Le 10 septembre 1898, cet ouvrier italien poignarde à Genève Élisabeth, impératrice d’Autriche et reine de Hongrie. Il sera condamné à perpétuité en Suisse*et écrira ses Mémoires conservées sous le titre Histoire d’un enfant abandonné à la fin du XIXe siècle, racontée par lui-même (édition établie et présentée par Santo Cappon dans Mémoires de l’assassin de Sissi, Paris, Le Cherche Midi, 1998).
Ce manuscrit d’un régicide est un récit exceptionnel sur l’errance d’un enfant qui connut l’orphelinat dès sa naissance à Paris. Fils d’une mère italienne qui l’abandonne et part pour l’Amérique, il est renvoyé en Italie et passera d’une famille d’accueil à une autre. Dans la préface, sous la forme d’une lettre adressée au lecteur anonyme et signée «Le timide Nazaréen, le généreux cosmopolite», il écrit: «Je vous convie donc tous, vous, ô criminalistes, si vous tenez absolument à savoir comment s’altère la nature humaine, à lire cette biographie qui est la biographie d’un criminel artificiel. Pour que ces chantres du soi-disant progrès social […] avant d’accorder leurs lyres, aient à s’intéresser un peu plus de l’enfance abandonnée qui, déjà privée au jour de sa naissance […] de ces dons infiniment précieux que la Providence octroie à toutes ces créatures — les caresses, les sourires, les embrassements d’une mère…» (p. 89). À la lecture de ces cinq cahiers, on se rend compte que son coup meurtrier n’est pas la recherche de la vaine gloire, comme on l’a présenté lors de son procès, ni un complot machiné par des anarchistes, mais le geste d’un être frustré qui tente d’atteindre sa mère. Les cahiers de Lucheni furent volés en 1909 par un des gardiens de la prison. L’auteur ne s’en remettra pas. Lui qui avait jusqu’alors vécu en captivité d’une façon exemplaire sombra dans la violence et la folie. Il se suicida, selon les rapports officiels, en 1910.
La comédie musicale en langue allemande intitulée Elisabeth, de Michael Kunze et Sylvester Levay (1992) présente l’impératrice amoureuse de la mort. Lucheni y joue le rôle omniprésent de narrateur et d’«incontournable médiateur qui rend possible ce funèbre accomplissement, même si l’on oublie ici qu’il est un être de chair et de sang capable lui aussi de souffrir» (p. 210). La comédie musicale s’ouvre sur une question et une réponse: «Pourquoi, Lucheni, pourquoi avez-vous assassiné l’impératrice Élisabeth? Parce que c’est elle qui l’a voulu (Weil Sie es woltte).» Santo Cappon établit un parallèle entre l’itinéraire de Lucheni et celui de l’impératrice, mettant en évidence l’association du bourreau et de la victime, leur commun mal de vivre, issu de leur haine de l’injustice et de leur vie privée d’amour.
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