La vie paresseuse de Rivarol

Marc de Préaudeau
Compte rendu critique de l'ouvrage de Louis Latzarus, La vie paresseuse de Rivarol, paru en 1926.
Parmi tous des chroniqueurs contemporains, M. Louis Latzarus se distingue par l'acuité de sa psychologie et par la vivacité de son style. Nul plus que ce fin lettré n'était qualifié pour nous donner une biographie de Rivarol, car il était à même mieux que tout autre d’approfondir le caractère fantasque du fameux pamphlétaire. Celui-ci paraissait appelé par ses brillantes facultés à une haute destinée dans le monde des lettres ; comment furent-elles gâchées par sa paresse native ? Voilà précisément ce que son spirituel biographe se propose de nous faire connaître.

Fils aîné d'un ancien aubergiste devenu commis des Fermes et demeuré dans ces deux états terriblement prolifique, Antoine Rivarol n'avait d'autres capitaux que ses dons naturels lorsqu'il arriva à Paris en 1774, à l’âge de vingt-et-un ans, abandonnant le séminaire de Sainte-Garde d'Avignon où il faisait mine d'étudier afin d’être d'Église.

Les bureaux d'esprit qui à cette époque foisonnaient à Paris étaient fort accueillants aux aventuriers de cette sorte; grâce à sa causticité, notre jeune immigré eut tôt fait d'y conquérir une grande vogue d'abord sous le nom d'un sien cousin le chevalier de Parcieux, puis sous son propre nom... légèrement anobli.

Il s’assure de précieuses amitiés, obtient la protection de d’Alembert, puis celle de Voltaire, qui, de Ferney, lui adresse le plus flatteur des madrigaux. Mais ces enviables encouragements ne parviennent pas à triompher de son indolence. Certes, notre Rivarol continuera jusqu’à l’orée de la Révolution à courir les salons et les soupers, à y semer sans compter les bons mots, à y faire avec une inlassable impertinence la guerre à la sottise... De toute son activité brouillonne que laissera-t-il à la postérité ? Oh ! pas grand’chose, en somme, car l’effort intellectuel méthodique ne cessera de rebuter son humeur vagabonde; défié par son grand ami Voltaire, il entreprend de traduire l'Enfer de Dante en style soutenu; encore lui faut-il six ans pour s'acquitter de la tâche.

Sollicité par Panckoucke, il condescend à donner quelques articles au «Mercure de France», mais dédaigne de les signer et se garde bien d'y mettre tout son esprit.

La polémique le séduit davantage : avec quelle irrévérencieuse malice il s'attaque à la réputation quelque peu surfaite du brave abbé Delille, médiocre auteur du « Poème des Jardins », quitte à se faire du coup beaucoup d'ennemis dont les sentiments se manifesteront brutalement à la première occasion; avec quel impitoyable mordant il raille, dans son Petit Almanach des grands hommes (1788), quelques poètereaux dont l'indigeste faconde emplissait chaque année d'autres almanachs !

A vrai dire, son talent ne s'épanouit pleinement que dans une seule oeuvre : à l'occasion d'un concours ouvert en 1784 par l'Académie de Berlin, il publie un « Discours sur l'universalité de la langue française » où il sait enfin mettre « un style élégant et limpide... au service d'une miraculeuse alliance de la raison avec la passion » (P. 99). Si la récompense officielle que lui vaut cet opuscule contribue à accroître sa renommée, elle avive par contre les jalousies et les rancunes auxquelles il a toujours été en butte. La Révolution de 1789 le trouve en pleine bataille littéraire; les combats auxquels elle l'appelle sont autrement sérieux.

Sincèrement monarchiste, Rivarol se propose d'apporter au Roi l'appui de son brillant talent, mais il ne réalise ce projet qu'imparfaitement, sa bonne volonté ne pouvant subir l'épreuve d'événements par trop déconcertants.

Son « Journal Politique national » lui permet tout au plus d'exercer une certaine influence pendant les six premiers mois de la Révolution, mais il en suspend la publication régulière dès 1790 après y avoir donné un magistral récit des tristes journées d'octobre.

Les démarches qu'il tente alors pour se rapprocher personnellement du Roi ne pouvaient évidemment aboutir à aucun résultat. Leur échec détermina son émigration et nous voyons Rivarol s'installer successivement à Bruxelles, puis à Hambourg.

Là, cet incorrigible fantaisiste persiste à faire des siennes : il trompe l'éditeur Fauche à qui il a fallacieusement promis d'écrire un énorme « dictionnaire de la langue française »; il trompe le roi Louis XVIII qui lui a commandé un pamphlet contre le Premier Consul et qui n'en voit rien venir.

Il s'installe enfin à Berlin où il reçoit de la haute société le meilleur accueil, malgré la froideur de la Cour circonvenue par le général Beurnonville, envoyé extraordinaire de la République Française.

C’est dans cette ville que, le 11 avril 1801, mourut cet étincelant causeur dont l'incontestable génie ne devait plus survivre que par quelques témoignages épars en ses écrits.

Nous devons féliciter son distingué biographe de l'excellent portrait qu'il nous en donne et qu'il a su heureusement compléter en décrivant avec la même finesse le milieu où s'agitait son héros. Peut-être eût-il encore augmenté la valeur de son attachant ouvrage en y indiquant toujours ses références et en y annexant une notice bibliographique. Il eût ainsi facilité la tâche des historiens désireux de s'instruire plus à fond sur la curieuse personnalité dont l'étude a justement retenu son attention.

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