L'Encyclopédie sur la mort


Requiem pour Yves Saint Laurent

Laurence Benaïm, Requiem pour Yves Saint Laurent, Paris, Bernard Grasset, 2010, 207 pages.

Incipit

«Sa carapace ne le protège plus», m'avait assuré un intime en février 2008. La mort se glisse sous les draps des vivants avant de les frapper. Elle épuise, elle ronge, elle se colle comme une amante insatisfaite. Elle sème. Elle casse. Elle rend fou. S'en va. Sonne. Revient. Elle se fait passer pour l'autre. (p. 9)

Extraits

«Je ne savais pas qu'il y avait urgence», me dit un jour l'un de ses proches. Dans sa chambre transformée en salle d'hôpital, les feuilles de papier Canson A3 et les crayons gisaient sur son bureau. Huit infirmiers se succédaient à son chevet, dont deux en permanence.

Yves Saint Laurent le titan avait choisi d'effacer son nom de l'affiche, entre deux époques, entre deux rives, l'une artificiellement dorée, l'autre, vaincue par les faillites, le doute, la peur du lendemain. La question planait depuis des décennies. La réponse tomba cette nuit-là, un dimanche soir, un appel téléphonique, une voix lointaine et familière, presque soulagée de révéler la sanction finale, la délivrance, après tous ses mois de secret, d'attente. En mai 2008, lors de la mort de Pascal Sevran, l'inventeur de «la chance aux chansons», LCI avait par erreur lancé le nécro d'Yves Saint Laurent.

Nous étions le 1 ier juin 2008. «Monsieur Saint Laurent est mort.»

Je me souviens d'une enveloppe blanche calligraphiée à l'encre noire, de ce carton gravé: «Laissez-passer pour assister aux obsèques de Monsieur Yves Saint Laurent, église Saint-Roch, 296, rue Saint-Honoré, Paris Iier, le jeudi 5 juin à 15 h 30.» (p.84-85)

[...]

Mademoiselle Deneuve lut ce poème de Walt Whitman: «Sur le visage des hommes et des femmes, je vois Dieu. Si tu veux me revoir, cherche-moi sous tes pas...» Paris ce jour-là semblait rempli de tout ce qui faisait sa gloire et sa défaite, certains s'embrassant du regard, d'autres s'évitant. Pierre Bergé prit la parole. Ce n'était plus l'homme à la voix bourrue, le père fouettard de la faute couture, aussi aimant et fidèle envers ses proches que redouté par le deuxième et le troisième cercle, toujours au bord de la grâce et de la disgrâce. La voix s'éleva, comme ensablée, anéantie, juste soutenue par ces mots qu'elle traçait d'une canne sonore: «Ce jour-là, tu as rencontré la gloire, et depuis, elle est toi. C'est la dernière fois que je te parle. C'est à toi que je m'adrese. À toi qui ne m'entends pas. Ne me réponds pas. (...] Tu as quitté à jamais ce métier que tu avais tant servi. Tant aimé. Tu ne t'es jamais consolé...» (p. 91-92)

Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-18