Anna Politkovskaïa, journaliste russe, a été assassinée par un tueur à la casquette noire dans le hall de son immeuble rue Lesnaya à Moscou, le samedi 7 octobre 2006. Divorcée et mère de deux enfants (une fille, Vera, et un garçon, Ilia), Anna Politkovskaïa est née en 1958 à New York dans une famille russo-ukrainienne. Ses parents étaient diplomates auprès de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Après des études de journalisme à l’Université de Moscou, elle débuta sa carrière en 1982 dans le journal Izvestia. Entre 1994 et 1999, elle fut rédactrice au journal Obschchaïa Gazeta et depuis 1999, au journal Novaïa Gazeta.
Anna Politkovskaïa aborda dans ses reportages beaucoup de sujets tabous et ne dissimula pas ses critiques envers le président russe Vladimir Poutine. «Tant qu’il sera au pouvoir, on ne pourra pas vivre dans un pays démocratique», affirma-t-elle. Elle fut particulièrement connue pour ses nombreux séjours en Tchétchénie où elle avait interviewé le président Aslan Maskhadov en 1998 et avait couvert la seconde guerre dès 1999.
«La liste est longue» de ceux qui pouvaient lui en vouloir selon Svetlana Gannouchkina, du Comité d'assistance civile aux réfugiés tchétchènes, «elle luttait contre tout le système de la terreur d'État». Un mystérieux « Cadet » lui envoya en 2001des menaces de mort par courrier électronique qui l’ont contrainte à se réfugier en Autriche. «Cadet» était le surnom d'un policier, Serguei Lapine, qui, à la suite des révélations de la journaliste, fut condamné, en 2005, à onze ans de prison pour le massacre de Tchétchènes. Selon des membres de sa famille, des collègues et des amis, vers la fin de sa vie, elle se savait menacée, mais elle repoussait leur conseil de choisir l’exil.
Lors de la prise d’otages au théâtre Doubrovka en septembre 2002, elle avait servi de médiatrice aux autorités russes. En septembre 2004, elle fut victime d’empoisonnement dans l’avion qui la conduisait à Beslan en Ossétie du Nord, lors de la prise d’otages qui fera plus de trois cents victimes. En juin 2004, elle avait été détenue plusieurs heures à Tsenteroï, en Tchéchénie, au domicile même du président Ramzan Kadyrov. Deux jours avant son assassinat, alors que Kadyrov célébrait son trentième anniversaire, Anna Politkovskaïa le traitait de «Staline » et de «froussard armé jusqu'aux dents» sur l'antenne de Radio Liberté. «Aussi longtemps que Novaïa Gazeta existera, les tueurs ne pourront pas dormir tranquilles», disait-elle. Quelques jours après sa mort, son dernier article sur les tortures en Tchétchénie, inachevé, a été publié par son journal Novaya Gazeta à un million d’exemplaires.
Vladimir Poutine était la principale cible de ses livres. D'après Stanislav Belkovsky, directeur de l'Institut de Stratégie Nationale de Russie, «Il n'aimait pas Anna, il la détestait.» Fait à noter: le jour du meurtre d'Anna coïncidait avec l'anniversaire du président. D'abord muet, celui-ci a fini par rompre son silence, lors d'une conversation téléphonique avec George Bush sur la Corée du Nord afin d'assurer ce dernier que les autorités feraient tous les efforts nécessaires pour mener une enquête objective.
Distinctions
Pour sa recherche courageuse de la vérité, Anna Politkovskaïa a reçu plusieurs distinctions : prix du Pen Club (2002), prix du journaliste et de la démocratie décerné par l’OSCE (2003), prix de l’Union des journalistes en Russie (2000) et prix d’Olof Palme (2004). Le Prix mondial de la liberté de la presse UNESCO-Guillermo Cano à été décerné, à titre posthume, à la journaliste russe Anna Politkovskaya. Le président du jury, Kavi Chongkittavorn, a salué « la ténacité incroyable » avec laquelle Anna Politkovskaya continuait «de couvrir les événements de Tchétchénie alors que le monde entier s’était désintéressé de ce conflit ».
Le documentaire Lettre à Anna, du réalisateur suisse Eric Bergkraut sur Anna Politkovskaïa, a obtenu le Prix spécial du Festival One World 2008 des films sur les droits de l’homme. Le film primé « est un portrait très complet de la journaliste et militante des droits de l’homme assassinée, qui se rangeait parmi les critiques de la soi-disant seconde guerre de Tchétchénie et des massacres sanglants perpétrés par l’armée russe contre la population civile ». Selon le jury, ce documentaire «contribue de manière exceptionnelle à la défense des droits de l’homme».
Publications
En dehors de ses reportages, Anna Politkovskaïa publia plusieurs livres sur la politique russe, plus particulièrement en Tchétchénie. Quatre de ses ouvrages ont été traduits en français : « Voyage en enfer, journal de Tchétchénie » (2000), «Tchétchénie, le déshonneur russe» (2003), « La Russie selon Poutine (2005), et « Douloureuse Russie, journal d’une femme en colère » (2006).
La Russie selon Poutine, Buchet Chastel, 2005
La journaliste russe dresse un portrait douloureux de ses concitoyens et de son pays, seconde puissance mondiale jusqu'en 1991, et établit une critique sans concession de Poutine. Face à la violence de l'armée, au cynisme des nouveaux riches, au désarroi des autres, elle s'interroge sur les objectifs du président, sur l'apathie de la société et sur le silence des démocraties occidentales.
Douloureuse Russie : journal d'une femme en colère, Buchet Chastel, 2006
En arrivant au Kremlin en 2000, Vladimir Poutine avait promis d'instaurer en Russie la «dictature de la loi». L'ancien agent du KGB s'engageait à mettre fin à la corruption qui rongeait le pays, à ramener à la raison l'irrédentisme tchétchène, à offrir à chaque citoyen un niveau de vie décent. Mais s'il y a bel et bien une dictature en Russie, c'est celle exercée par un pouvoir impitoyable qui ne se soucie de la loi que lorsque cela l'arrange, explique Anna Politkovskaïa dans cette bouleversante chronique d'un pays à la dérive. Au fil des jours, la journaliste de la Novaïa Gazeta, dresse un constat terrible de la «poutinisation». Loin d'être pacifiée, la Tchétchénie demeure plus que jamais une zone de non-droit. La «verticale du pouvoir» écrase toute opposition digne de ce nom, n'hésitant pas à truquer grossièrement les élections. Sur la totalité du territoire, une bureaucratie corrompue pille les citoyens. Les tribunaux rendent une justice qui ne profite qu'aux mieux, en cour. Les pauvres, les vieux, les invalides, les orphelins, sont livrés à eux-mêmes. Au sommet de ce système «néosoviétique», un homme : Vladimir Poutine. Combien de temps encore la population, éreintée, apeurée et désespérée, va-t-elle se laisser faire? Comme toute évolution en douceur semble impossible, les discours les plus radicaux trouvent de plus en plus d'écho. Si révolution il y a en Russie, elle ne sera ni rose comme en Géorgie, ni orange comme en Ukraine. Elle sera couleur rouge sang, prédit Anna Politkovskaïa. (Présentation de l'éditeur).