Dérivé de sui (soi) et caederes (tuer), le mot anglais suicide a existé avant le mot latin suicidium, qui est étranger à la langue ancienne et qui n’apparut qu’au dix-septième siècle sous la plume du théologien moraliste Juan Caramuel dans son étude « Quaestio de suicidio » à l’intérieur de sa Theologia Moralis Fundamentalis (2e édition, Rome, 1656). Alvarez* prétend que, dans Religio Medici (1635), Sir Thomas Browne aurait utilisé le mot «suicide» pour désigner la mort de Caton*. Anton Van Hooff (From Autothanasia to Suicide: Self-killing in Classical Antiquity, Londres et New York, Routledge, 1990, p. 271, note 4) a découvert que suicide aurait déjà été utilisé en 1177-1178 par Gauthier de Saint Victor dans Contra Quatuor Labyrinthus Franciae (4, 2). Pour d’autres, le terme suicide aurait été utilisé pour la première fois par Walter Charleton en 1662 dans The Ephesian Matron, traduction d’une anecdote de Pétrone, tombé en disgrâce et qui s’est ouvert les veines en 66 de notre ère. L’auteur est d’avis que se supprimer soi-même à cause d’une calamité incontournable n’est pas un crime. Edward Philips, dans son dictionnaire, A New World in Words, rapporte qu’un mot barbare a vu le jour: suicide, lequel serait dérivé de sow qui signifie «semer» et «débuter» ou encore «truie». Il est possible que Philips ait voulu exprimer par cette interprétation, dans une sorte d’ironie macabre, son mépris à l’égard de ce geste estimé vulgaire.
En français, le terme suicide fut employé pour la première fois par l’abbé Desfontaines dans les Observations sur les écrits modernes (1735, xi, p. 299) et figura dans le dictionnaire de l’Académie de 1762. C’est le même abbé, homme de lettres très apprécié, qui a inventé le terme «voltairomanie», pour se moquer du succès de son ancien protecteur. Il répondait ainsi au virulent pamphlet de Voltaire*, «Le préservatif» (Voltaire, Lettres choisies, Paris, Garnier Frères, 1963, p. 560, note 47). Il conviendrait de dire suicider et non se suicider, un pléonasme qui insiste sur le caractère personnel de l’acte de se tuer soi-même (J.-J. Lavoie, «Peut-on parler d’une obligation absolue de vivre?», Frontières, vol. 12, no 1, 1999, p. 17). Selon le même auteur, la Bible* ignore aussi bien le mot suicide que le verbe se suicider. Dans la langue hébraïque, «suicide» est une création récente et se dit hite’abedût, qui signifie se faire périr. Le verbe se suicider apparaît seulement autour du troisième ou quatrième siècle de notre ère dans le traité Semahôt et se dit comme suit: ‘ibéd ‘açemô lâda’at que l’on peut traduire littéralement par «faire périr son os avec connaissance». Cette expression met en évidence l’acte suicidaire en tant que meurtre de soi et en tant que geste conscient. En grec classique, le mot autophonos signifie «qui tue de sa propre main et qui se tue lui-même». Autrement dit, désignant à la fois l’homicide et le suicide, il associe l’un à l’autre et, par le fait même, renferme une connotation de crime. L’adverbe autophonôs pourrait se traduire comme suit: «par un meurtre commis de sa propre main ou de la main d’un parent». Cette même ambiguïté se retrouve dans le substantif authentês, qui signifie «meurtrier d’un autre ou de soi-même», tandis que l’adjectif authentês veut dire «accompli ou donné de sa propre main». Dans les deux cas, authentês souligne l’appartenance particulière de l’acte et de la victime à l’auteur qui accomplit le geste (de sa propre main, sur soi ou sur son propre sang).
Aux Pays-Bas, on préfère aujourd’hui utiliser l’expression zelfdoding (zelf, soi; doding, tuer) plutôt que le terme traditionnel zelfmoord, lequel renferme un sens péjoratif de crime (moord, meurtre). Les Néerlandais empruntent volontiers à la langue française le mot «suicide» qui sonne, à leurs oreilles, plus neutre et se présente donc comme un euphémisme. Ce n’est pas le cas dans la langue française, comme l’explique judicieusement Y. Grisé: «En mettant l’accent sur l’aspect criminel de l’acte, sur l’idée d’une destruction coupable de soi-même, en l’associant à l’idée de meurtre, ce vocable allait stigmatiser le suicide pour longtemps dans la civilisation occidentale, le chargeant d’une connotation morale péjorative parfaitement accordée à la vieille interdiction chrétienne d’origine platonicienne de mettre fin à ses jours» (Le suicide dans la Rome antique, p. 23). Les termes latin (suicidium) et français (suicide) sont donc chargés négativement d’un point de vue éthique. Dans une perspective éthique, afin de ne pas condamner ni valoriser l’acte avant d’en avoir étudié le sens et les raisons, il est préférable, dans la mesure du possible et selon le génie de chaque langue, d’avoir recours à des termes neutres. Ainsi, «se donner la mort» et «s’ôter la vie» semblent des expressions plus indiquées qu’une terminologie méliorative à connotation sacrificielle telle que «renoncer à la vie», «s’immoler», ou à caractère euphémique telle que «prendre congé», «quitter», «partir». Pour les mêmes raisons, on évitera une terminologie péjorative telle que «se détruire», «se supprimer», «se flamber la cervelle», «se faire sauter». Pourquoi ne pas se servir d’expressions descriptives qui rappellent tout simplement les moyens utilisés, comme «se pendre», «s’empoisonner», «se tirer une balle», «prendre une overdose», etc.?
D’après Grisé, le fait que, dans la Rome antique, la langue latine ne connaissait pas le mot suicidium est un signe que la mort volontaire n’était pas considérée comme un meurtre. En effet, les Romains utilisaient les termes parricidium, matricidium, fratricidium, infanticidium ou tyrannicidium pour désigner respectivement le meurtre d’un père, d’une mère, d’un frère, d’un enfant ou d’un tyran, comme ils se servirent du terme homicidium pour dire «meurtre». Or, dans leur vocabulaire aurait figuré le terme suicidium s’ils avaient considéré la mort volontaire comme un meurtre. Parmi les métaphores les plus fréquentes chez les auteurs latins, il y a l’image de la fuite ou du départ précipité ou, au contraire, celle d’une sortie tranquille ou d’une simple marche vers la mort. L’expression mortem sibi consciscere, qui signifie littéralement «se décider à se faire la mort», était la plus fréquemment employée pour désigner la mort volontaire et fait ressortir, sans confusion possible, que l’acte accompli est le fruit d’«une décision lucide de l’intelligence». Les auteurs latins utilisent volontiers des formules dans lesquelles figure l’expression sua manu et qui mettent en évidence le rôle actif et décisionnel joué par le sujet en toute liberté* et autonomie*. Pour une liste des principales formules employées dans les textes latins pour exprimer l’idée de suicide, voir Y. Grisé, Le suicide dans la Rome antique, p. 291-297.
Une confusion peut naître de l’utilisation des divers termes liés au suicide. Nous en donnons ici une définition pratique, ne correspondant pas nécessairement aux définitions généralement admises, mais permettant de renvoyer plus aisément aux différents types d’acteurs ayant des pensées et des intentions ou posant des gestes associés au suicide. «Suicidaire» est utilisé dans le sens le plus général. Il s’applique à tous ceux qui ont laissé se former en eux l’idée du suicide, y voyant une possibilité pour résoudre une difficulté de vivre ou pour en finir lorsqu’ils se considéreront comme parvenus à un stade de non-retour. Le mot est également utilisé comme adjectif, pour qualifier les pensées, les tendances et les tentatives, en un mot le processus qui mène ou peut mener au suicide. Paul Grell traite de la réalité «suicidaire» non pas comme le qualificatif individuel d’une personne, mais comme «l’attribut de processus et de représentations mondaines» dans une perspective socioculturelle. De même, il considère la réalité de la mort volontaire dans sa dimension sociohistorique, «comme expérience humaine et participation sociale, au même titre que la guerre, la conquête, le renoncement, la blessure» («Le suicidaire et la mort volontaire», colloque de l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences (ACFAS), Chicoutimi, 2005). Très opportunément, l’auteur nous rappelle Durkheim* qui montre dans l’introduction à son œuvre que les suicides «ne constituent pas, comme on pourrait le croire, un groupe tout à fait à part, une classe isolée de phénomènes monstrueux, sans rapport avec les autres modes de la conduite, mais, au contraire, qu’ils s’y relient par une série continue d’intermédiaires. Ils ne sont que la forme exagérée de pratiques usuelles.» Un homme peut s’exposer à la mort pour sauver autrui ou un savant peut s’épuiser en veilles jusqu’à en mourir. Durkheim* appelle ces actes, analogues au suicide, des «suicides embryonnaires». S’il n’est pas opportun de «les confondre avec le suicide complet et développé, il ne faut pas davantage perdre de vue les rapports de parenté qu’ils soutiennent avec ce dernier» (Le suicide, p. 7). Le «suicidant» est la personne qui, ayant pris la décision de se supprimer, se prépare à l’exécution de son projet. Le «suicidé» n’est plus. On dit que son suicide est «complété», mieux vaut dire «accompli». Dans les milieux de la prévention, on s’oppose à l’utilisation de l’expression «suicide réussi», parce que le suicide est considéré comme l’échec* non seulement de la prévention, mais aussi de la vie du suicidé. Celui-ci n’a pas réussi à trouver une voie autre à son désarroi. Les «parasuicidaires» ont des conduites qui s’apparentent, d’une certaine façon, aux comportements suicidaires, mais qui s’en distinguent par les intentions de leurs auteurs. Les acteurs de la «tentative de suicide» se distinguent nettement des «suicidants» et même des «suicidaires». Leur geste est, la plupart du temps, un appel au secours et, s’ils reçoivent de l’aide satisfaisante, ils ne répéteront pas leur geste. Leur idée n’est pas de mourir, mais de vivre autrement. En anglais, les survivors sont les proches en deuil* d’une personne suicidée, en français le survivant est celui qui survit à une tentative de suicide*. Les survivants d’une tentative de suicide demeurent des personnes vulnérables à des crises suicidaires subséquentes. Cependant, d’autres sont sortis de leur tourment avec bonheur et se disent maintenant immunisés contre le suicide. Ils sont revenus du suicide pour en témoigner dans les écoles auprès des jeunes* ou par des écrits.