Notre intérêt pour cette oeuvre inachevée de Puccini est double. Il réside d'abord dans le personnage de Turandot qui associe la sexualité à la mort, mais surtout dans la figure de la jeune esclave Liú qui, par amour pour le prince Calaf, fils de son maître Timor, refuse de révéler le nom de Calaf en sacrifiant sa vie non sans avoir prédit à Turandot que celle-ci aussi ne pourrait pas ne pas aimer Calaf: «Tu che di gel sei cinta».
«Le 25 avril 1926, Toscanini dirige la création de l'ultime opéra de Puccini, Turandot. Respectueux de la genèse de l'oeuvre, le maestro italien interrompit, contre l'usage traditionnel, la représentation. Lorsqu'à l'acte III, Liù meurt sur la scène, en se poignardant, le chef italien marqua un temps d'arrêt, soulignant que l'auteur en était là, dans sa partition, lorsqu'il mourut, laissant l'ouvrage inachevé.
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Il existe bien un poème persan du XII ème siècle évoquant l'oeuvre d'une princesse sanguinaire: «Le Pavillon des sept princesses» de Nezâmi de Ganja. Au siècle suivant, l'écrivain Lari, a dû en avoir connaissance quand il imagine son propre conte intitulé «Turandot» dont le nom signifie logiquement: «Turan» (de Chine) et «Dot» (Princesse). Mais, la figure de la «fille du ciel» telle qu'elle apparaît en Occident, est transmise par la traduction des Contes des Milles et une nuit (d'origine persane) par François Pétis de la Croix. En particulier, l'Histoire du prince Calaf et de la princesse de la Chine, qui inspire à Lesage puis à Gozzi, leur oeuvre respective: l'opéra-comique, La Princesse Turandot (1729), Turandotte (1762).
Mais, l'invention de Puccini et de ses librettistes apporte des changements importants, qui approfondissent la psychologie de l'héroïne, en particulier ils inventent avec génie, l'ancêtre dont Turandot perpétue la mémoire et le voeu. Ils en font une vierge hystérique mais sensible et surtout rendue humaine par la blessure dont l'origine la précède et qui la rend elle-même prisonnière d'une sorte de malédiction perpétuée malgré elle. [...] Sa crainte des hommes, et la volonté de décapiter chaque nouveau prétendant vient de ce que, pour Turandot, la jouissance sexuelle apporte la mort. En contrepoint au portrait sadique de la princesse, s'affirme également, dans la conception puccinienne, la bonté et la générosité de l'esclave Liù, pur amour qui à l'inverse, n'hésite pas à faire le don de sa vie, pour sauver l'homme qu'elle aime.» (Alexandre Pham, «Turandot, Genèse et enjeux»)
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article=854&identifiant=20072156OIE6E8QUM5J8IUO5Q9CSAKO6