Hadewijch d’Anvers (vers 1200 - vers 1260), béguine (mulier religiosa - femme religieuse sans voeux) d'origine flamande. Écrivain mystique, elle est le premier auteur à rédiger ses œuvres spirituelles en moyen néerlandais (Diets), sa langue maternelle et reconnue comme langue littéraire autonome dans les Pays Bas du Sud. D'après ses écrits, elle maîtrisait également le latin et était familière avec la langue française.
«Hadewijch est une personnalité exceptionnelle. Au XIV° siècle, son influence sera décisive sur le grand maître de la doctrine mystique occidentale, Jan van Ruusbroec (1293-1381). Dans la société choisie de Groenendael, elle fut unanimement reconnue comme un «vrai maître». Ses écrits se répandirent rapidement, même hors des frontières des Pays-Bas. Il est étonnant que d'un strict point de vue historique et biographique, Hadewijch demeure une parfaite inconnue. Nous ne disposons d'aucune donnée précise sur sa vie. Il n'y a rien à dire sur ses origines, de sa descendance, ni de son domicile. Nous ne pouvons pas davantage établir avec précision où ni quand elle est née et est décédée. » (Paul Mommaers, Hadewijch d'Anvers, adaptée du néerlandais par Camille Jordens, Paris, Cerf, «Histoire», 1994, p. 16).
Hadewijch entend user de ses prérogatives (Visions, I, 291). Elle ne «renonce pas à saisir la grandeur de Dieu» et jamais ne doute que cette «grandeur de Dieu lui revient» (Lettres, IV, 42-45). La fierté est un de ses traits de caractère. S'il convient de satisfaire tout un chacun, il ne faut cependant pas «se diminuer soi-même» (Lettres, IV, 89-90). Elle conseille à ses compagnes: «Soyez toujours et à tous égards soumises, mais pas au point de devenir niaises et d'abdiquer face aux exigences de la vérité et de la justice [...]. En vérité, je vous dis:qui ne défend pas la vérité par souci de modestie, le paiera chèrement là [où il a démissionné]» (Lettres, XXII, 6-21).
Elle lègue à la postérité quatre ouvrages: les Visions, les Lettres, les Mélanges poétiques et les Poèmes strophiques.
«Dans un monde où la rudesse des moeurs se reflète jusque dans les rapports humains avec Dieu, la spiritualité d'Hadewijch donne aux relations avec Dieu une empreinte amoureuse. Die minne es al (l'amour est tout), écrit Hadewijch, dont les poèmes lyriques (minnelyriek) exaltent l'amour à la manière des troubadours ou des trouvères. Le chant des ménestrels idéalise la femme aimée, incarnation du raffinement des moeurs, jusqu'à la rendre inaccessible. L'amour du chevalier pour sa dame est désir infini jamais comblé, mais il porte en lui-même sa récompense. Les poèmes de Hadewijch en sont la sublimation et célèbrent la beauté et la bonté de Dieu, le Bien-aimé vers qui l'âme tend de toutes ses forces sans pouvoir l'atteindre. Ils lèvent le voile sur la mystérieuse quête de Dieu par sa dame, qui passe de la joie à la douleur, de l'attente à la déception, selon qu'elle sent la proximité de Dieu ou qu'elle subit l'épreuve de la distance divine comme un exil.» (Éric Volant,
La maison de l'éthique, Montréal, Liber, p.127)
Hadewijch écrit : « L’âme est un abîme sans fond en qui Dieu se suffit à lui-même, trouvant en elle en tout instant sa plénitude, tandis que pareillement elle se suffit en lui. Dieu pour l’âme est la voie de la
liberté*, vers ce fond de l’être divin que rien ne peut toucher, sinon le fond de l’âme. ». Elle tente de plonger dans «le Néant divin, ce Néant pur et nu ». Ce «rien» est un «tout» dans lequel le «moi» meurt pour renaître transformé.
«Hadewijch évoque aussi le temps douloureux de l'abandon du Bien-Aimé. Les
Poèmes strophiques sont l'expression d'une longue lutte avec une épreuve incompréhensible à l'âme aimante. [...] Confrontée à l'incompréhensible, l'amante semble parfois submergée par un sentiment d'horreur révulsif qui la fait s'écrier: «atroce est ma vie» (
Mi gruwelt dat ic leve). Elle osera comparer l'Amour divin, autrefois si généreux, à un scorpion «qui feint la beauté pour ensuite frapper d'autant plus fort». De désespoir elle s'exclame: «Si c'était possible, comme j'aimerais y mettre fin» (XXI, 50-54, 59). Dans ses
Lettres, elle décrit âprement sa vaine errance (
dolen): «Il a été envers moi plus cruel que n'importe quel diable. Les diables, eux, n'ont jamais pu m'empêcher de l'aimer ni de faire avancer la personne qu'il me confiait. Mais Lui m'a empêché [...] Et il me laisse errer hors de tout délice et sans discontinuer Il me laisse marcher, accablée sous le poids du défaut de quiétude amoureuse, et Il enténèbre mon désir de goûter à toutes les joies auxquelles j'aurais droit d'avoir part» (59-68).» (P. Mommaers,
op. cit., p. 10)
Sur la quatrième page de couverture de Hadewijch d'Anvers
, Écrits mystiques des Béguines, traduits du moyen-néerlandais par Fr. J.-B. P., Paris, Seuil, 1994, l'éditeur reproduit un texte, écrit à la main en 1978, de Michel de Certeau qui s'interroge: «Hadewijch d'Anvers chante, «ivre d'un vin qu'elle n'a pas bu». Son poème naît d'un rien. Il est la trace d'une perte. En cela, il ne se distingue pas de l'ivresse, absence de la chose. Quelle est donc cette ivresse poétique «sans cause», douleur du corps ouvrant sur la douceur d'un chant, retour de l'altérant dans l'écriture défaite?»
Chez Hadewijch, dans l'amour, la souffrance va de pair avec l'abondance, comme elle le révèle dans sa Lettre XVI: «Mais cette carence dans la jouissance/Est précisément la plus douce jouissance» (
Ende dat ghebreken van dien ghebrukene/Dat is dat suetste ghebruken»). À noter, le jeu de mot en moyen néerlandais
ghebreken (manquer) et
ghebruken (jouir). Ainsi que l'observe P. Mommaers, «Une telle finesse dans l'analyse du phénomène amoureux et de ses moments successifs témoigne d'une rare maîtrise.» (
op. cit., p. 11) «Elle possède la faculté de traduire le désir du Bien-aimé jusque dans son retentissement psychosomatique: "mon coeur, mes veines et tous mes membres tressautaient, frémissaient de convoitise." L'ardeur est si impétueuse qu'elle en devient délétère: "une telle fureur, un tel désir angoissant s'emparèrent de moi, qu'il me sembla que, faute de pouvoir satisfaire mon amant, je mourrais" (
Visions, VII, 3-9)
Bibliographie
Hadewijch d'Anvers,
Les visions, Ad Solem, 2000.
Hadewijch d'Anvers,
Les lettres (1220-1240). La perle de l'école rhéno-flamande , Éditions le Sarment
, 2002.
Hadewijch d'Anvers,
Écrits mystiques des Béguines, Seuil, «Points-Sagesses»,
1994.
Hadewijch d’Anvers,
Amour est tout, Téqui, 1984.
Louis Bouyer, «Hadewijch d'Anvers» , chap. I de
Figures mystiques féminines, Cerf. 1989.
Epiney-Burgard et Zum Brunn,
Femmes troubadours de dieu, Brépols, 1988.
Dieudonné Dufrasne, Libres et folles d’amour » Les béguines du Moyen Âge. Hadewijch d’Anvers, Mechtilde de Magdebourg, Marguerite de Porète, Bierges, Éd. Thomas Mols, 2007.
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