L'éducation dans la Grèce antique

Gabriel Compayré
Platon, Xénophon, Aristote, ces trois noms résument la pédagogie grecque. Quelques mots suffiront pour marquer les principales tendances de ces grands esprits 1.

Tout système d'éducation a des rapports avec les doctrines politiques et religieuses du philosophe qui le conçoit ou de la société qui l'institue. L'éducation ne se sépare ni de la politique ni de la philosophie. Or, Platon était en politique un aristocrate, en philosophie un idéaliste. De là le double caractère de son système d'éducation: un dédain marqué du peuple et une préoccupation excessive de la vie future. «C'est une folie pour une créature mortelle, dit l'auteur du Phédon, d'avoir plus de souci de cette courte existence que de l'éternité.»

C'est dans la République et dans les Lois qu'il faut chercher l'exposition des idées de Platon sur l'éducation: — la République, «véritable traité d'éducation,» selon le mot de Rousseau, utopie pédagogique et sociale; — les Lois, réduction adoucie de la République, œuvre de vieillard qui désavoue les rêves de sa jeunesse ou atténue les hardiesses de sa maturité. Ce qui suffirait d'ailleurs à nous réconcilier avec les utopies de Platon, c'est qu'il les présente discrètement, avec un air de doute et d'hésitation. Par-dessus ses affirmations les plus téméraires flotte comme un sourire d'ironie qui dispose à les excuser.

Personne n'a mieux compris que Platon l'influence de l'éducation sur les premières impressions de l'enfant. «Les commencements sont tout dans une nature jeune et tendre, dont toutes les parties gardent l'empreinte qu'on leur donne 2

Sa foi dans l'éducation est telle, qu'il la croit assez efficace pour maintenir l'homme dans l'habitude de la vertu, pour remplacer les lois pénales désormais inutiles. A quoi bon conserver des châtiments parmi les hommes, puisque l'éducation peut les rendre parfaits? Platon a reconnu lui-même son erreur, quand il a composé les Lois, c'est-à-dire un recueil de prescriptions et de peines destinées à avertir et à frapper ceux que l'éducation a été impuissante à retenir dans le devoir.

L'erreur principale de l'auteur de la République, c'est ce qu'on pourrait appeler la confusion de l'éducation et de la politique. Il faut que l'enfant appartienne à l'État, non à la famille. C'était, on le sait, le principe commun de la plupart des républiques antiques. À Sparte, le père n'avait aucun droit sur l'éducation de ses enfants, et la loi réglait tous les détails de leur instruction. A Athènes même, où régnait plus de liberté, et où le soin d'élever les enfants était laissé aux parents, Solon réclamait presque l'instruction obligatoire, en exigeant, que le père de famille apprît à ses enfants la lecture, la natation et un état . Ce sont ces idées que Platon a reprises, en les exagérant encore, en supprimant toute liberté, toute initiative individuelle. Sachons gré sans doute à Platon d'avoir compris que des éducations diverses, fondées sur des principes différents, produisent la discorde, les tiraillements intérieurs, la faiblesse de l'État. Mais ajoutons, en le déplorant, qu'il a sacrifié tous les droits de la personne humaine et de la famille à l'unité idéale de la patrie. Il s'est proposé moins le perfectionnement de l'individu et de l'homme que la sûreté et la grandeur collective de l'association.

Lorsqu'on entre dans le détail du système, il faut commencer par signaler la distinction que Platon établit entre les trois classes de la société, distinction fondée sur la division des facultés de l'âme, et 'aussi sur des analogies empruntées à la comparaison de l'État et d'un troupeau. Il y a d'abord les laboureurs et les artisans, puis les guerriers, enfin les magistrats. L'éducation des laboureurs et des artisans est nulle, ou du moins se réduit à l'apprentissage d'un métier. L'éducation des guerriers comprend deux parties également, importantes: la gymnastique et la musique. Enfin les magistrats reçoivent une haute éducation intellectuelle: on les initie à la philosophie. Platon veut mettre à la tête des États, non pas des prêtres, comme faisaient les Orientaux, mais des philosophes.

Platon, d'accord avec tous les anciens, attache un grand prix à la gymnastique. C'est dans les palestres et dans les gymnases que les Athéniens passaient leur vie. Dans les palestres, les enfants s'exerçaient au pentathle, c'est-à-dire aux cinq exercices du saut, de la course, du jet du disque, du jet du javelot et de la lutte. Dans les gymnases, les adultes et les hommes faits se livraient de même aux jeux physiques 3. Platon ici se conforme aux usages. Quelque idéaliste qu'il soit, il veut qu'on exerce, qu'on fortifie le corps. Le développement physique n'est sans doute pas le but, mais c'est un moyen, le moyen de donner plus de vigueur à l'âme humaine, que la musique seule tendrait à amollir. «Dans les exercices du corps, nos jeunes gens se proposeront surtout d'augmenter leur force morale 4.» Ce qui dépare les idées de Platon sur ce point, c'est qu'il fait de la force physique une condition nécessaire pour être admis dans la république: «Quant à ceux dont le corps est mal constitué, on les laissera mourir.5» Paroles bien dures chez une âme tendre pourtant, mais égarée par le fanatisme de l'État. L'homme, n'ayant d'autre raison d'être que son utilité sociale, doit disparaître, dès que la faiblesse ou la maladie le rend impropre aux devoirs civiques. C'est, dans le même esprit qu'un philosophe moderne, M. Herbert Spencer, ose se plaindre que la société prenne soin des infirmes, des pauvres, des misérables. «Nourrir les incapables aux dépens des capables, c'est une grande cruauté. C'est une réserve de misère amassée pour les générations futures.6»

L'utopie se montre encore dans les vues de Platon sur l'éducation des femmes. Il leur impose les mêmes exercices qu'aux hommes. Dans l'armée de la république il y aura autant de femmes que d'hommes. Les femmes manieront les armes, elles monteront à cheval, elles quitteront leurs habits pour s'exercer à la gymnastique: leur vertu leur tiendra lieu de vêtements! Platon admet comme un principe l'égalité des facultés chez les deux sexes. De l'égalité des facultés il conclut à l'identité des fonctions. Et par suite, pour rendre possible l'identité des fonctions, il est entraîné à demander la communauté des femmes. L'unité de l'État a pour condition la suppression de la famille.

Les enfants seront donc, dès leur naissance, livrés à des nourrices communes, véritables fonctionnaires publics. La mère ira au bercail commun, à l'époque de l'éruption du lait, pour allaiter les enfants, mais sans les reconnaître et le moins longtemps possible, afin que l'allaitement ne la détourne pas de son rôle civil et militaire 7.

Qu'on ne s'imagine pas, d'ailleurs, qu'en rêvant la communauté des femmes Platon ait songé à favoriser les passions humaines! L'austérité du philosophe est à l'abri d'un pareil soupçon. Si d'autres communistes ont désiré que la femme fût à tous, Platon veut qu'elle ne soit à personne.
N'insistons pas sur ces grandes erreurs de l'auteur de la République. S'il a d'un côté relevé la femme, en proclamant, contre les préjugés de son temps, qu'elle est l'égale de l'homme, combien ne la rabaisse-t-il pas en la découronnant de sa double auréole, l'amour et la maternité!
Nous avons parlé d'abord de la gymnastique, mais ce n'est pas elle, c'est la musique que Platon plaçait au début de l'éducation des guerriers. L'âme préoccupe Platon plus que le corps, et la musique est l'éducation de l'âme 8. Sans doute il faut entendre par là tout ce que les Muses inspirent, les arts, la poésie, la science elle-même: néanmoins c'est bien à la musique proprement dite que Platon attribue le premier rang dans l'éducation de l'âme. De treize à seize ans les jeunes gens étudieront la musique, sans se laisser détourner par aucune autre préoccupation. Pour comprendre ce paradoxe pédagogique, il faut d'abord se rendre compte du rôle que la musique jouait dans la vie réelle des Grecs. À Athènes, pour remplir ses devoirs religieux, il fallait savoir chanter. La vie était en quelque sorte dansée et chantée. Les lois elles-mêmes, on les promulguait en chantant. Un Athénien bien élevé devait pouvoir chanter, et l'éducation de Thémistocle, qui n'avait pas ce talent, passait pour négligée. De plus, comme ses contemporains, Platon croit à l'efficacité morale de la musique: «On ne saurait toucher aux règles de la musique, sans ébranler les lois fondamentales de l'État.» Agamemnon, en partant pour l'Asie, avait confié la vertu de sa femme à un musicien: Egisthe ne triompha qu'après avoir écarté ce surveillant, ce moraliste d'un nouveau genre. De pareilles exagérations étonnent, et il est évident que Platon se laissait conduire par de fausses analogies, quand il prêtait à la musique le pouvoir d'habituer les citoyens à l'ordre, à l'harmonie sociale. Il y avait cependant une part de vérité dans la théorie grecque sur l'influence moralisatrice de la musique. Comme l'a remarqué Montesquieu, «il faut regarder les Grecs comme une société d'athlètes et de combattants; or ces exercices, si propres à faire des gens durs et sauvages, avaient besoin d'être tempérés par d'autres qui pussent adoucir les mœurs. La musique, qui tient à l'esprit par les organes du corps, était très propre à cela.9» Ajoutons que pour Platon la musique est toujours subordonnée à la parole, et qu'il ne veut pas de musique instrumentale. Il condamne la flûte, surtout parce que cet instrument ne permet pas de chanter. Si donc on accorde à la parole humaine quelque influence sur les mœurs, si on admet encore que la musique donne plus de force à la parole, on arrivera à comprendre les préjugés de Platon.

L'éducation religieuse, l'éducation morale, l'éducation artistique des guerriers, sont d'ailleurs renfermées dans l'expression complexe de musique.

La religion se présentait en Grèce sous la forme de la poésie, de sorte qu'en attaquant les poètes Platon attaquait en réalité la religion païenne. Le paganisme avait deux défauts essentiels: il était immoral, il était oppressif. Sur le premier point, Platon proteste en demandant qu'à l'avenir les poètes représentent Dieu comme un être bon, comme un être immuable et parfait. Sur le second point, il s'oppose à la religion du temps, en exigeant qu'on n'effraye plus les âmes par la représentation d'un enfer épouvantable, par ces noms odieux de Tartare et de Cocyte qui font frissonner les cœurs. Il faut, dit-il, choisir les lectures relatives aux dieux avec autant de soin que le lait de la nourrice. Croire en Dieu, croire à la Providence, à un être qui s'intéresse avec bonté aux affaires humaines, honorer Dieu non point par des sacrifices ou de vaines cérémonies, mais par la justice et la vertu: tel est le résumé de l'admirable doctrine religieuse exposée au dixième livre des Lois.

Après les discours qui traitent des dieux, viennent les discours qui traitent des hommes; après la religion, la morale. Les guerriers apprendront à mettre le bonheur dans la vertu, non dans le succès, et ils se pénétreront de ces grands principes moraux dont le dialogue du Corgias est le magnifique développement.

Enfin la culture des arts complétera l'éducation de l'homme et de la femme et fera des guerriers accomplis. Seulement Platon est sévère pour l'art: il condamne la tragédie et la comédie. Il n'admet d'autre poésie que celle qui chante les dieux et fait l'éloge des grands hommes. Il tue l'art, en l'immobilisant, en lui interdisant toute innovation, toute originalité.

Platon, quelque disposé qu'il fût à faire de l'égalité le dogme fondamental de la république, a compris que les magistrats avaient besoin d’une éducation spéciale, plus complète que celle des guerriers 10. C'est d'ailleurs dans la classe des guerriers que l'on choisira les hommes destinés au commandement. C'est le mérite personnel, non le hasard de l'hérédité, qui désignera les chefs de l'État. Quoique Platon soit un aristocrate et qu'il se défie du peuple, «cet animal robuste et indocile,» il ne songe pas maintenir le pouvoir aux mains d'une seule classe d'hommes, classe fermée et inaccessible. Non, tout homme, que distingueront des qualités supérieures, pourra aspirer aux fonctions gouvernementales, mais il sera condamné à subir de longues épreuves, à passer par tous les degrés d'une lente initiation qui durera presque toute la vie.

Un mot résume les qualités que Platon exige du magistrat: il doit être philosophe. Après avoir reçu jusqu'à vingt ans l'éducation ordinaire, il étudiera un certain nombre de sciences l'arithmétique, la géométrie, l'astronomie. Cette préparation scientifique durera une dizaine d'années. A trente ans, le futur magistrat sera appliqué à la dialectique: nouvelle épreuve qui durera cinq ans. Puis il sera de nouveau replongé dans la vie réelle, il rentrera dans la caserne, il passera par tous les emplois militaires, par toutes les fonctions civiles, afin de ne le céder à personne en expérience et en autorité. Enfin, à cinquante ans seulement, il sera en état de se charger du fardeau du pouvoir. On voit ce qu'il fallait de temps, et de travail, dans la république de Platon, pour devenir un homme politique.

Remarquons que Platon, dans l'ensemble des science, néglige les sciences naturelles et physiques et les sciences historiques: les unes, parce que «rien de sensible n'est l'objet de la science», les autres, parce que l'auteur de la République dédaigne la tradition et méprise le passé. Au contraire, il estime au plus haut point les sciences abstraites, parce qu'elles préparent l'âme à la dialectique c'est-à-dire à cet effort suprême où l'esprit, s'interdisant absolument l'usage des sens, s'élève à la contemplation des idées, à l'intuition du bien.

Il est difficile de proposer à l'homme un idéal d'éducation intellectuelle plus élevé que celui dont nous venons d'esquisser les principaux traits. Platon mérite donc de compter parmi les ancêtres les plus glorieux de la science pédagogique, ne serait-ce que pour avoir donné cette belle définition: «La bonne éducation est celle qui donne au corps et à l'âme toute la beauté, toute la perfection dont ils sont capables.»

Le principal défaut des théories de Platon, c'est l'absence de l'esprit pratique. C'est, au contraire, ce même esprit de mesure, de modération, de sagesse tempérée, que nous allons trouver à un haut degré dans les écrits de Xénophon, et qui fait le mérite de ses vues sur l'art d'élever les hommes.

Deux influences contraires se sont disputé l'intelligence de Xénophon: Socrate a été son bon génie; Sparte, son mauvais génie.

Dans l'Économique, c'est l'inspiration de Socrate qui domine. Livre gracieux et charmant, qui, avec quelques retouches, deviendrait facilement digne de figurer dans la bibliothèque d'une jeune fille, et d'être placé dans la corbeille de mariage d'une fiancée moderne. Xénophon a surtout voulu y décrire l'éducation de la femme par le mari 11. Avant son mariage, la femme d'Ischomaque ne savait rien, ou peu s'en fallait. On lui avait appris à filer la laine, à être sobre, à ne pas faire de questions, et c'était tout. C'est donc son mari qui va l'instruire et la former, non pas sans avoir sacrifié aux dieux et imploré leur secours. Que lui enseignera-t-il! que tout est commun dans le ménage, les biens, l'éducation des enfants; que chacun a son rôle dans l'administration de la maison, que la femme et l'homme se complètent l'un l'autre, que les dieux leur ont accordé des facultés différentes, pour que l'un se chargeât des affaires extérieures, l'autre des soins domestiques. La femme d'Ischomaque profite de ces leçons qui lui sont données, non par un sermonneur qui prêche ou par un maître qui gronde, mais par un ami qui conseille. Elle acquiert peu à peu les vertus de son sexe, l'ordre, la simplicité, l'économie, et la plus précieuse, de toutes, la bonté; elle soigne ses esclaves malades, elle les instruit, elle les console. On cherche vainement ce qui manque à cet intérieur domestique. Xénophon n'a oublié ni la piété, la prière en commun, ni la tendresse conjugale, ni la préoccupation légitime d'accroître la propriété commune, ni le travail des mains, ni la surveillance attentive et des enfants. Jamais l'imagination grecque ne s'est manifestée avec plus de grâce que dans la description de cette famille heureuse, de cette maison bien rangée qu'on aime à se représenter sous le beau soleil de la Grèce. Ce n'est plus ici la hardiesse de conception de Platon construisant des cités chimériques, ni la profondeur d'esprit d'Aristote analysant les cités réelles: c'est une imagination modérée, qui se contente d'ajouter une légère teinte d'idéal à la réalité, et comme un rayon de soleil qui vient embellir les objets, en les dorant, en les colorant, sans les transformer.

L'Économique est une esquisse de l'éducation féminine: dans quelques autres ouvrages, Xénophon envisage les questions pédagogiques sous un aspect plus général. C'est ainsi que la Cynégétique, ou traité de la chasse, est en partie, et sans qu'on puisse le soupçonner tout d'abord, un traité d'éducation 12. Aux yeux de Xénophon, la chasse est en effet l'exercice qui convient le mieux aux jeunes gens il n'y a pas de vertu qu'elle ne leur enseigne. Elle est qui le croirait? une école de douceur et de modération, ne école de franchise. Pour comprendre ces exagérations, il faut considérer l'état de la société grecque en proie aux raffinements, aux subtilités des sophistes. Ces professeurs d'une rhétorique malsaine, ces lettrés élégants, dont le parti des conservateurs athéniens voyait le succès avec répugnance, et qu'Aristophane, organe du vieil esprit, malmenait dans ses comédies 13, Xénophon, homme d'action avant tout, agriculteur et guerrier, Xénophon, lui aussi, les déteste et les combat. Par une réaction naturelle contre les excès de l'éducation littéraire, il réclame une éducation pratique, où les exercices du corps tiendraient la première place. De là cette apothéose de la chasse, qui n'est au fond qu'une critique de la rhétorique sceptique des sophistes. Afin de lutter contre Gorgias et ses pareils, Socrate et Platon avaient cherché à constituer une science plus solide, une philosophie plus profonde. Afin de lutter encore contre l'influence énervante et corruptrice des mêmes hommes, Xénophon, qui n'a pas pour les spéculations intellectuelles une vocation aussi prononcée que son maître Socrate ou son camarade Platon, Xénophon semble s'être donné pour tâche de réhabiliter la vieille éducation grecque, éducation rude et un peu grossière, telle que Sparte n'avait jamais cessé de la pratiquer. Il oubliait qu'on avait su, dans cette Athènes qu'il n'aimait pas, trouver le tempérament des deux excès, et, suivant les belles expressions de Thucydide, «combiner l’amour du beau avec la simplicité de la vie, et philosopher sans s'amollir.»

C'est dans la Cyropédie surtout que Xénophon nous a présenté l'idéal de la vie spartiate, tel qu'il le comprenait. La Cyropédie est un roman, un roman d'éducation, dans le genre de l'Emile de Rousseau. Par le mélange d'une haute inspiration morale et de fictions romanesques, ce livre ressemble aussi au Télémaque de Fénelon. Par les louanges accordées à un peuple primitif dont la civilisation n'a pas encore éteint le,: fortes vertus, louanges qui ne sont que la satire déguisée des mœurs athéniennes, il fait penser à la Germanie de Tacite.

La Cyropédie est un plan d'éducation militaire, exclusivement militaire. Xénophon ne soude pas à embrasser la complexité de la vie humaine: il veut seulement former des soldats, des hommes sobres et courageux. Pour cela, il faut que l'instruction soit commune, que l'enfant soit livré à l'État, que le jeune homme lui-même ne s'appartienne pas. Au sortir de l'école, les jeunes gens doivent être embrigadés, casernés en quelque sorte, et cet assujettissement durera toute la vie.

C'est une étrange organisation que celle de la cité perse, dans les tableaux de Xénophon. 14 Il y a au milieu de la ville une grande place, la place Éleuthère, véritable champ de Mars. Les marchands en sont proscrits, parce qu'ils troubleraient l'ordre des exercices. C'est là que tous les jours, au lever du soleil, se rendront en armes les enfants et les hommes faits. Les vieillards y viendront quelquefois. Quant aux adolescents, ils ne quitteront jamais la place d'armes, même la nuit. S'ils sont mariés, on ne leur accordera que rarement la permission de s'absenter. Telle est la vie des Perses, selon Xénophon: c'est une revue, une parade perpétuelle. La ville, comme Sparte, n'est qu'un camp. Ni artistes, ni savants, rien que des gens d'armes. Mais la guerre exige diverses vertus: où les apprend-on? Dans des écoles de justice et de tempérance. «Les enfants se. rendent aux écoles pour apprendre la justice, comme ils vont, chez nous, apprendre à lire.» Xénophon est convaincu que la justice s'enseigne comme la grammaire. Pour devenir juste, il faut d'abord étudier l'histoire. Ailleurs il recommande l'agriculture; «la terre, dit-il, enseigne la justice.» Enseignement peut-être un peu obscur. Ce qui se comprend mieux, c'est que, en assistant à des procès, à des procès d'enfants, et en s'exerçant à les juger, les jeunes Perses puissent apprendre la justice. Ils apprendront aussi la sobriété: on les y habituera de bonne heure en leur donnant du pain pour toute nourriture, du cresson pour tout assaisonnement, de l'eau pour toute boisson.

Vie frugale, vie physique et militaire, qui se partage entre les exercices de la place d'armes, la chasse et la guerre, tel est le rêve qu'a conçu Xénophon, — un Athénien pourtant, un disciple de Socrate, — par une réaction excessive contre la vie élégante, spirituelle, lettrée, de sa patrie, et aussi par une protestation légitime contre la tendance qui, dans la seconde moitié du cinquième siècle, sous l'influence de diverses causes, entraînait la jeunesse sur les pas des sophistes. L'art de parler, «d'être à soi-même son propre avocat,» était devenu l'art à la mode et comme le fond de l'éducation, au temps de Protagoras et de Gorgias 15.

Xénophon n'a contribué à la science de l'éducation que par quelques esquisses 16: c'est presque une théorie que nous trouvons chez Aristote. Ce génie encyclopédique, qui a touché à toutes les sciences, ne pouvait oublier les questions d'éducation: elles avaient leur place marquée dans le beau traité de la Politique, à côté des profondes études consacrées aux lois, aux constitutions sociales 17. De plus, en faisant d'Aristote le maître d'Alexandre, les circonstances imposèrent à l'attention du philosophe, devenu précepteur, le sujet vers lequel l'avait déjà conduit le cours naturel de ses méditations.

L'éducation donnée par Aristote au futur conquérant de l'Asie fut trop vite interrompue par les nécessités de la politique et de la guerre pour porter tous ses fruits. Aristote ne dirigea réellement le jeune prince que pendant quatre années, de treize à dix-sept ans. Il lui apprit à aimer la poésie, à respecter les poètes, particulièrement Homère, qui devint son auteur favori et dont les œuvres ne le quittaient jamais. Il l'initia à l'histoire naturelle: durant ses campagnes d'Asie, Alexandre prenait soin d'envoyer à son maître des collections de plantes et d'animaux. Enfin il lui enseigna à estimer la science et les savants. Alexandre ne cessa pas de s'intéresser aux travaux d'Aristote, s'il est vrai qu'il ait écrit la lettre que nous a conservée Plutarque, et où se révèle, en même temps que l'égoïsme orgueilleux d'un maître du monde, une admiration sincère pour la science: «Je n'approuve pas que vous ayez publié vos œuvres acroamatiques (c'est-à-dire les connaissances qui, réservées aux initiés, aux disciples de choix, ne leur étaient transmises que dans les leçons orales). En quoi donc serons-nous supérieurs aux autres hommes, si les sciences que vous m'avez apprises deviennent communes à tout le monde? Quant à moi, j'aimerais mieux encore surpasser les hommes par la science que par la puissance 18»

Aristote ne quitta Alexandre et la Macédoine que pour se rendre à Athènes, où il fonda, vers 335, l'école de philosophie destinée à devenir si fameuse sous le nom de Lycée. Les historiens nous ont conservé quelques traits de l'organisation de cette école. Un chef, renouvelé tous les dix jours, était chargé de la discipline; des banquets périodiques réunissaient les élèves. Aristote faisait par jour deux leçons ou plutôt deux promenades, puisqu'il avait l'habitude d'en soigner en marchant. L'une de ces leçons s'adressait aux élèves les plus avancés, et traitait des questions les plus ardues; l'autre avait un caractère plus facile et plus populaire.

De cet enseignement varié et puissant sortirent les grands ouvrages d'Aristote, et particulièrement la Politique, dont le quatrième et le cinquième livre sont consacrés à l'éducation.
Le premier principe de la pédagogie d'Aristote, c'est qu'il faut distinguer trois moments, trois degrés, dans le développement de l'homme: 1° la vie physique;2° l'instinct; 3° la raison. Par suite, il faut graduer, selon ces trois échelons de l'existence, la progression des exercice et des études. La naissance du corps précède celle de l'âme, et dans l'âme elle-même il y a deux parties, la partie irrationnelle, la partie raisonnable: la formation de l'une devancer celle de l'autre 19. L'éducateur doit respecter cet ordre naturel, s'occuper du corps avant de songer à l'âme, développer l'instinct avant de s'adresser à l'intelligence, bien qu'en définitive il ne forme le corps que pour l'âme, et n'excite les instincts que pour préparer les voies à la raison. Il y a là comme les premiers linéaments de ce que les modernes appelleront l'éducation progressive.

Comme le fera plus tard Rousseau dans l'Émile, Aristote détaille les soins qu'il importe de donner à la première enfance, et discute, par exemple, la question du maillot. Il veut, comme Platon, que l'on prépare l'éducation de l'enfant même avant sa naissance, en soumettant les mariages à une réglementation minutieuse. Il fixe l'âge des époux: dix-sept ans pour les femmes, trente-sept ans ou un peu moins pour les hommes. Ce dernier chiffre étonne un peu, surtout .quand on voit Aristote condamner en même temps les unions trop tardives. Il réprouve aussi les unions trop précoces, comme les unions disproportionnées. Quant à l'époque du mariage, «nous partageons, dit-il, l'avis de ceux qui croient que l'hiver est la saison la plus favorable.» Et il ajoute: «En général le vent du nord paraît aux médecins préférable au vent du midi 20.» On reconnaît à ces prescriptions le naturaliste qui, en toutes choses, ne considère pas seulement les conditions morales, mais qui détermine aussi les conditions physiques. «Les enfants, dit-il encore, ne ressentent, pas moins les impressions de la mère qui les porte, que les fruits ne tiennent du sol qui les nourrit.» Aussi insiste-t-il sur le régime que les mères doivent suivre pendant la grossesse. Qu'elles s'efforcent d'être calmes d'esprit, mais qu'elles se gardent de rester inactives. Et comme la promenade en public n'était guère à la mode en ce temps-là, Aristote demande que le législateur ordonne aux femmes enceintes de se rendre chaque jour au temple pour implorer les dieux qui président aux naissances.

L'enfant sera nourri par sa mère. Le lait est la seule nourriture qui lui convienne, le lait et non le vin: allusion sans doute à quelque étrange coutume du temps. Faut-il laisser à l'enfant la liberté de ses mouvements? Aristote cite à ce propos des peuples qui, pour empêcher que les membres si délicats des nouveaux-nés ne- se déforment, emploient des machines qui assurent à ces petits corps un développement régulier: c'était un premier essai d'orthopédie. Aristote ne conclut pas sur cette question, mais plus affirmatif sur d'autres, il demande, par exemple, qu'on habitue les enfants à l'impression du froid, et semble approuver l'usage des peuples qui les plongent de bonne heure dans des bains d'eau froide.

De deux à cinq ans, l'éducation de l'enfant sera entièrement négative. On ne lui enseignera rien directement, et on se contentera de le préparer à ce qu'il doit apprendre plus tard. «Tout dans l'éducation doit être disposé en vue des travaux qui l'attendent. Que ses jeux même soient comme des ébauches des exercices auxquels il se livrera dans un âge plus avancé 21.» Deux autres traits nous frappent dans le plan d'Aristote. D'une part, il demande que les enfants fréquentent le moins possible la société des esclaves. D'autre part, il désire qu'on ne les mène pas aux farces satyriques et à la comédie. Sachant combien il est important de veiller aux paroles et aux images qui frappent. les sens de l'enfant, il veut soustraire son âme aux impressions dangereuses que lui apporterait soit la licence du théâtre, soit la vulgarité des esclaves.
C'est à cinq ans seulement que commence l'enseignement, et encore, pendant deux années, l'enfant assistera simplement aux leçons sans qu'elles s'adressent directement à lui. Après ce surnumérariat scolaire s'ouvre l'instruction réelle, qui comprendra deux périodes la première jusqu'à la puberté, la seconde depuis la puberté-jusqu'à vingt et un ans. Il est seulement à regretter qu'Aristote, après avoir établi les cadres, ne les ait pas remplis, et qu'il ait négligé de nous dire avec précision quels devaient être, année par année, ou du moins période par période, les sujets d'étude des jeunes gens.

Mais Aristote a posé avec sa perspicacité habituelle quelques-unes des questions générales que soulève l'art de l'éducation. Il y a, dit-il, trois choses à se demander: 1° est-il nécessaire d'imposer une règle, une discipline à l'enfance? 2° l'éducation doit-elle être donnée par l'État d'après des méthodes uniformes, ou abandonnée aux familles? 3° enfin sur quels objets faut-il diriger les études?

Sur le premier point, l'auteur de la Politique se borne à faire remarquer que l'éducation est nécessaire, parce qu'elle forme les mœurs, et que les mœurs affermissent les États. Il n'y a pas de vie sociale sans éducation, et l'éducation devra changer de caractère selon qu'elle sera donnée dans une société aristocratique ou démocratique.

Dans la seconde question, Aristote, d'accord avec les tendances générales de l'antiquité, se déclare partisan de l'éducation publique et commune. Il se plaint que l'usage contraire se soit introduit dans quelques cités grecques et que l'éducation y soit laissée à la discrétion des familles. Ce n'est pas qu'Aristote tombe dans les excès de Platon il ne songe pas à enlever l'enfant à ses parents dès la naissance, il le leur confie jusqu'à sept ans. Mais, à partir de cet âge il veut que les enfants soient soumis à une éducation identique et par conséquent publique. Le but, en effet, est le même pour tous les citoyens: il faut apprendre la vertu. De plus, c'est une erreur de croire que le citoyen s'appartienne entièrement à lui-même: il fait partie de L'État. Le particularisme dans l'éducation équivaut à la ruine de l'État, parce qu'il y supprime cette unité morale sans laquelle l'unité matérielle n'est qu'un vain mot.

Sur l'objet même de l'enseignement, Aristote s'en est tenu à des généralités. Le principe qui le guide, c'est qu'il faut rejeter de l'éducation toutes les occupations, arts ou sciences, qui sont inutiles pour former l'homme à la pratique de la vertu, non-seulement les arts mécaniques qui déforment le corps et nuisent à l'élévation de la pensée, mais les sciences libérales elles-mêmes, «lorsqu'elles sont poussées trop loin et étudiées avec un excès de curiosité surtout avec l'intention de s'en faire un moyen d'existence. 22» Aristote obéit ici aux préjugés de l'antiquité et considère comme servile, comme indigne d'un homme libre, tout ce qui a un caractère d'utilité pratique et matérielle. Les hommes libres doivent être des hommes de loisir, et, pour se préparer à occuper leur loisir, ils doivent étudier non pas ce qui est utile, mais ce qui est beau «la préoccupation exclusive des idées d'utilité ne convient ni aux âmes nobles ni aux esprits libres.»

Quelles sont donc enfin ces études désintéressées, seules dignes de l'homme libre? Il y en a quatre, la gymnastique, la grammaire, la musique et le dessin. D'après Aristote, ces exercices doivent être abordés, non pas simultanément et à la fois, mais successivement, et à tour de rôle. Trois ans seront consacrés à la musique, trois ans à la gymnastique: système qu'il est également difficile de comprendre et d'approuver.

C'est de la musique surtout que se préoccupe Aristote, de la musique prise dans son sens propre. Elle n'est pas seulement un passe-temps honnête, un plaisir délicieux. A ce titre, elle mériterait déjà d'être introduite dans l'éducation: car, dit Aristote, en dépit de l'opinion des Spartiates, on ne peut juger des mérites de la musique et jouir des plaisirs qu'elle procure qu'à la condition d'avoir personnellement quelque science musicale. Mais, en outre, la musique a ce pouvoir singulier d'exercer sur les cœurs une influence morale. Elle peut modifier les affections, les passions, parce qu'elle est capable de les représenter, et par suite de les inspirer. Aristote s'accorde ici avec Platon. Cette opinion sur les effets moralisateurs de la musique était d'ailleurs générale chez les anciens, qui disaient que, pour relâcher ou réformer les mœurs d'un peuple, il suffirait d'ajouter ou de supprimer une corde à la lyre. Elle a été souvent reproduite dans les temps modernes. Napoléon, par exemple, écrivait de Milan aux inspecteurs du Conservatoire de musique: «De tous les beaux-arts, la musique est celui qui a le plus d'influence sur les passions, celui que le législateur doit le plus encourager. Un morceau de musique morale, et fait de main de maître, touche immanquablement le sentiment et a beaucoup plus d'influence qu'un bon ouvrage qui convainc la raison sans influer sur nos habitudes. 23» Sans aller jusqu'à proclamer la supériorité de la musique sur les livres, comme instrument de culture morale, Aristote s'aventurait déjà beaucoup quand il lui attribuait la puissance d'inspirer la vertu. «Cela est inconcevable,» comme le dit Montesquieu, même quand on réfléchit que, chez les Grecs, la musique était toujours associée à la parole et à la poésie.

Ce serait juger peu équitablement Aristote, que limiter son rôle pédagogique aux vues théoriques, incomplètes et écourtées, que contient la Politique. Il faut évidemment y joindre le souvenir de l'admirable enseignement dont le Lycée fut le théâtre, et qui, franchissant les âges, subsiste encore dans des livres impérissables, comme une école de sagesse et de science éternellement ouverte à l'humanité. Forte discipline logique, tempérée par l'habitude des observations et par l'étude des faits, admiration et critique intelligente des beautés de l'éloquence et de la poésie, connaissances physiques et recherches d'histoire naturelle, science politique, considérée soit dans la réalité des constitutions, soit dans l'idéal des doctrines, histoire et philosophie, rien ne manquait à ce vaste programme d'études. L'éducation morale était à la hauteur de l'éducation intellectuelle. Qui donc a mieux parlé qu'Aristote de la vertu et de la justice, dont il dit: «La justice, c'est le bien d'autrui»? — «Ni l'astre du soir ni l'étoile du matin n'inspirent autant de respect que la justice 24.» Et cependant la justice elle-même ne suffit pas: la vie sociale exige une nouvelle vertu qu'Aristote appelle l'amitié, un autre nom de la charité chrétienne.

C'est encore par son respect et son amour de la famille, par sa critique du communisme platonicien, qu'Aristote a bien mérité de l'art de l'éducation. Avec quelle finesse il montre que dans une société sans famille les affections humaines s'évanouiraient, comme la saveur de quelques gouttes de miel disparaît dans une vaste quantité d'eau. Et il ne se contente pas de relever la famille, au nom de la nécessité sociale: il sait aussi l'organiser selon les vrais principes. L'autorité y est dévolue au mari, mais cette autorité est un pouvoir républicain, non un pouvoir royal, à l'égard de la femme; un pouvoir royal, non un pouvoir despotique, à l'égard des enfants. Consolider la famille, en resserrer les liens, en régler les rapports, on ne saurait rendre de meilleurs services à la cause de l'éducation.

Pour ces raisons diverses, Aristote, qui est resté si longtemps l'inspirateur et le guide de la pensée humaine, a droit à figurer parmi les fondateurs de la pédagogie. Son seul tort, c'est de ne pas s'être affranchi des préjugés sociaux de son temps, et d'avoir conçu l'éducation dans le plan étroit des cités grecques. L'instruction morale, non utilitaire, libérale, non professionnelle, qu'il propose aux hommes libres, est une instruction aristocratique, destinée à une petite minorité, et qui même n'est possible que parce que la majorité en est exclue. Les esclaves, les travailleurs, chargés du soin de nourrir leurs semblables et de leur créer les loisirs que réclame Aristote, ne participent pas plus à l'éducation qu'ils ne participent à la liberté ou à la propriété. Et voilà pourquoi, pour admirer à notre aise la pédagogie d'Aristote, il est nécessaire de la détacher de son cadre, de la considérer elle-même, en dehors de ce régime social qui n'assurait la liberté de quelques-uns qu'en perpétuant l'oppression du plus grand nombre.

Que cette pensée de pitié pour les parias de la société grecque, que ce sentiment de charité rétrospective pour les cent mille esclaves, qui, à Athènes, faisaient cortège à quelques milliers d'hommes libres, ne nous empêche pas d'admirer en elle-même l'éducation grecque. Il y a une autre éducation que celle qui est donnée dans les écoles et qui provient de l'action directe des pédagogues. Il y a une éducation naturelle qu'on reçoit sans le savoir, sans le vouloir, par l'influence du milieu où l'on vit. Il y a enfin ce qu'un philosophe de nos jours a justement appelé les collaborateurs occultes de l'éducation: le climat, la température, la religion, les mœurs, les arts. Or nul pays n'a été plus favorisé que la Grèce sous, ces divers rapports. Rappelons-nous ce qu'était cette belle contrée au siècle de Périclès, avec son climat enchanteur, avec ses poètes inspirés, avec ses orateurs entraînants, avec ses peintres et ses sculpteurs. Au milieu de toutes les choses belles qui, dès son plus bas âge, frappaient ses sens et ornaient son esprit, le jeune Grec, le jeune Athénien, qui sur l'agora pouvait s'arrêter aux conversations de Socrate, voir les statues de Phidias, écouter l'éloquence de Périclès, avant d'assister aux représentations de Sophocle ou d'Aristophane, le jeune Athénien trouvait partout sur son chemin et autour de lui des auxiliaires puissants de l'instruction des écoles, et grâce à ce merveilleux concours de circonstances, il parvenait à réaliser un des plus beaux types que l'humanité ait jamais produits, l'homme à la fois robuste de corps et délicat d'esprit, l'homme beau et bon.


Notes
1. Il serait intéressant de suivre le développement des idées pédagogiques chez les peuples primitifs, notamment chez les Hébreux. Signalons, à ce dernier point de vue, le travail récent de M. Joseph Simon: L’éducation et l’instruction des enfants chez les anciens Juifs. (Paris, Sandoz et Fischbacher, 1879.) L'auteur résume ainsi sa pensée: «Chez toutes les nations, la direction imprimée à l'éducation dépend de l'idée qu'elles se forment de l'homme parfait. Chez les Romains, c'est le soldat vaillant, dur à la fatigue, docile à la discipline; chez les Athéniens, c'est l'homme qui réunit en lui l'heureuse harmonie de la perfection morale et de la perfection physique; chez les Hébreux, l'homme parfait, c'est l'homme pieux, vertueux, capable d'atteindre l'idéal du peuple hébreu, tracé par Dieu lui-même en ces termes: «Soyez saints, comme moi, l'Éternel, je suis saint.»
2. République, livre II, chap. XVII
3. Ce qui prouve que les Athéniens eux-mêmes, dans les premiers temps au moins, attachaient plus d'importance à l'éducation du corps qu'à celle de l'esprit, c'est que l'État n'intervenait, à Athènes, que dans l'organisation et la direction des gymnases. Le gymnasiarque, véritable magistrat, était élu chaque année par l'assemblée du peuple. Au contraire, les écoles de grammaire et de musique étaient des institutions privées. Les citharistes et les grammairiens se faisaient concurrence.
4. République, livre III, chap.XVII.
5. République, livre III, chap. XVIII
6. Herbert Spencer, Introduction à la science sociale.
7. Voyez, dans la République, tout le cinquième livre.
8. République, livre II, chap. XVII.
9. Montesquieu, Esprit des Lois, livre IV, chap. VIII
10. Voyez, sur l'éducation des magistrats, la fin du livre VI et le livre VII de la République
11. Voyez, dans l'Économique, les chapitres VII et VIII.
12. «Au sortir de l'enfance, on s'occupera d'abord de la chasse, et ensuite des autres parties de l'éducation.»
13. Voyez, dans les Nuées, le discours du Juste qui commence ainsi: «Je dirai quelle était l'ancienne éducation, etc.
14. Cyropédie, livre I, chap.II
15. Voyez Grote, Histoire de la Grèce. Le même point de vue a été développé par M. Lewes dans son Histoire de la philosophie.
16. Il ne faut pas oublier cependant que, par les belles leçons morales qu'il emprunte à Socrate, dans les Mémorables, Xénophon est un pédagogue admirable, qu'il faudra toujours consulter sur les devoirs des enfants envers leurs parents, sur l'amitié fraternelle, sur les devoirs des citoyens, pour toute l'éducation morale, en un mot.
17 Voyez, dans la Politique, traduction de M. Barthélemy-Saint Hilaire, les livres IV et V. Aristote, au dire de Diogène de Laërte, avait composé un traité qui est perdu.
18. Voyez Plutarque, Vie d'Alexandre.
19. Politique, livre IV chap.XIII
20. Politique, livre IV , chap. XIV.
21. Politique, livre IV ,chap.XV
22. Politique, livre V , chap. II
23. Voyez M. Beauquier, Philosophie de la musique. Bibliothèque de philosophie contemporaine. Paris. 1865.
24. Voyez la Morale à Nicomaque, livre V

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