De son véritable nom Chwat. Écrivain et poète polonais né à Varsovie dans une famille aux très anciennes traditions juives et polonaises. Étudiant en philosophie de 1918 à 1919, il écrit en même temps des poèmes futuristes sous l’influence de Maïakovski. Il dirige, entre 1929 et 1931, Miesieckznik Literacki («Le mensuel littéraire»), un périodique marxiste opposé au régime autoritaire de Pilsudski. La revue est bientôt dissoute, tandis que Wat et ses collaborateurs sont arrêtés. Après sa libération, Wat se consacre, durant les années 1930, à l’écriture et à l’édition en qualité de directeur littéraire. En 1927, paraît en polonais un recueil de neuf nouvelles, traduites tardivement en américain (Lucifer Unemployed, Evanston, Northwestern University Press, 1990). Lorsqu’en 1939 les troupes allemandes envahissent la Pologne*, il se réfugie à Lvov et est séparé de sa femme Paulina (« Ola ») et de son fils. En 1940, il a été arrêté par le NKVD et incarcéré, tour à tour, dans les prisons de Zamarsvtynov, Kiev, Loubianka, et Saratov sur la Volga, où il se convertit à un christianisme de type idiosyncrasique. En 1941, il est assigné à résidence au Kazakhstan* où il retrouve sa famille. En 1945, il retourne en Pologne* où il est nommé rédacteur en chef de PIW (les éditions d’États polonaises). Mais il ne dissimule pas ses positions anticommunistes et devra renoncer à ses fonctions. Victime d’une attaque cérébrale, qui aura pour effet une maladie psychosomatique très douloureuse dont il souffrira pour le restant de sa vie. En 1958, les Wat quittent la Pologne pour s’installer à Paris. En 1962, il séjourne à la Messuguière, maison de repos pour les écrivains, près de Grasse en Provence. Il y écrit Les chants d’un vagabond qui entreront dans le recueil des Poèmes méditerranéens, publié la même année à Varsovie. Milosz traduira en anglais ce recueil qui contient des poèmes que Wat a écrit entre 1943 et 1963 (Mediterranean Poems, Ardis, Ann Arbor, 1977).
En 1964, invité par le Center for Slavic and East European Studies à l’université de Californie à Berkeley, il a de longs entretiens avec le poète polonais Czeslaw Milosz, professeur de littérature slave à la même université et futur prix Nobel. De ces entretiens enregistrés, Milosz rédige un livre sous la forme de «mémoires» dans lesquelles Wat raconte à son interlocuteur attentif sa vie en prison et lui décrit les milieux littéraires et politiques de son temps à force d’anecdotes. À la recherche du temps perdu, il veut le racheter. Il fait un retour sur son «moi haïssable» (expression qu’il emprunte à Pascal), et veut à sa manière retrouver le temps afin de le racheter. Wat porte sur son expérience le regard à la fois d’un poète et d’un philosophe marqué par une extrême subjectivité, mais animé surtout par la recherche du sens caché derrière l’apparent non-sens du vécu. Il prend son ami et ses lecteurs, représentants de l’humanité future, comme juges de son passé. «Il y a dans ce contre-interrogatoire une sourde volonté de se rattraper, de se reprendre, d’effacer et de compenser les erreurs, les défaillances, les faiblesses. Le sentiment de la faute y est indissociable de l’aspiration à la vérité, comme si l’abandon à la libre parole pouvait enfin racheter les concessions jadis consenties à la fausse parole» (G. Conio, Aleksander Wat et le diable dans l’histoire, Paris, L’âge d’homme, 1990, p. 10-11). Tout en se jugeant sévèrement sur son combat idéologique, il dévoile aussi ses aspirations esthétiques et spirituelles. Ce livre, qui a les allures d’une autobiographie intellectuelle et d’une anthropologie sociale de l’Europe des années 1920 à 1950, paraîtra, pour la première fois, en polonais en 1977 (Mon siècle: confession d’un intellectuel européen. Entretiens avec Aleksander Wat, Paris et Lausanne, L’Âge d’homme et De Fallois, 1989).
Wat n’a pas connu le sort réservé à son héritage littéraire, car, ne pouvant plus supporter ses angoisses et ses douleurs physiques dont il est constamment accablé depuis sa première attaque en 1953, il meurt dans son appartement à Antony, près du parc de Sceaux le 29 juillet 1967 d’une overdose de médicaments. Déjà en 1919, Le poêle fut l’expérience d’une écriture en tant que «confession psychanalytique de l’âme troublée, épouvantée, qui se préparait à la mort. Depuis longtemps, j’avais l’intention de me donner la mort avant ma vingt-cinquième année, qui me semblait la dernière barrière avant l’encroûtement définitif. En tant que poète maudit, le suicide me paraissait l’issue la plus digne pour échapper à ce sort commun» (cité par G. Conio, op. cit., p. 19). Il a été inhumé au cimetière de Montmorency en France. (Voir C. Milosz, «Préface» de Mon siècle, p. 15-27; B. Paloff, «My Dinner with Aleksander», The Nation, mars 2004 ; T. Venclova, Aleksander Wat, Life and Art of an Iconoclast, New Haven, Yale University Press, 1996).