétés :  première guerre mondiale, révolution russe, pandémie de 1918.  Le résultat de ces chocs cumulatifs a été une compression des inégalités au cours du demi-siècle suivant.  Et c’est ainsi rappelle Thomas Piketty  que  peste noire la peste noire qui en anéantissant  jusqu'à 50% de la population dans certaines régions, a créé une rareté d la main-d'œuvre..[vii]  . [viii],

Les exemples ne manquent pas continue-t-il mais on l’oublie lorsqu’il s’agit d’analyse cause et effet des crises.  Il le dit et il le répète : Ce qui manque aux modèles économiques qui servent de manuels, sinon de Bibles aux décisions politiques c'est  l’input de l'inégalité - le fait que tous les groupes sociaux ne sont pas touchés de la même manière. La présente pandémie serait un cas d’espèce. Il reconnaît qu’elle n’est pas toutefois la peste noire ni même la grippe dite espagnole de 1918. Les estimations de modélisation les plus pessimistes du nombre de morts éventuelles de la pandémie du COVI-19 - c'est-à-dire sans aucune intervention - sont d'environ 40 millions de personnes dans le monde. Cela correspond à environ un tiers du nombre de morts de la pandémie de grippe de 1918, ajusté en fonction de la population.   Elle se comparerait plutôt à la grippe dite de Hong Kong de 1968, une grippe l’A(H3N2) a  fait le tour de la planète en un an et demi, tuant au total un million de personnes dont 50.000 aux États-Unis et 31.000 en France.

On entassait les morts "dans les arrières salles des hôpitaux et dans les morgues" au plus fort de l'épidémie en France en décembre 1969, explique à l'AFP l'historien spécialiste des questions sanitaires, Patrice Bourdelais. Elle était spectaculaire : "Les gens arrivaient en brancard, dans un état catastrophique. Ils mouraient d'hémorragie pulmonaire, les lèvres cyanosées, tout gris. Il y a en avait de tous les âges, 20, 30, 40 ans et plus", se souvient le virologue Pierre Dellamonica en 2005 [ix] Mais il n’y avait pas de spectateurs. Aucune chaine de télévision ne filmait les couloirs submergés des urgences, n’interviewait les préposés aux Pompes Funèbres en pénurie de cercueils. Aucun gros titre dans les journaux à l'époque, aucune mesure gouvernementale ni même d'alerte médicale. Patrice Bourdelais qui occupe à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) la chaire "Population, épidémie et santé" nous apprend qu’au pic de l'épidémie en France, le 18 décembre, les journaux mentionnent une épidémie de grippe "stationnaire" (Le Figaro) ou qui "paraît régresser" (Le Monde)[x]   Il a fallu attendre 2003 et les travaux de l'épidémiologiste Antoine Flahault pour que soit réalisé le décompte des morts de cette épidémie en France.

Car on ne parlait que d’épidémie. Aujourd’hui on parle pandémie et le sujet occupe non pas une mais toutes les pages de journaux. Les pays dont les plus puissants en sont venus à décréter la fermeture des frontières et le confinement radical, des mesures qui furent réservées aux grandes épidémies de peste, dont celle qu’on appela la Grande peste qui hante encore la mémoire collective européenne[xi]..

Le sommet de la courbe

La raison profonde de cette montée au créneau mondial est de toute évidence la mondialisation qui restructure le monde et le fait, explique Thomas Piketty,  que nous sommes arrivés au sommet d’une pente ou les sociétés stables s’en allaient inéluctablement vers des inégalités plus fortes.[xii].  

De fait le dossier inégalité est de plus en plus accablant, au fur et à mesure que les données sont rassemblées. Aux États-Unis tout un rideau se lève une structure sociale qu’on ne remarquait plus. Ce qui interpelle vraiment, c’est le nombre impressionnant d’Afro-Américains pauvres contaminés par le virus. Le Washington Post rapporte ainsi que dans l’État du Michigan, 40 % des décès dus au Covid-19 proviennent de la communauté noire, alors qu’elle ne représente que 14 % de la population.[xiii] Les Afro-Américains sont et ont toujours été particulièrement vulnérables face à l’épidémie, explique une épidémiologiste spécialisée dans les aspects sociaux des maladies infectieuses[xiv], ils sont surreprésentés dans les emplois mal payés de domesticité ne peuvent se payer le luxe du télé travail, n’ont pas d’assurance pour une santé qui par ailleurs est défaillante. 

Autres pays, autres minorités pauvres, même bilan.  Le constat est général. On lira ainsi en première page du The Guardian l’analyse du bilan de santé de Montréal, une ville qui est au centre de la crise au Canada, le Québec étant maintenant le septième endroit le plus meurtrier au monde pour les décès quotidiens[xv] .

Au niveau mondial, Le Rapport sur les inégalités mondiales paru en 2018[xvi]  fait une synthèse déroutante pour tous ceux qui veulent croire au progrès. Le document témoigne d'une progression fulgurante des inégalités depuis 1980, même si le 1 % des gens les plus riches a vu sa part des revenus mondiaux fondre légèrement après la crise économique de 2008, à un peu plus de 20 %. Au même moment, la part des revenus engrangée par 50 % des gens les plus démunis a quelque peu grimpé, à un peu moins de 10 %. En 2016, le 1 % des gens les plus riches d'Europe recevait 12 % des revenus, comparativement à 20 % aux États-Unis. La tranche de 50 % des Américains les plus démunis a vu sa part des revenus fondre de 20 % en 1980 à 13 % en 2016.

 « L'inégalité des revenus varie beaucoup d'une région du monde à l'autre, peut-on lire dans le rapport. C'est en Europe qu'elle est la plus faible et au Moyen-Orient qu'elle est la plus forte. Les inégalités sont très différentes d'une région à l'autre. En 2016, la part du revenu national allant aux seuls 10 % des plus gros revenus [...] était de 37 % en Europe, 41 % en Chine, 46 % en Russie, 47 % aux États-Unis/Canada et autour de 55 % en Afrique subsaharienne, au Brésil et en Inde. »

Le document précise que les revenus des 10 % des gens les plus riches ont explosé depuis 40 ans; les gains les plus spectaculaires ont été notés en Inde, en Russie et aux États-Unis. Les inégalités sont demeurées stables au Moyen-Orient, au Brésil et en Afrique subsaharienne..   On conclut que « de très importants transferts de patrimoine public à la sphère privée » privent les gouvernements des ressources dont il a besoin pour combattre les inégalités, notamment en investissant en éducation et en santé. [xvii]

C’est allé trop vite, trop haut. La crise éclate et va forcer à un rééquilibrage. La presse s’empare de ce qui peut être présenté comme une bonne nouvelle.  Pour réduire les inégalités, peut-on lire en ligne sur Slate, rien ne vaut la peste noire ou une guerre mondiale.   .[xviii]

L’abcès ainsi percé on retrouvera une certaine stabilité outre que les gouvernements, en reprenant la gestion de la santé, pourrons gérer efficacement  les pandémies à venir. 

Ne nous rassurons pas trop. Si l’hypothèse voulant que les pandémies viennent et reviennent selon des cycles paraît fondée, il est moins certain que l’hypothèse égalitaire tienne la route. En tout cas pas aux États Unis qui, et ce sera mon argument, ne sont pas tant le dernier soubresaut d’un monde qui s’effondre que le modèle à venir que nous ne voulons pas voir.

LES ÉTATS-UNIS : VIVE LA CRISE!

Revenons un peu en arrière à la crise financière de 2008. Il y eut un moment quasi jouissif à l’époque. Le sobre penseur qu’est Paul Krugman n’avait pas caché sa joie et l’espoir qu’on allait enfin renégocier le contrat social et économique sur des bases plus saines. Et ce d’autant plus de chances de succès  qu’un nouveau président égalitaire se profilait dans les [xix]sondages.

Et pourtant son brillant chef de Cabinet du Président Obama,  Emanuel Rahm, connu pour son franc parler for imagé,  avait donné une leçon de Realpolitik en faisant remarquer que la crise bancaire n’était pas une mauvaise nouvelle pour la frange extrême du parti républicain. En fait les républicains se réjouissaient  autant (mais pas pour les mêmes raisons) que les humanistes rationalisant.  Le moto des ultra tient dans une phrase « Vous ne voulez jamais qu'une crise grave se perde». Ils veulent dire par là, continua Rahm que c'est une occasion de faire des choses que vous ne pouviez pas faire avant. ». On accélère l’effondrement et on s’empare des ruines.

Certes Barrack Obama avait réussi l’impossible : faire passer une assurance santé d’état (L’Obamacare). Mais ce fut avec d’immenses difficultés tant les initiatives étaient bloquées au Sénat au nom de ce bon peuple fictif, fabriqué de toute pièces et qu’on appelait le Tea Party. Le populisme financé et créé de toutes pièces par la finance  [xx] a joué les bulldozers permettant aux ultras du Sénat de se réclamer du peuple. Et c’est ainsi que la vague de privatisation et de fortes coupures dans les services publics ont continué de plus belle, tandis que les enfants continuaient à se faire massacrer dans la cour des écoles [xxi].  

L’arrivée au pouvoir de Donald Trump, préparée par cinquante années de propagande médiatique, la Fox en tête[xxii], transforma la vague en tsunami. En trois années, lui et son administration ont sapé toute la structure légale de l’État et abattu, une à une, lois et règlements environnementaux qui étaient sur le chemin de cette prédation totale. Et l’inégalité grimpa. Dès 2018, Le Magazine Forbes, qui suit à la loupe l’évolution des richesses a titré en première que l’ascension est inexorable : L'inégalité des revenus en Amérique poursuit son ascension inexorable. [xxiii]

L’espoir étant éternel, les idolâtres du progrès ont pu penser que l’ascension n’était tout simplement pas terminée au temps de la crise financière mais que l’abcès était enfin mur pour qu’une crise le fasse éclater.

Toute confinée que je suis, mais l’internet aidant, je peux sentir passer ce souffle de fébrilité optimiste qui me rappelle celui de la crise financière.  L’on parle de changement de paradigme, de prise de conscience de l’humanité, de renversements des valeurs, de science universelle, de retour au respect de la nature. Les mêmes vieux référents reviennent dans des scénarios qu’il s’agit de construire dans la hâte (droite, gauche, égalité, droits individuels, état de droit, valeurs humaines). L’humanité aurait enfin pris conscience des défis nous dit Yuval Harari, qui tente de répondre à la question : Ou allons-nous?[xxiv]Plus hésitant que Thomas Piketti, il reconnaît que la pandémie peut faire l’humanité comme la défaire. Je pense que le plus grand danger n'est pas le virus lui-même. L'humanité possède toutes les connaissances scientifiques et les outils technologiques pour vaincre le virus. Le très gros problème est nos propres démons intérieurs, notre propre haine, notre cupidité et notre ignorance. J'ai peur que les gens réagissent à cette crise non pas avec la solidarité mondiale, mais avec la haine, accusant d'autres pays, accusant les minorités ethniques et religieuses.   Mais il suppose, et c’est l’espoir des Lumières, qu’il existe une entité (l’humanité) qui a un choix et qui éclairée par sa prise conscience va agir en conséquence[xxv]  Bref on tirerait les leçons de l’histoire.

L’histoire nous apprendrait également qu’on en fait peu de cas, que les civilisations sont mortelles (Paul Valery) et qu’elles ne sont pas tuées mais se suicident (Arnold Toynbee) Revenons à ce qu’a dit Emmanuel Rahm « Vous ne voulez jamais qu'une crise grave se perde ». Et proposons l’hypothèse que, la pandémie aidant, de nouveaux pouvoirs sont en train de se mettre en place dans le monde.

Parlons enfin de Donald Trump qui partage avec la pandémie tout l’espace médiatique. Il captive : il est laid, il est bête, il est méchant, il est dément, il ment tout le temps, mais c’est bien pour cela qu’il a été élu président.  Dans le contexte d’une pandémie : il fait ce pourquoi il a été élu : il détruit le système de santé, déplace les fonds vers l’industrie pharmaceutique, et suivant comme seul vecteur la loi du marché et du profit débarrasse le monde de ceux qu’ils considèrent comme des parasites qui l’encombrent.  Son moto, inspiré par les délires d’Ayn Rand, est simple.  Ceux qui sont considérés comme parasites (malades, pauvres immigrés et fonctionnaires) peuvent mourir. On ne leur doit rien. Alan Greenspan, ancien président de la Réserve fédérale, la Banque centrale des États-Unis  et grand admirateur de la déésse du marché l’avait dit: « La justice est implacable. Les [entrepreneurs] créateurs dont le but inflexible est la rationalité atteignent les plus hauts degrés de joie et d’épanouissement. Les parasites qui évitent de manière persistante cette destinée périssent... comme il se doit . » [xxvi] Je précise bien le marché qui n’est pas le capitalisme. Ce n’est à vrai dire pas même une idéologie mais une religion[xxvii].

S’en souvient-on ? Cette loi implacable du marché était celle des lobbyistes de la Chambre de commerce de New York qui ont demandé l’abrogation de la loi qui permettrait aux pompiers du 11 Septembre d’obtenir des soins de santé sur le long terme, soins dont ils ont désespérèment besoin après avoir été exposés à des émanations toxiques dans les premiers jours qui ont suivi le désastre.  Se souvient-on qu’en septembre de la même année une foule dite populiste a hurlé « Oui » à la question « Doit-on laisser mourir quelqu’un qui n’a pas pris une assurance santé privée ? ».

Cette force qui soutient ces mises à mort a non seulement a précédé Donald Trump (qui n’est en fait qu’une marionnette publicitaire[xxviii]) mais va perdurer même s’il n’est pas réélu.  Lui et les grands prédateurs de la mondialisation ont précipité l’ascension au pouvoir d’une nouvelle oligarchie et, révolution digitale aidant, elle est là pour rester.  La proportion de terres appartenant aux cent plus grands propriétaires privés du pays a augmenté de près de 50% entre 2007 et 2017. En 2007, selon le Land Report, ce groupe possédait un total de 27 millions d'acres de terres, équivalent à la superficie du Maine et du Nouveau Hampshire combiné. Une décennie plus tard, les 100 plus grands propriétaires terriens possédaient plus de 40 millions d'acres. Leurs avoirs sont maintenant plus importants que la totalité de la Nouvelle-Angleterre. Même dans le vaste Ouest américain, où une grande partie des terres restent aux mains du public, les milliardaires ont créé de vastes domaines dont beaucoup craignent de rendre le reste de la population locale pauvre en terres.

Dans le passé, l'oligarchie était généralement associée à Wall Street ou à des dirigeants d'entreprises industrielles. Mais aujourd'hui, le groupe prédominant et le plus influent se compose de ceux qui sont au sommet d'une poignée d'entreprises méga-technologiques. Six entreprises - Amazon, Apple, Facebook, Google, Microsoft et Netflix - ont atteint une valeur nette combinée égale au quart du NASDAQ, soit plus que les 282 prochaines entreprises combinées et égal au produit intérieur brut de la France Sept des 10 entreprises les plus importantes du monde proviennent de cette industrie. Les géants de la technologie ont produit huit des 20 personnes les plus riches de la planète. Parmi les milliardaires du pays, tous les moins de 40 ans vivent dans l’État de Californie, dont 12 à San Francisco. En 2017, l'industrie technologique a produit 11 nouveaux milliardaires, principalement en Californie. Seule la Chine, qui abrite neuf des 20 plus grandes entreprises technologiques du monde, représente un défi pour leur domination.[xxix]

C’est un nouveau pouvoir universel organisé autour d’un un seul vecteur moral : la loi du marché réduit à un bilan comptable, manipulable digitalement.  On y discute la vie humaine non pas en termes de droits inaliénables mais d’utilité calculée par le chiffre. Tous les débats sur la pandémie sont en fait une discussion sur le PRIX DE LA VIE HUMAINE.

Ce n’est en fait ni un débat, ni une discussion mais un délire du refus des limites.  Les ultras de droite ne veulent aucune limite à leur prédation de la planète et ne veulent aucune responsabilité envers ce qu’ils appellent les parasites. Les ultras de gauche ont leur propre délire en refusant ne limitant pas les droits des individus. C’est un très long chapitre que j’ouvrirais dans mon livre à venir.

Résultat? Le délire de l’ultra droite utilitaire du marché est plus facile à vendre, ne serait-ce que parce la haine est plus forte que l’amour surtout dans les temps de crise et spécialement aux États-Unis qui depuis cinquante ans sont plombés par une propagande de dénonciation des démocrates qualifiés de maléfiques et de Grand Satan par ceux qui attendent l’Armageddon. Tous les problèmes du monde - aggravation des inégalités, réchauffement rapide de la planète, injustices de la pauvreté mondiale – n’en seront par conséquent que plus difficiles à résoudre[xxx].

Car ce n’est que le début de la discussion sur l’accès des individus à tous les biens et services que les États ne pourront ou ne voudront plus offrir aux nationaux et aux immigrés, réfugiés climatiques et politiques, dont le nombre va augmenter à un point qu’on a encore mal mesuré. 

Nous ne nous allons pas vers une société égalitaire mais vers ce que Richard Rorty appelait un grand triage[xxxi].

Nicole Morgan

Ottawa, le 20 Mai 2020

 

 

 

 

 

[2]

 


 

[1][1]

[2]

 


 

[i] Phrase de Kant dans l’opuscule Idée d’une histoire. C’est aussi le titre d’un livre de Berlin : Le Bois tordu de l’humanité : Romantisme, nationalisme, totalitarisme, Albin Michel, 1992.

 Rappelons qu’Isaiah Berlin, le penseur des idéologies modernes, utilisait l’adage kantien, comme un bâton avec lequel battre ceux qui essaieraient de construire le paradis sur terre, ou de mettre l'humanité dans une camisole de force de leur propre conception.

 

 

 

[iii]  The Great Leveler : Violence and the History of Inequality fromthe Stone Age to the Twenty First Century . Princeton History of the Western World 2018.

 

 

[iv] What Tames Inequality? Violence and Mayhem.  The Chronicle of Higher Education,

2 février 2017.  https://www.chronicle.com/article/What-Tames-Inequality-/239074

 

 

[v] Mais, reconnaît-il, cela s'avère plus compliqué que cela. À certains endroits, la peste noire a en fait renforcé le servage. Précisément parce que la main-d'œuvre était rare, elle devenait plus précieuse pour les propriétaires fonciers qui étaient donc plus motivés à la contraindre Interview de Thomas Piketty https://www.theguardian.com/world/2020/may/12/will-coronavirus-lead-to-fairer-societies-thomas-piketty-explores-the-prospect

 

 

[vi]  Notamment, Thomas Piketty nous explique qu’il existe depuis longtemps une théorie selon laquelle la fin du servage était plus ou moins une conséquence de la peste noire. L'idée était qu'avec jusqu'à 50% de la population anéantie dans certaines régions, la main-d'œuvre devenait rare et les travailleurs pouvaient donc se garantir de meilleurs droits et un meilleur statut.Capital et Idéologie. Paris Le Seuil. 2019

[vii] Mais, reconnaît-il, cela s'avère plus compliqué que cela. À certains endroits, la peste noire a en fait renforcé le servage. Précisément parce que la main-d'œuvre était rare, elle devenait plus précieuse pour les propriétaires fonciers qui étaient donc plus motivés à la contraindre I https://www.theguardian.com/world/2020/may/12/will-coronavirus-lead-to-fairer-societies-thomas-piketty-explores-the-prospect

 

 

[viii] Celle qu’on a appelé la grande peste noire  a tué de 30 à 50 % des Européens en cinq ans (1347-1352)  faisant environ 25 millions de victimes. Ses conséquences sur la civilisation européenne sont sévères et longues, d'autant que cette première vague est considérée comme le début explosif et dévastateur de la deuxième pandémie de peste qui dura, de façon plus sporadique, jusqu'au début du XIXe siècle. Et l'économiste italien Guido Alfani  de préciser  que la proportion de la richesse détenue par les 10% d'Européens les plus riches qui était de 65% avant la Peste noire est tombée à moins de 50% en un siècle environ

 

 

[ix] https://www.geo.fr/histoire/la-grippe-de-1968-une-pandemie-qui-na-pas-fait-de-vague-200598

 

 

[x] https://www.geo.fr/histoire/la-grippe-de-1968-une-pandemie-qui-na-pas-fait-de-vague-200598

 

 

[xi] La Grande Peste (ou peste noire) fut grande la bien nommée non seulement par le nombre des victimes qu’elle fit mais par les mesures radicales qui furent prises partout en Europe. Du Portugal à l’Écosse, nous dit Francine Michaud, en passant par l’Irlande, jusqu’en Italie, on était conscient que c’était très contagieux et les congrégations humaines, royaumes, duchés, ou ville état agirent en conséquence. Et l’on mit en place des mesures radicales dès 1348, au pic de l’épidémie. Distanciation physique :  en Italie on demande aux gens de rester chez eux, d’éviter les attroupements et surtout autour des cortèges funèbres. (Les prêtres qui donnaient l’eucharistie aux mourants les administraient à l’aide de baguettes). Des mesures de quarantaine vont suivre. Les grandes portes des villes étaient verrouillées. On interdisait le commerce, l’afflux d’étrangers dans la ville ou bien on limitait avec des sauf-conduits exceptionnels. [xi]  On apprit à administrer de mieux en mieux contrôlant son retour en 1582, 1592-93, 1603-04, 1606, et 1608-09. On surveilla particulièrement l’entrée de tous les grands ports européens.  Non seulement les navires dits pestiférés devaient se déclarer mais ils étaient placés sous stricte quarantaine.  Les décrets étaient sans appel, les portes des villes étaient verrouillées et on n’hésitait pas à abattre ceux qui voulaient s’enfuir. Il fallait empêcher à tout prix la propagation de la peste.

Le documentaire sur la peste de de Marseille au titre évocateur, La peste de 1720 : a-t-on sacrifié Marseille ?  est des plus informatif. https://www.youtube.com/watch?v=5ggaSA1eTEM

 

[xii] http://www.slate.fr/story/136541/inegalites-peste-noire-guerre-mondiale

[xiii] https://www.washingtonpost.com/nation/2020/04/07/coronavirus-is-infecting-killing-black-americans-an-alarmingly-high-rate-post-analysis-shows/?arc404=true

[xiv]  États-Unis : pourquoi les Noirs et les pauvres sont les plus touchés par le Covid-19

https://theconversation.com/etats-unis-pourquoi-les-noirs-et-les-pauvres-sont-les-plus-touches-par-le-covid-19-136538

[xv] https://www.theguardian.com/world/2020/may/13/coronavirus-montreal-canada-hit-hard

[xvi] https://www.carrefourtheatre.qc.ca/wp-content/uploads/2018/04/wir2018-summary-french.pdf

 

[xviii] http://www.slate.fr/story/136541/inegalites-peste-noire-guerre-mondiale

[xix]

[xx] Frank Rich. The Tea Party Will Win in The End

https://nymag.com/news/politics/elections-2012/tea-party-2012-10/

[xxi] https://jacobinmag.com/2020/05/neoliberals-response-pandemic-crisis

[xxii] Nicole Morgan. Haine rouge et peur blanche. http://agora.qc.ca/documents/haine_rouge_et_peur_blanche

[xxiii] https://www.forbes.com/sites/andrewdepietro/2020/01/07/income-inequality-rise/#50b937be22a8

[xxiv] Homo Deus, Une brève histoire de l’avenir. Albin Michel 2017

[xxv] https://www.dw.com/en/virus-itself-is-not-the-biggest-danger-says-yuval-noah-harari/a-53195552

[xxvi] Interview au New York Times (1958). Le contexte est donné dans l’article suivant consacré à Ayn Rand et ses disciples : http://www.nytimes. com/2007/09/15/business/15atlas.html?pagewanted=all.

 

[xxvii] https://www.theatlantic.com/magazine/archive/1999/03/the-market-as-god/306397/

[xxviii] Nicole Morgan http://agora.qc.ca/documents/haine_rouge_et_peur_blanche

[xxix] https://nypost.com/2019/12/25/how-america-is-reverting-back-to-the-feudal-age/

[xxx] https://www.theatlantic.com/magazine/archive/1999/03/the-market-as-god/306397/

[xxxi] https://www.nadirkitap.com/qui-sommes-nous-les-rencontres-philosophiques-de-l-unesco-kolektif-kitap13487596.html

 

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