La pauvreté n’est pas un opprobre

 20. La pauvreté n’est pas un opprobre. La vraie dignité de l’homme est dans ses mœurs.

 Quant aux déshérités de la fortune, ils apprennent de l’Église que, selon le jugement de Dieu lui-même, la pauvreté n’est pas un opprobre et qu’il ne faut pas rougir de devoir gagner son pain par le travail. C’est ce que Jésus-Christ Notre-Seigneur a confirmé par son exemple, lui qui, tout riche qu’il était, s’est fait indigent (17) pour le salut des hommes ; qui, fils de Dieu et Dieu lui-même, a voulu passer aux yeux du monde pour le fils d’un ouvrier ; qui est allé jusqu’à consumer une grande partie de sa vie dans un travail mercenaire. N’est-ce pas le charpentier, fils de Marie ? (18) 

Quiconque tiendra sous son regard le modèle divin comprendra plus facilement ce que Nous allons dire : la vraie dignité de l’homme et son excellence résident dans ses mœurs, c’est-à-dire dans sa vertu ; la vertu est le patrimoine commun des mortels, à la portée de tous, des petits et des grands, des pauvres et des riches ; seuls la vertu et les mérites, partout où on les rencontre, obtiendront la récompense de l’éternelle béatitude. Bien plus, c’est vers les classes infortunées que le cœur de Dieu semble s’incliner davantage. Jésus-Christ appelle les pauvres des bienheureux (19); il invite avec amour tous ceux qui souffrent et qui pleurent à venir à lui, afin de les consoler (20; il embrasse avec une charité plus tendre les petits et les opprimés. Ces doctrines sont bien faites certainement pour humilier l’âme hautaine du riche et le rendre plus condescendant, pour relever le courage de ceux qui souffrent et leur inspirer de la résignation. Elles pourraient diminuer cette distance que l’orgueil se plaît à maintenir ; on obtiendrait sans peine que des deux côtés on se donnât la main et que les volontés s’unissent dans une même amitié.

(17) 2 Co 8,9.
(18) Mc 6,3.
(19) Mt 5,3 : « Heureux les pauvres en esprit. »
(20) Mt 11,28 : « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai. »

Rerum novarum. Sur la condition des ouvriers. 15 mai 1891




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