Johannes von Tepl, écrivain de Bohème, de langue allemande, né vers 1350 et décédé à Prague vers 1415 .
On ne connaît de cet auteur que son dialogue en prose, Le Laboureur de Bohème (1401). L'auteur, se disant « laboureur », car il se sert d'une plume en guise de charrue », intente un procès à la Mort. Celle-ci, en effet, vient de lui ravir son épouse. Aux accusations véhémentes du « laboureur », la Mort répond par l'ironie, en faisant appel à la raison du plaignant ou en l'exhortant à supporter l'inéluctable. Dieu enfin tranche : le laboureur, qui s'est bien battu, s'en tire avec les honneurs, mais la victoire revient à la Mort. Dans ce texte, on sent nettement les signes annonciateurs de la Renaissance. (Laroussefr)
Johannes von Tepl, Le Laboureur et la Mort, traduit du moyen haut-allemand par Dominique Pagnier, Paris, Van Dieren, 1996
«Tombeau élevé par Johannes von Tepl à la mémoire de sa femme Margarethe, morte en couches en 1400, ce texte apparaît à une époque de grands changements philosophiques et religieux, mais il reste pour le lecteur d'aujourd'hui, avant tout, une œuvre littéraire à part entière, que la traduction de Dominique Pagnier sert avec un profond respect. On ne connait pas avec certitude d'autres œuvres littéraires de von Tepl, greffier de la ville de Saaz, mais son Der Ackerman und der Tod aussi connu sous le titre de Der Ackerman aus Böhmen a connu de nombreuses publications dans sa langue originale ; on en compte, pour la seule première moitié du XVe siècle, 16 manuscrits et 17 éditions imprimées. Ce texte a fait également l'objet à toutes époques d'une grande quantité d'études philologiques et philosophiques. Von Tepl y oppose, sous la forme d'un dialogue philosophique entre le Laboureur et la Mort, deux conceptions fort différentes de la mort. Le Laboureur parle par le cœur et les sentiments de sa femme perdue, il relève l'Homme et la vie du Monde, en cela, il est l'expression de l'humanisme allemand naissant. La Mort argumente de froide raison, réexpose la conception médiévale de la vie terrestre vide de sens; elle exprime les positions d'un Innocent III (pape de 1198 à 1216) dans son De contemptu mundi sive de miseria conditionis humanæ (Du mépris du Monde ou de la misère de la condition humaine). Même l'utilisation du diable dans un argument nous reporte à ce concept antique que l'église catholique avait remis en vogue au XIIe siècle, le purgatoire ne «naît»-il pas au XIIIe siècle. La Mort donc se limite strictement aux conceptions de la mort enseignée par l'église catholique du Moyen âge, oubliant même parfois une notion fondamentale du christianisme, la rédemption par le sacrifice de Jésus, Fils de Dieu… et la Resurrection des morts…» (Éditions Van Dieren)
Extrait
Souvent ses propres dires condamnent un homme et surtout celui qui dit une chose et après une autre. Vous disiez tout à l'heure que Vous étiez quelque chose et pourtant rien, pas un esprit, que Vous étiez la fin de la vie et que tous les hommes sur terre Vous étaient soumis. Mais maintenant Vous dites que nous devons tous nous en aller, et que Vous, Maître de la Mort, restez ici seul maître. Deux paroles contradictoires ne peuvent être vraies en même temps. Devrions-nous tous quitter la vie et toute vie terrestre devrait-elle arriver à son terme, à considérer que Vous êtes, comme Vous le dites, la fin de la vie, je vois que s'il n'est point de vie, alors il n'y a ni mourir ni mort. Et dans ces conditions où irez-Vous, Maître de la Mort ? Au Ciel ? Vous ne pouvez y habiter car il n'est donné qu'aux bons esprits, et à ce que Vous dites, Vous n'êtes pas un esprit. Si donc, Vous n'avez plus rien à faire sur terre, et si la terre n'existe plus, alors il ne Vous reste qu'à aller tout droit en Enfer. Vous y gémirez sans fin. Et alors vivants et morts seront vengés de Vous. On ne saurait se fier à Vos paroles changeantes. Toutes les choses terrestres seraient-elles donc si mauvaises et créées de manière si lamentable et si imparfaite ? Depuis le début du monde, personne n'en a accusé le créateur éternel. Jusqu'alors Dieu a aimé vertu, abhorré malignité et châtié ou pardonné les péchés. Je sais qu'il fera toujours ainsi. Depuis ma jeunesse, j'ai lu, entendu et appris que Dieu a créé toutes choses terrestres. Vous dites que toutes vie et existence terrestres doivent avoir une fin. Pourtant Platon et d'autres maîtres en sagesse affirment qu'en toute chose, il y a fin de l'une et naissance d'une autre, que toutes les choses sont établies sur le principe de retour et que le cours terrestre et céleste de tout, en tant que passage d'un état à un autre, est éternel. Avec Vos discours indécis sur quoi on ne peut rien fonder, Vous Voulez me faire taire en m'intimidant. C'est pourquoi, Maître de la Mort, corrupteur que Vous êtes, j'en appelle à Dieu, mon Sauveur ! Afin qu'il Vous donne mauvais amen ! Le Laboureur, 31 ième chapitre)
Traduction anglaise: http://www.michaelhaldane.com/HusbandmanandDeath
Extrait
THE HUSBANDMAN. Chapter Three.
I am a Husbandman by name, my plough is of bird’s-clothing, and I live in the land of Bohemia. I will always be spiteful, inimical, adversarial to you: for horribly you have torn my 12th letter*, my hoard of joys, out of my alphabet; deplorably you have weeded the bright summer flower of my delights from the meadow of my heart; maliciously you have sundered me from the prop of my happiness, my chosen turtle-dove: you have committed irretrievable robbery on me!
Consider for yourself, if I rage, storm and cast charges at you with justice: through you I am robbed of a joyous existence, disinherited from the days of a good life, and divested of all bliss-bringing gain. I used to be bright and merry at every hour; all my days and nights were short and joyful, the one as full of delight, as full of bliss, as the other; my every year was a year of grace. Now I am told: Croak! Remain with dismal thoughts on a withered bough, in darkness and wilting, and howl incessantly! The wind drives me so, I am swimming the surge of the wild sea, the waves have won the upper hand, my anchor holds fast nowhere. Therefore I shall scream without ending: Death, you take my curse!