Henri Michaux, né à Namur en Belgique le 24 mai 1899 et décédé d'un infarctus à Paris le 19 octobre 1984, est un écrivain, poète et peintre belge d'expression francophone naturalisé Français. Michaux dit de lui-même: «je suis habité». On oserait dire habité par la mort, habité par une vocation pour la mort, - pour la mort volontaire?-, même s'il est décédé de mort dite «naturelle». Sa vie et son oeuvre sont un cri déchirant au bord du «plus rien» (la mort) qui parcourt tout son être. Condamné à vivre, il fabrique lui-même ses drogues: l'opium, la mescaline, les voyages, les amitiés, l'écriture, la peinture, la lecture. Pour lui, tout est drogue en tant que puissance de libération du carcan de son enfermement dans l'angoisse.
La souffrance
« Cette litanie de la souffrance, Michaux la traîne tout au long de son oeuvre. Pour lui, en effet, toute vie est souffrance et souffrance permanente. Il y a une fatalité de la souffrance, une malédiction à laquelle, malgré tous ses efforts, il ne peut échapper. Sans doute, les forts, les bien-portants, les imbéciles ne souffrent-ils pas, mais leur présence est souffrance pour les autres, les faibles, les lâches, les honteux.
La souffrance est d'abord le malheur qui colle à la peau, dont il ne peut se séparer: "Et je circulais dans le cirque immense de mon malheur", car, "je n'ai pas l'imagination du bonheur." (La Vie dans les Plis», p. 103)
Mais souffrir est une nécessité: "Quand je ne souffre pas, me trouvant entre deux périodes de souffrance, je vis comme si je ne vivais pas." (op. cit. p. 112)
Et il sera de lui-même la victime et le bourreau, la plaie et le couteau: "Quel drôle de Narcisse je fais: je me scalpe, je m'écorche...Je creuse moi-même." (op. cit., p. 112)
Un souffle au coeur le contraint à s'écouter vivre, à surveiller sans cesse cette "pompe sans allant": "Tout à coup,dans la nuit, comme une brusque coup de pompe dans la poitrine, au coeur, mais ce n'est pas le coup de pompe qui donne, c'est celui qui retire, qui retire, vous laissant au bord de l'évanouissement, au bord de l'horreur sans sujet au bord du "plus rien" (op. cit., p. 63). Ce texte trahit l'angoisse permanente de celui "qui attend l'événement terrible" »
(N. Murat, Henri Michaux, Paris, Éditions universitaires, « Classiques de XX° siècle », 1967, p. 59-60)
L'anti-espace
«Le retour à la souffrance de vivre est l'humiliation, la chute. Là, c'est le retour au petit, au mesquin, à l'étouffement; rien n'est possible après. Ange déchu, Michaux est contraint de rendre compte de son royaume perdu, de s'accrocher à du dérisoire, à de l'anti-espace pour survivre. Et c'est cette lutte épuisante qui est son parcours humain, la prise de possession de sa conscience par le contingent, alors qu'il a connu l'épanouissement d'ailleurs. Il ira donc chercher en dehors des hommes ses refuges inactuels qui feront rire de son secret: il fera appel de sa condamnation à vivre, cherchera de nouveau à s'évader, en fabriquant lui-même les outils de l'évasion.» (N. Murat, op. cit., p. 83)
Drogue
«Tout est drogue à qui choisit pour y vivre de l'autre côté» ( Plume, p.105). Il exprime ainsi le sens de sa vocation choisie librement de la marginalité. «Dans son expérimentation totale, Michaux a parcouru un long chemin. Écrivain de son heure, de son moment, il atteint à une vérité universelle du désespoir à travers l'étude et la lecture des mystiques et par divers cheminements, aboutis à l'expérience de la drogue. [...] Michaux avec une insistance pathétique, s'emploie à démontrer l'importance décisive, la communion esthétique, le lien profond entre la drogue et lui. Mais nous avons peine à le croire. Autant le cours texte sur l'éther était, par sa densité, chargé d'émotion, autant les volumes qui suivent apportent bien peu à la connaissance de l'ensemble. Il y a cependant une accélération du rythme des images, une hachure du graphisme qui marque le trouble psychique dans lequel est entré Michaux comme s'il voulait ne plus en sortir.» (N. Murat, op. cit., p. 117)
Le grand combat
Dans « Le grand combat», poème dédié à R.-M. Hermant, «Michaux multiplie les verbes dont les sonorités sont parlantes d'agressivité ou d'instinct défensif. De quel ventre sortira le «Grand Secret»? Secret de naissance ou secret de la mort? Le mot "cerceau" peut dériver à la fois vers le "berceau" et le "cercueil", point de départ et lieu d'arrivée de ce "grand combat" qu'est la vie.» (Poètes français, p. 124) Les caractères gras sont de nous.
Le grand combat
Il l'emparouille et l'endosque contre terre;
Il le rague et le roupète jusqu'à son drâle;
Il le pratèle et le Iibucque et lui barufle les ouillais;
Il le tocarde et le marmine,
Le manage rape à ri et ripe à ra.
Enfin il l'écorcobalisse.
L'autre hésite, s'espudrine, se défaisse, se torse et se ruine.
C'en sera bientôt fini de lui;
Il se reprise et s'emmargine ... mais en vain
Le cerceau tombe qui a tant roulé.
Abrah! Abrah! Abrah!
Le pied a failli !
Le bras a cassé!
Le sang a coulé!
Fouille, fouille, fouille,
Dans la marmite de son ventre est un grand secret
Mégères alentour qui pleurez dans vos mouchoirs;
On s'étonne, on s’étonne, on s'étonne
Et on vous regarde
On cherche aussi, nous autres, le Grand Secret.
Qui je fus. 1927.