Les cloches de Pâques

Alain
Comme j'écoutais les cloches de Pâques, qui jouaient un gai carillon, je perçus comme une buée sonore autour de la chanson ; cela faisait une autre musique ; cela faisait de la musique ; car le carillon n'était qu'une chanson vulgaire ; et les coups de cloche rythmés, précipités, redoublés, ressemblaient plutôt à des bruits qu'à des sons ; mais il en résultait, si l'on y faisait attention, des sons mariés, aériens, riches, chargés de développements. Mine d'or pour le musicien.

La véritable musique s'engendre d'elle-même, se produit d'elle-même par la richesse de son commencement. Rien n'étonne, tout est attendu, mais pourtant non prévu ; ces sons qui se rejoignent, s'écartent, s'accordent, se contrarient à point nommé ; ces sons que l'on perd et que l'on retrouve, comme les fils d'un tissu, ces échos obligés, ces compensations, ces chemins qui s'ouvrent, ces places nettes où la mélodie vient se loger comme une source dans le creux du terrain, cette plénitude parfaite des sons, cette conservation, cette renaissance dans la fuite du temps, voilà ce qui ravit. Sans aucune science, à ce que je crois, mais seulement par le génie de l'écouteur, qui discerne et qui sauve ce qui est viable à chaque instant, et éteint tout le reste ; car il faut convenir que la belle musique fait des marges de silence autour d'elle ; tout ce qui vibre doit entrer en elle ou périr. Au lieu que le mauvais musicien fait des bavures de bruit et comme de la charpie pour les oreilles. Bref la vraie musique se pose et existe par la nécessité ; la première note, par les résonances, en appelle d'autres ; cela commence comme un beau voyage ; on part ; les horizons glissent d'un mouvement assuré. Mais le mauvais pilote accroche sa gaffe, se prend dans ses cordes et dans sa toile, colle au rivage ; il y a ainsi des musiques à remous et à clapotis ; la moins mauvaise se sauve par l'obstination, toujours est-il qu'elle ne vaut rien ; je lui donne un prix de vertu, non un prix de musique. Il s'agissait d'écouter, et non de vouloir.

Sur quoi l'exécutant doit régler aussi son génie, s'il veut faire revivre une grande chanson. Car l'auteur n'a pas prévu tout ce que peuvent donner les premiers sons, selon l'instrument et l'édifice ; et c'est à l'exécutant de penser à ce qui va suivre, et d'en faire sortir une première esquisse, à partir du premier accord ; le chanteur par la force du gosier, naturellement préparé pour ce qui suivra ; le violoniste par le tremblé du doigt, qui choisit les sons accessoires en contrariant la corde ; le pianiste enfin par la pédale, qui lâche toutes les cordes à propos et les arrête à propos. Sans ces précautions et ce recueillement, la plus belle musique sera souvent médiocre à entendre. Et il faut dire que le plus difficile de tout c'est la première note. Vous êtes-vous demandé comment il se fait qu'un bel air soit beau dès son premier commencement ?

16 avril 1912.

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