Philosophe allemand d’origine juive, né à Bonn en 1901. Il devint professeur de philosophie en cette ville en 1926. Il quitta l’Allemagne nazie en 1933 et, en 1934, il fut nommé professeur de philosophie à l’université de Barcelone. En 1936, invité à donner des cours à l’université de Santander, il fut surpris par la guerre civile. Établi en France, il s’engagea à la revue Esprit et joua un rôle important dans le mouvement du personnalisme de Mounier. Il se disait chrétien, sans adhérer officiellement à l’Église catholique avec laquelle il fut d’ailleurs en désaccord sur plusieurs points importants, notamment la morale familiale et le suicide. Arrêté par la Gestapo en mars 1943, il mourut en déportation au camp d’Oranienburg en 1944. Landsberg avoua à son ami, le philosophe Jean Lacroix, qu’il portait toujours sur lui un poison, qu’il était prêt à utiliser pour ne pas tomber entre les mains de la Gestapo. C’est durant l’été 1942 qu’il fut touché par la rencontre de la foi en Jésus-Christ et qu’il détruisit le poison. En cette même année, il écrit «Le problème moral du suicide», qui sera publié après sa mort dans la revue Esprit en 1946 et reproduit dans Essai sur l’expérience de la mort (Paris, Seuil, 1951). Cet article étudie de façon critique les arguments d’Augustin* et de Thomas d’Aquin* ainsi que ceux du stoïcisme* et du bouddhisme*, en montrant leur fécondité et leurs limites. Selon l’auteur, le suicide est une solution plausible du point de vue éthique. Mais lorsqu’on adhère au message nouveau du christianisme, il faut aller jusqu’à l’acceptation héroïque de la souffrance pour l’amour de Dieu. L’auteur entame pour ainsi dire un dialogue avec lui-même: «Tu ne dois pas te tuer, parce que tu ne dois pas jeter ta croix. […] Si le Christ, qui était innocent, a souffert pour les autres, et, comme le dit Pascal, a versé pour toi aussi une goutte de son sang, toi, pécheur, auras-tu le droit de refuser la souffrance?» (p. 146). Ce témoignage d’un «converti» assumant la souffrance et refusant la mort volontaire est très émouvant lorsqu’on pense aux atrocités dont il fut victime dans la captivité nazie jusqu’à sa mort. Malgré l’importance qu’il accorde au courage et à l’endurance, il estime que le fait de condamner les suicidés comme étant des lâches ressort d’une mentalité typiquement bourgeoise et ridicule. Comment pouvons-nous interpréter, écrit-il, comme une lâcheté la manière de mourir qu’ont choisie Caton*, Hannibal*, Brutus*, Mithridate* ou Sénèque*? Il y a certainement beaucoup plus de personnes qui ne se tuent pas parce qu’elles n’ont pas le courage de le faire qu’il y en a qui se suppriment par manque de courage.
Landsberg juge insuffisante l’argumentation d’Augustin selon laquelle le suicide est un homicide. Le «tu ne tueras point» ne prohibe pas tous les actes qui comportent comme conséquence voulue la mort d’un homme. Toute la tradition chrétienne admet deux grandes exceptions: la guerre juste et la peine de mort. Augustin le sait fort bien. C’est pourquoi il parle du meurtre en termes d’acte commis en vertu d’un «pouvoir personnel» et sans permission légale. On doit faire une distinction entre le suicide et le meurtre d’un autre. «Ce qui, à l’égard d’un autre, est un acte violemment hostile, ne peut pas l’être à l’égard de nous-même, quand c’est nous-même qui agissons et décidons. Dans beaucoup de cas, celui qui se tue n’a nullement l’intention de détruire sa personne, mais plutôt de la sauver» (p. 130). Landsberg estime qu’Augustin ne dit pas toute sa pensée. Le «brillant rhéteur, avocat, disciple direct de Cicéron*», s’adresse aux Romains, ses adversaires. Il leur sert un argument ad hominem, irréfutable et sans nuance. Il leur montre, par ailleurs, l’exemple de Regulus qui entre à Carthage pour sauvegarder la foi jurée avec la certitude de se faire tuer par les Carthaginois. Il oppose cet exemple à celui de Caton, qui fut tant exalté par son maître Cicéron.
Les raisons de Thomas d’Aquin ne le satisfont pas non plus. La première raison considère le suicide comme contraire à l’inclination naturelle de l’homme. Landsberg ne voit pas très bien «comment pourrait être contre la loi naturelle une chose qui se trouve pratiquée, acceptée, et souvent glorifiée, chez tous les peuples non chrétiens» (p. 133). Le suicide nous prive d’un bien qui est la vie, mais il n’est pas le bien le plus haut et ressemble plutôt à un mal dans beaucoup de cas. La vie humaine est un bien relatif dont on peut se libérer afin d’éviter un mal estimé plus grand, comme la perte de l’honneur ou de la liberté. La personne qui se donne volontairement la mort ne cherche pas à se faire du tort, elle se tue sans doute par un trop grand amour de soi. «L’acte du suicide n’exprime pas le désespoir, mais une espérance, peut-être folle et déviée, qui s’adresse à la grande région inconnue au-delà de la mort. J’oserai le paradoxe: l’homme se tue souvent parce qu’il ne peut et ne veut pas désespérer» (p. 135). En effet, «à son espoir déçu dans la vie, l’homme trouve un lieu imaginaire de l’autre côté de la tombe» (p. 134). Le deuxième argument, qui concerne l’appartenance de l’homme à la cité, peut être juste lorsqu’on déserte un devoir social important. Mais il ne faut pas généraliser. L’homme n’a pas demandé à naître dans une société qui engendre toutes sortes de misères matérielles et morales. Landsberg ne voit pas «pourquoi l’homme n’aurait pas le droit d’en sortir par la porte ultime, si la vie dans cette société a perdu tout son sens pour lui» (p. 136). Chez les moralistes chrétiens contemporains, l’argument social revient surtout sous la forme peu convaincante des devoirs à l’égard de la famille. La famille et la société, en général, se consolent vite du suicide d’un de leurs membres. Bien entendu, les personnes qui jouissent d’une vie familiale satisfaisante se tuent rarement. Mais, justement, si le suicide est fréquent, c’est parce que la famille comme d’ailleurs la société n’ont pas su répondre aux besoins et aux attentes. Le respect de la famille est un de ces principes «qui [sentent] de mille lieues la bourgeoisie» (p. 138). Ce type d’argument social lui paraît inspiré par une éthique communautariste mal placée. Or, la mort est une affaire intimement personnelle et les problèmes qui la concernent dépassent la vie sociale terrestre. Le troisième volet de l’argumentation semble, aux yeux de Landsberg, le plus pertinent, si l’on fait abstraction de la comparaison avec l’esclave. Le chrétien doit acquérir la liberté par l’adhésion amoureuse à la volonté de Dieu et par la participation aux souffrances du Christ et des martyrs.
Il est décevant que, vers la fin de son exposé, intellectuellement très riche, l’auteur reprenne trop rapidement à son compte l’interprétation psychologique de Stekel*. Le suicide devient ainsi «une fuite dans laquelle l’homme cherche à retrouver le Paradis perdu, au lieu de vouloir mériter le ciel». Il est «désir de l’abîme, de la mère, du retour» et donc une forme de «régression». «Le dieu, ou plutôt la déesse du suicide nous précipite au sein obscur de la mère. En ce sens, le suicide est un infantilisme» (p. 151). Paradoxalement, à la même page, il décrit le suicide très justement en tant qu’expérience d’impuissance: «l’échec de tous les autres moyens», une «convergence des malheurs qui détruisent, l’une après l’autre, les possibilités de vivre et aussi de lutter» (p. 151-152).
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