NUIT D'ENCRE POUR LA FÉE DES ÉTOILES
Mon amie respire difficilement. Parfois on lui administre
quelque tourmente et soudain je la sens retomber dans sa vie.
Comme un phare éteint qu'une bourrasque aurait emporté
pour aller le déposer allumé de l'autre côté de l'île.
Mourir a toujours été un art. En fait, mourir peut bien s'avérer
la véritable essence de l'art, la ligne sombre sur canevas
ou papier donnant un sens à l'espace vain, au vide.
L'Univers lui accordera-t-il ce talent comme il lui a concédé
ses yeux d'ambre, ce chaud sourire. Son cœur se pressant
vers une noirceur qui toujours se tint à un doigt d'elle.
Mon amie est couchée sur un étroit promontoire
de silencieux hurlevents. Ce monde afin qu'un mystère se répète
lui a donné le jour; ce soir je sens son ventre immense
se contracter pour la pousser vers la nuit.
@ LEROUX Paul-Georges, Les Clefs du monde, Montréal,
Les Éditions d’art La Sauvagine, 1995,
FÉE DES ÉTOILES (Pseudonyme de Josée Yvon / poétesse / victime du / sida)
INFINITIF
S'endormir inerte sous un solstice d'hiver.
Se réveiller en pleine nuit et poser les yeux
Sur une constellation un peu plus brillante que les autres.
Sommeiller. Se réveiller de nouveau
de ressentir confusément quelque chose, quelque part
se déplacer pour l'éternité.
Se rendormir une fois de plus
et laisser le froid investir tendrement la nuque.
SIDDHARTA
Dans l'ombre d'une fougère
près de longs traits
d'une intense lumière
la terre ambre donne naissance à de l'eau
Quelques pierres pour résonner ce mystère
un filet d'argent
qui surtout s'égare
dans du vert
avant de devenir
beaucoup plus loin
bruissante rivière.
Mais quand je regarde à mes pieds,
mon reflet s'auréole
des vifs chatoiements solaires
comme s'il trouvait
ici même et pour toujours
de toute absence
la source heureuse.
© Paul-Georges Leroux, Les clefs du monde, 1995.