Leïla Houari, Les rives identitaires, Paris, L'Harmattan, 2011.
Crise d’identité, perte des repères: la vie s’effondre en soi et autour de soi. Comment émerger du vide quand la douleur de l’absence le creuse ? Vers quels rivages porter son regard dans une nuit où tout se dérobe ?
La magie des mots, que l’on aligne, que l’on prononce et qui prennent vie, force les dédales de la mémoire, compare souvenirs et réalités. En racontant, on reconstruit le passé qui vient de sombrer, en y confrontant le présent on s’invente un futur; on tente d’ouvrir à nouveau les yeux sur une rive et puis sur l’autre.
Dans ce récit, faits réels et imaginaires se mêlent, comme s’interpénètrent souffrance et joie de vivre, présent et passé, ici et ailleurs. Les personnages qui peuplent toutes ces histoires sont riches des mille visages, qui reflètent les territoires traversés. Ils ont jeté l’ancre pour étendre leurs racines de part et d’autre de la Méditerranée, à gauche et à droite de la Seine, dans les « pays » entre Océan et rives intérieures. C’est aussi un récit de deuil, d’émigration, de révolte d’une enfant devenue une femme à la personnalité trempée, intégrant à sa culture multiple ses droits de femme libre, blessée par l’injustice. C’est la vie d’un homme adoré et haï, né pour vivre libre, d’un père confiant et défié, d’un mari volage et attendu, d’un enfant du désert, d’un cavalier mythique. C’est aussi le portrait et l’histoire d’une femme dévouée, enfermée dans l’espace dévolu par la tradition à l’épouse, mais dont la force et la rage emplissent le silence et exultent dans les plaisirs accessibles et partagés.
Le récit déplace les limites des genres: du dialogue martelé aux évocations poétiques, de la forme narrative du conte aux scènes de la vie urbaine, de la réflexion à la relation d’un rêve ou d’un cauchemar. Il passe de l’un à l’autre au fil du temps et des parcours et se déroule tel un récit nomade.
Nicole Terrasse
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L’auteur
Leïla Houari est née en 1958 à Casablanca (Maroc). Sept ans après sa naissance, ses parents s’exilent à Bruxelles. En quête d’identité, elle décide de retourner au Maroc, espérant y trouver une réponse à ses questions. L’expérience lui apprend que choisir entre culture arabe et culture européenne lui est impossible et décide de ne plus rendre de compte. Très tôt, elle exprime à travers l’écriture ses émotions, ses angoisses, ses interrogations. Les formes en sont multiples : romans, nouvelles, théâtre, scénarii, réalisation. En 1996, elle s’installe à Paris.
Ecrivain, journaliste, femme de théâtre, Leïla Houari témoigne de son temps des difficultés à la double appartenance culturelle. Elle participe à des animations théâtrales, donne des cours d’alphabétisation et s’adonne à sa passion de toujours, l’écriture, « l’envie des mots ».
Première lauréate du prix Laurence Trân, son roman Zeida de nulle part (L’Harmattan).
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Extrait
« Ailleurs »
Le bateau glisse sur l’eau, l’écume rageuse postillonne aux visages des partants. Eux sourient dans la béatitude de la terre promise. L’autre rive ne peut les décevoir. Les larmes de la petite fille scellent un pacte profond avec la mer. Elle jure que désormais elle lui confiera toutes ses peines, toutes ses joies. Cette ogresse aux cheveux fous la terrorise mais son amour pour elle est infini.
- Tu vois les lumières scintillantes là-bas ?
La nuit écarte doucement le jour.
- Oui, c’est beau.
- Elles nous appellent mais n’oublie jamais rien de ce que tu laisses derrière toi.
La petite fille ne comprenait pas. Elle pleurait de plus belle. La veille avec son frère, ils étaient cachés dans l’armoire de la grosse horloge en bois. Le tic-tac s’était brusquement arrêté. Ils avaient eu très peur. Le tic-tac l’envahissait de nouveau. Assourdissant. Elle se tenait la tête. Le vent de la mer ne pouvait-il emporter ce bruit affreux ?
- Tu verras, ma fille, le temps va vite passer et nous reviendrons plus forts, plus riches.
La petite fille ne comprenait pas. Elle fixait la bouche de cet homme qu’elle aimait par-dessus tout.
Désormais elle aimerait les hommes. Tous les hommes. Elle avait décidé ça sur ce bateau en regardant la bouche de son papa lui parler.
- Tu verras, ce sera bien, je vais t’aider à apprendre cette nouvelle langue. Ce n’est pas difficile. On dit :
« Bonjour madame, merci madame, au revoir madame. » Pour monsieur, c’est la même chose.
La petite fille n’a toujours pas compris. Elle fixe le scintillement de l’autre rive. L’homme lui serre fort la main. Une voix résonne au fond de lui : « Ainsi donc, voici venu le temps du pays derrière l’horizon. »
L'Harmattan
5-7 rue de l’Ecole Polytechnique
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