Jérome Garcin, Olivier, Gallimard, 2011
Quatrième de couverture Editions Gallimard
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A la veille de ses six ans, Olivier fut fauché par une voiture. Il ne survécut pas à l'accident. Il était le frère jumeau de Jérome Garcin. Olivier a grandi en lui, en même temps que lui. Une présence fantomatique qui lui a donné très tôt le goût du repli, et un étrange rapport à l'existence.
Dans ce récit, Jérome Garcin remonte le fil de ses souvenirs, met en regard les grands textes littéraires ainsi que les écrits scientifiques consacrés à la gémellité, et retrouve à chaque fois un peu de ce frère perdu. Un jeu de miroir et de mémoire pour tenter de dire ce drame qui a déterminé sa vie.
Olivier prolonge La Chute de cheval et Théâtre intime, deux récits autobiographiques parus aux Editions Gallimard.
Pages 57-58
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Parmi tout ce que tu m'as appris, il y a d'abord ceci : on écrit pour exprimer ce dont on ne peut pas parler, pour libérer tout ce qui, en nous, était empêché, claquemuré, prisonnier d'une invisible geôle. Et qu'il n'y a pas de meilleure confidente que la page blanche à laquelle, dans le silence, on délégue ses obsessions, ses fantasmes et ses morts. Tu m'as révélé l'incroyable pouvoir de la littérature, qui à la fois prolonge la vie des disparus et empêche les vivants de disparaître. Tu as fait de moi un jumeau qui n'a pu vieillir qu'en écrivant, c'est-à-dire en traçant sous abri son sillon, ligne après ligne, champ après champ. Je te dois cet immense privilège : converser avec toi le plus naturellement du monde par la seule magie des mots. Le silence, qui est la vraie mort des absents, m'a été épargné. Il me semble parfois que j'ai beaucoup de chance.
Je rêverais qu'un jour, dans mes livres où résonnent les voix de tous ceux qui me sont chers, des inconnus entendent la tienne, si fluette et futée, et se disent : ne le pleurons pas, il a joliment vécu, c'est un sourire qui demeure.
Pages 67-68
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Toute ma vie, le plus souvent à mon insu, j'ai cherché moi aussi, un jumeau de sustitution, qui fut moins soucieux et moins mélancolique, plus limpide, plus léger, plus volage, un Perdican sans apesanteur, un Rodrigue téméraire, un Lorenzaccio qui saurait prendre la lumière. Combien de fois ai-je travaillé, comme en équitation, à mettre mon poids d'appui sur l'autre épaule, à trouver un équilibre imaginaire dans le grand manège de l'existence. Je me souviens à dix-huit ans, d'avoir jeté mon invisible dévolu sur un garçon qui ne se prénommait pas Olivier par hasard. Il avait le charme ombreux du frère perdu, il te ressemblait. Comme nous, il était né dans un berceau de papier et il aimait follement la littérature. Son oncle Pierre Nora, que notre père avait rencontré sur les bancs de la khâgne, à Louis-le-Grand, avait été son meilleur et plus fidèle ami. Et nous passions nos vacances à Noirmoutier, entre le bois des Eloux et le bois de la Chaize, comme si nous étions de la même famille, du même sang.
Pages 124-125
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A mesure que je vieillis, je me sens gagné par un sentiment croissant d'incomplétude, une manière de boiterie, invisible mais récurrente.
A vingt ans, pressé de vivre, je m'imaginais invincible et indivisible. Tu ne me manquais guère, trop occupé que j'étais à me préférer. J'allais de l'avant pour échapper à ce qui, sans être jamais nommé, s'apparentait sinon à une malédiction, du moins à un sort qui eût frappé les miens.
On ne voulait pas, en effet, que ta mort et celle de notre père fussent seulement accidentelles; que, réparties équitablement dans une famille autrefois triomphante, les mystérieuses maladies des uns ou les difficultés des autres à affronter la réalité fussent le fruit du hasard. A en croire ceux qui habitaient la grande et pieuse maison de Bray, dont chaque chambre s'ornait d'un crucifix, tout était écrit, il était vain de s'opposer à la fatalité, l'ici-bas se soumettait au Très-Haut et les cloches de l'abbatiale rythmaient en profondeur, l'existence quotidienne des croyants, dont les actions de grâces valaient autant pour les bonheurs éphémères que pour les drames éternels.
Cette loi tacite, je ne l'ai jamais acceptée. Mon éloignement, qui n'était pas du désamour mais de la précaution d'usage, fut l'expression de ma révolte. Grâce à Anne-Marie, mon autre religion, j'ai exploré de nouveaux paysages, inventé mon propre territoire, construit ma famille, choisi une chaumière dans un lieu qui ne devait rien au passé. Je n'ai pas hérité, cela m'a sauvé.
Mais le temps, qui est un faux ami, s'est chargé de me rattraper. Je n'ai plus vingt ans. Le passé auquel je croyais avoir tourné le dos se rappelle de plus en plus à mon bon souvenir. Les gènes me poursuivent. Quelques méchants chromosomes me narguent. Et il me semble parfois avancer moins vers mon avenir que vers mes origines. Moi qui me croyais entier, je me découvre aujourd'hui incomplet.
Biographie Jérôme Garcin
Après une scolarité au Lycée Henri IV de Paris, Jérôme Garcin fait des études de journalisme. Il collabore plusieurs années à la rédaction de L'Evénement du jeudi et aujourd'hui il est producteur et animateur de l'émission littéraire Le Masque et la Plume sur France Inter (depuis 1989). Directeur adjoint de la rédaction du Nouvel Observateur et membre du comité de lecture de la Comédie Française.
En 2003, il obtient le Prix France Télévisions Essai pour Théâtre intime, dans lequel il raconte sa passion pour son épouse Anne-Marie Philipe (fille de l'acteur Gérard Philipe), avec laquelle il partage l'amour de l'équitation. Dans La Chute de cheval pour lequel il reçoit le Prix Roger Nimier en 1998, il évoque la mort accidentelle de son père. Dans Roman- Bartabas, il revient sur sa passion pour le cheval et l'Art équestre, en nous racontant son amitié pour le talentueux Bartabas qui créa Le Théâtre équestre Zingaro (Aubervilliers).
Ses derniers ouvrages Cavalier seul et Les Soeurs de Prague paraissent en 2006 et 2007 chez Gallimard. Parallélement, il dirige Nouvelles Mythologies (Ed.du Seuil 2007), ouvrage dans lequel il écrit le texte « Le Corps nu d'Emmanuelle Béart ». Suivent Les livres ont un visage (Mercure de France 2009) et L'Ecuyer mirobolant (Gallimard 2010). En 2008, il reçut le Prix Duménil pour Son Excellence, monsieur mon ami. Enfin, en 2011, Gallimard publie Olivier, ouvrage dans lequel Jérôme Garcin évoque la mort accidentelle de son frère jumeau Olivier, à l'âge de cinq ans.
Liens
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