La Belle Province ! Vraiment ?

Stéphane Stapinsky

Le rapport du think thank britannique ResPublica consacré à la place de la beauté au sein des communautés aurait avantage à être lu au Québec et au Canada. Car, « au cours des dernières décennies, le paysage architectural du Québec n’a cessé de se détériorer, de se dégrader, abandonné en toute liberté à des développeurs, promoteurs, constructeurs, trop souvent incultes. Nous avons laissé s’implanter ici la laideur, le standard, le tout-fait-vite, dans nos villes et nos villages. Les architectes, les urbanistes et les artistes ont été oubliés, mis de côté. »

On n’entend d’ailleurs pas beaucoup parler de beauté dans le discours des hommes politiques qui occupent ici le devant de la scène. Exception qui confirme la règle, le premier ministre Couillard y a fait allusion il y a quelques semaines, en affirmant, en réponse à une question d’un journaliste qui lui demandait s’il trouvait beau le nouvel amphithéâtre de la ville de Québec, que selon lui, en cette matière, « tout est relatif ». Les mots esthétique et éthique ne diffèrant que par trois petites lettres, oserions-nous demander si, en ces deux domaines, nous n'avons pas à Québec un gouvernement relativiste ?

Quant aux élections fédérales canadiennes, le mot « beauté » a-t-il même été prononcé une seule fois (dans les deux langues officielles, cela va de soi)? Il faut dire, au vu du désastre écologique et visuel que constituent les sables bitumineux de l’Alberta, le gouvernement Harper est assez mal placé pour prêcher en la matière…

Dans un texte réaliste et parfois sévère paru en 2014, le sociologue Guy Rocher cerne avec acuité les enjeux de cette question dans le contexte québécois. Il a l’intelligence de poser le problème de notre rapport à l’esthétique tant dans sa dimension politique que dans sa dimension privée, individuelle. Car notre individualisme nord-américain est sûrement l’une des causes de cette triste situation qu’il décrit. Voici quelques extraits de son texte.

« À un nouveau ministre de la Culture, le sous-ministre pourrait dire : Voyez large. Au sein du gouvernement du Québec, vous êtes le ministre responsable de la BEAUTÉ, comme d’autres de vos collègues le sont de la Justice, du Savoir, du Bien-être… Grave responsabilité sur vos épaules. Car les Québécois ont un très sérieux problème de rapport avec l’Esthétique, le Beau, la Beauté. (…)

Il y a un énorme travail à entreprendre pour faire vivre les Québécois dans la Beauté, celle des résidences privées, des immeubles publics et privés, des écoles, collèges, universités, théâtres, salles de spectacle, et des grands et moyens ensembles urbains. Le paysage construit, c’est le fondement visuel d’une culture faite de respect de l’Art.

Pour réaliser un si vaste projet de rénovation esthétique, innovons en créant au sein du ministère de la Culture une Division responsable de l’Architecture, de l’Urbanisme et de l’Aménagement urbain et rural. Cette Division travaillera avec toutes les forces vives chez les architectes, les urbanistes (trop négligés depuis belle lurette) et des artistes. Ils travailleront de concert à réaliser un environnement physique beau, essentiel à la sensibilité esthétique en tout.

(…)

Si la culture est épanouissement personnel et collectif, elle l’est dans la mesure où la Beauté se fait voir et entendre.

Et puis, il faut penser aux générations qui viennent, à leur éveil à l’esthétique. Je vous suggère, Monsieur le Ministre, de travailler en collaboration avec votre collègue la ministre de l’Éducation pour réintroduire l’enseignement et la pratique des arts dans le programme de tout le système d’éducation, du bas jusqu’en haut.

Il s’agirait d’aller chercher, sous l’énorme couche de poussière qui le recouvre, le rapport de la Commission Rioux sur l’enseignement des arts. Ce remarquable rapport fut trop vite remisé sur une lointaine tablette. Pourtant, il venait compléter le rapport Parent, en mettant davantage l’accent sur l’éducation artistique. La sensibilité esthétique des Québécois d’aujourd’hui serait bien autre si le rapport Rioux avait connu la même attention que le rapport Parent.

Les Québécois ont une belle sensibilité, mais leur esthétique demeure en friche. (…)

Guy Rocher, « Si j’étais ministre de la culture », Voir, 13 mars 2014

De 1963 à 1977, on trouvait sur les plaques minéralogiques québécoises la mention « La Belle Province ». A la suite de l’élection du Parti québécois dirigé par René Lévesque, elle fut remplacée par le devise officielle du Québec : « Je me souviens ». Pour des raisons patriotiques. Certaines mauvaises langues se demanderont toutefois si la disparition de l’ancienne mention (la « Belle Province ») ne coincidait pas avec la disparition de la chose elle-même, à savoir de la beauté en ladite province…




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