Le terme anglais resiliency évoque l’idée de tolérance aux failles et aux anomalies ainsi que celle d’insensibilité aux défaillances. Transposé en éthique, le concept n’est pas sans affinité avec l’apathie ou l’ataraxie des stoïciens*. En psychologie morale*, il désigne l’aptitude à résister à la souffrance et à faire face à la vie, à rebondir après une détresse et à lutter pour sa survie. L’acquisition ou le développement de cette aptitude pourrait donc être utile sous certaines réserves. Le concept de «résilience» a été élaboré dans plusieurs domaines (dossier «Résilience» dans l’Encyclopédie de l’Agora, encyclopédie virtuelle,
En psychologie, Fritz Redl introduit le concept d’ego resilience en 1969 et décrit le phénomène des enfants invulnérables (invulnerable children). Dès 1980, plusieurs ouvrages sont consacrés à la réussite fulgurante d’individus ayant connu une enfance catastrophique de maltraitance. En France, Boris Cyrulnik est un promoteur fort médiatisé de la résilience: «Face à la violence et à déliquescence de la famille, écrit-il, de plus en plus de jeunes sont traumatisés ou, dans les meilleurs des cas, très angoissés. Mais ils ne sont pour autant condamnés aux pires dérives. Aidons-les à devenir résilients» (Un merveilleux malheur, Paris, Odile Jacob, 1999). Dans notre culture, l’enfant blessé ou traumatisé est appelé à faire une carrière de victime. Or, il a une vie après l’horreur, car l’enfant a la capacité de rebondir et d’organiser son existence pour en tirer des bénéfices importants pour soi et les autres (propos de Cyrulnik recueillis par P. Boncenne, Le Monde de l’éducation, no 292, mai 2001, et par S. Boukhari, Le Courrier de l’UNESCO, novembre 2001). Or, selon le psychiatre et psychanalyste Serge Tisseron, la résilience est inséparable de la conception du moi autonome élaborée par la psychologie américaine et qui n’est autre qu’une instance favorisant la réussite des plus aptes. Selon cette perspective, «elle est un concept qui évoque plus la lutte pour la vie, élaborée par Darwin, que la distinction morale». En plus, dans la pratique clinique, il n’est pas rare de rencontrer des patients qui, dans leur existence familiale et sociale, semblent avoir parfaitement surmonté leurs graves traumatismes d’enfance. Les victimes de maltraitances peuvent se comporter aisément comme des gens polis, respectueux, sérieux et honnêtes. Pourtant leur hostilité à l’égard de leurs parents ou de leurs éducateurs reste intacte et peut se déplacer vers un ennemi que le groupe leur désigne. On peut difficilement déterminer si une guérison apparente est stable et si le dépassement altruiste est réussi. La haine, mise en sommeil, peut éclater plus tard en violence meurtrière contre les autres ou contre soi («Ces mots qui polluent la pensée. Résilience ou la lutte pour la vie», Le Monde diplomatique, août 2003). Il s’agit donc d’utiliser avec précaution le concept de résilience. Après avoir subi une fêlure profonde, le sujet est capable de rebondir, d’apprécier avec assez de netteté ses forces et ses limites et d’évaluer les ressources, intérieures et externes, disponibles pour prendre en main son destin. D’où l’importance de l’estime de soi et l’urgence de renoncer à une image négative de soi.
Résilience et deuil
Revue Frontières, volume 22, numéros 1 et 2, 2009 /2010
La résilience est un concept récent mais qui est devenu une réalité importante dont on doit tenir compte dans l’intervention dans les domaines de la santé, de l’éducation et des affaires sociales, particulièrement en contexte de réadaptation. La résilience oblige à identifier les caractéristiques positives de la personne, les stratégies d’intervention les plus favorables à la réussite de l’intervention ou de l’expérimentation, les personnes ayant un effet positif sur son développement ou son adaptation. Comme ces facteurs sont nombreux et proviennent de plusieurs secteurs d’activités physiques et humaines, on doit parler de tuteurs de résilience (parents, intervenants, proches ou situations particulières) qui peuvent avoir cet effet positif sur le développement de la personne atteinte d’incapacités et son environnement. Deuil et résilience présentent des points communs ; ils permettent de surmonter des épreuves telles que la maladie, l’apparition d’une incapacité, la séparation d’un être cher, la mort.
Ce numéro est l’occasion de partager la réflexion de chercheurs, d’intervenants, d’éducateurs, de gestionnaires de personnes et proches sur les formes de dialogue entre les savoirs des acteurs et leur pouvoir d’agir, de soutenir, de faciliter des changements positifs, d’instaurer des conditions susceptibles d’aider des personnes et des familles à rebondir en terme de finalités d’adaptation et de réadaptation.
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