L'Orestie est l'oeuvre d'Eschyle, né à Éleusis (Attique) vers 526 av. J.-C., mort à Géla (Sicile) en 456 av. J.-C. C'est le plus ancien des trois grands tragiques grecs. est l'histoire d'une interminable saga de vengeance et de sang versé, qui, dans la démocratie récemment instaurée. appelle à un nouveau modèle de justice. Désormais, la justice ne pourra plus être le fruit du ressentiment, mais l'oeuvre de la raison. La justice se fera sous la forme de la mise en scène d'un débat où accusateurs et défenseurs déployeront leur argumentation devant un tribunal présidé par un juge investi d'autorité.
L'Orestie est une trilogie, dont les pièces sont Agamemnon, Les Khoéphores et Les Euménides. Les extraits choisis mettent en évidence l'urgence criante d'une justice où la raison, en quête de vérité, apaise la passion, en quête de vengeance. Une justice qui tend vers une certaine impartialité et met fin aux guerres intestinales. La paix ad intra deviendra une force protectrice contre les ennemis ad extra. Dans cette tragédie eschylienne, les voix des dieux, se mêlant aux voix des hommes, ne sont pas exemptes d'intrigues et s'imposent comme des oracles dont la logique est inaccessible à la raison contemporaine.
«Souvent le poète enrichit la langue de mots nouveaux. Ainsi quand il évoque le chant des Érinyes dans l'Orestie. Ce «chant d'horreur» est comme un chant magique: «Pour notre victime*, voici le chant délire, vertige où se perd la raison, voici l'hymne des Érinyes, enchaîneur d'âmes, chant sans lyre, qui sèche les mortels d'effroi.» (Euménides, v. 328 et suivantes)» (J. de Romilly et M. Trédé, Petites leçons sur le grec ancien, Stock, 2008, p. 43)
Oreste à Delphes : www.mediterranees.net
AGAMEMNON
Parmi les messages des vieillards, Clymnestre apprend qu'Agamemnon a sacrifié sa fille Iphigénie aux dieux afin d'assurer le départ de la flotte grecque sous des vents favorables. Clymnestre invite son époux Agamemnon, de retour de la guerre de Troie, à entrer dans son palais. La captive Cassandre, princesse troyenne et prophétesse, se lance dans un discours prophétique délirant et le suivra à son tour dans le palais. Aussitôt, des cris annoncent la mort du roi et de sa maîtresse. Au-dessus des cadavres d'Agamemnon et de Cassandre, Clymnestre justifie son crime devant les vieillards: Agamemnon expie ainsi ses propres crimes et ceux de son père Atrée qui a égorgé les enfants de sa soeur Thyeste.
LE CHŒUR DES VIEILLARDS.
Strophe I.
Ô femme ! quel fruit maudit de la terre as-tu mangé ? Quel poison sorti de la mer as-tu bu, pour amasser ainsi sur toi, avec ce crime horrible, les exécrations du peuple ? Tu as renversé, tu as égorgé. En horreur aux citoyens, tu seras chassée d'ici !
KLYTAIMNESTRA.
Maintenant, tu veux que je sois chassée de la ville, bannie, chargée de la haine des citoyens et des exécrations du peuple, et tu ne reproches rien à cet homme, lui qui a sacrifié sa fille sans plus de souci d'elle que d'une des brebis qui abondaient dans les pâturages, elle, la très chère enfant que j'avais mise au monde, et afin d'apaiser les vents Thrèkiens ! N'est-ce pas lui qu'il eût fallu chasser d'ici en expiation de cette impiété ? Mais, sachant ce que j'ai fait, tu m'es un juge inexorable. Certes, je te le dis, tu peux menacer, je suis prête. Celui qui aura la victoire commandera. Si un dieu a résolu ta défaite, du moins la sagesse t'aura été enseignée.
LE CHŒUR DES VIEILLARDS.
Antistrophe I.
Tu parles, pleine d'audace et d'orgueil, et ton esprit furieux est ivre du sang du meurtre ! Cette tache de sang sur ta face est non vengée ; et il te faut, abandonnée des tiens, expier la mort par la mort.
[...]
Égisthe, fils de Thyeste et amant de Clymnestre, revendique la responsabilité du meurtre d'Agamemnon et le droit de règner sur Argos:
AIGISTHOS
[...] J'étais le troisième enfant de mon malheureux père, et je fus chassé avec lui, tout petit dans mes langes. Devenu homme, la justice m'a ramené, et j'ai tendu des embûches à celui-ci, et, bien qu'absent, j'ai tout mené à fin. Aussi, maintenant, je trouverai la mort belle, puisque je vois cet homme enveloppé dans le filet de la justice !
[...]
LE CHŒUR DES VIEILLARDS.
Comment serais-tu maître des Argiens, toi qui, ayant médité le meurtre de cet homme, n'as pas osé le tuer de ta propre main?
AIGISTHOS.
Il est clair que c'était à une femme de l'envelopper de ruses. Moi, son ennemi depuis longtemps, j'étais suspect. Maintenant, à l'aide de ses richesses, je tenterai de commander aux Argiens. Celui qui n'obéira pas, je le dompterai rudement comme un jeune étalon furieux et rebelle au frein. La faim unie aux ténèbres horribles le verra bientôt apaisé.
LE CHŒUR DES VIEILLARDS.
Pourquoi, dans ton lâche cœur, n'as-tu pas tué seul cet homme ? C'est sa femme, souillure de cette terre et de nos dieux, qui l'a tué. Orestès ne voit-il point la lumière quelque part, et, par une fortune favorable, ne reviendra-t-il point dans sa patrie pour vous châtier tous deux ?
[...]
LES KHOÈPHORES
Quelques années plus tard, Oreste revient d'exil et prie sur la tombe de son père où il se fait reconnaître par sa soeur Électre, accompagnée d'esclaves troyennes porteuses de libations. Il lui explique les oracles d'Apollon l'incitant à venger son père. Sous les apparences d'un étranger, il entre au palais et tue sa mère et Égisthe, son amant. Il justifie son matricide devant les Khoéphores:
ORESTÈS.
L'a-t-elle fait, ou ne l'a-t-elle pas fait ? Ce voile rougi par l'épée d'Aigisthos m'est un témoin sûr. Les taches de sang ont résisté au temps et altèrent encore les couleurs variées de ce voile. En le voyant, je m'applaudis et je pleure, à la fois, sur moi-même, et j'atteste ce tissu qui a perdu mon père. Je pleure le meurtre et la vengeance, et ma race tout entière, et je gémis sur cette victoire qu'il faudra expier.
LE CHŒUR DES KHOÈPHORES.
Nul parmi les hommes ne passe des jours tranquilles pendant tout le temps de sa vie. Chacun souffre à son tour, tantôt l'un, tantôt l'autre !
ORESTÈS.
Quoi qu'il en soit, je sais comment tout ceci doit finir. Ainsi que des chevaux sans frein, emportés hors du chemin des chars, mes sens effarés me domptent et m'emportent, et mon cœur est prêt à hurler de terreur et la rage se rue en lui ! Pendant que je me possède encore, je crie à mes amis que j'ai tué ma mère avec justice, car elle était souillée du meurtre de mon père et les dieux la haïssaient. Celui qui m'a donné ce courage, c'est Loxias, le divinateur Pythien ! C'est lui qui m'a révélé par ses oracles que si je commettais ce meurtre, je ne serais point tenu pour coupable. Si je lui avais désobéi, je ne dirai pas le châtiment promis ; nul n'en pourrait imaginer l'horreur ! Et, maintenant, voyez ! avec ce rameau entouré de laine, j'irai vers le sanctuaire de Loxias, au nombril de la terre, où brûle la flamme sacrée qu'on dit éternelle, afin d'y expier le sang répandu de ma mère. Loxias ne m'a point permis de chercher un autre foyer hospitalier. Quand le temps sera venu, j'adjure tous les Argiens d'attester les maux qu'on leur avait préparés. Pour moi, chassé de cette terre et vagabond, vivant ou mort, je laisserai une renommée fatale.
LE CHŒUR DES KHOÈPHORES.
Puisque tu as commis une action juste, ne te laisse pas fermer la bouche par les cris funestes de la renommée, et ne parle pas contre toi-même après avoir affranchi toute la race Argienne et coupé bravement les têtes de deux serpents !
[...]
LES EUMÉNIDES
À Delphe, Apollon ordonne à Oreste de se rendre à Athènes pour y être lavé de son crime par Athéna. À Athènes, Athéna convoque un tribunal où les voix divines et humaines se mêlent pour rendre justice. Apollon vient plaider la cause d'Oreste et Athéna se range du côté du père et vote en faveur d'Oreste:
ATHÈNA.
Écoutez encore la loi que je fonde, peuple de l'Attique, vous qui êtes les premiers juges du sang versé. Ce tribunal, désormais et pour toujours, jugera le peuple Aigéen. Sur cette colline d'Arès, les Amazones plantèrent autrefois leurs tentes, quand, irritées contre Thèseus, elles assiégèrent la ville récemment fondée et opposèrent des tours à ses hautes tours. Ici, elles firent des sacrifices à Arès, d'où ce nom d'Arèopagos, le rocher, la colline d'Arès. Donc, ici, le respect et la crainte seront toujours présents, le jour et la nuit, à tous les citoyens, tant qu'ils se garderont eux-mêmes d'instituer de nouvelles lois. Si vous souillez une eau limpide par des courants boueux, comment pourrez-vous la boire ? Je voudrais persuader aux citoyens chargés du soin de la république d'éviter l'anarchie et la tyrannie, mais non de renoncer à toute répression. Quel homme restera juste, s'il ne craint rien ? Respectez donc la majesté de ce tribunal, rempart sauveur de ce pays et de cette ville, tel qu'on n'en possède point parmi les hommes, ni les Skythes, ni ceux de la terre de Pélops. J'institue ce tribunal incorruptible, vénérable et sévère, gardien vigilant de cette terre, même pendant le sommeil de tous, et je le dis aux citoyens pour que cela soit désormais dans l'avenir. Maintenant, levez-vous, et, fidèles à votre serment, prononcez l'arrêt. J'ai dit.