La « Fête des Morts » est une célébration annuelle, fondée sur la réunification symbolique des vivants avec les morts qui, à travers l'histoire et selon les cultures, prend une grande diversité de formes appartenant toutes à l'héritage commun de l'humanité qui, dès ses origines, a voué un culte à ses défunts.
En Occident, la Fête des Morts ou la «Fête des trépassés » est une célébration d'origine celtique qui, étendue ensuite aux peuples européens, a été réaménagée par les Églises chrétiennes depuis le XI° siècle sous le nom de « jour des Morts » dont la célébration est fixée au 2 novembre de chaque année. Au XIX° siècle, elle est devenue une fête civique se manifestant par des célébrations officielles aux monuments des morts, mais aussi une fête familiale consacrée à la visite aux cimetières. En raison de la proximité non seulement des dates, mais aussi des coutumes liées à ces fêtes une confusion s'est introduite entre la Toussaint et le jour des Morts, et plus récemment encore entre la Toussaint, célébrée le 1er novembre, le jour des Morts le 2 novembre et l'Halloween*, le 31 octobre.
Des articles de cette Encyclopédie sont consacrés au sens du culte des morts, aux espaces et rites funéraires* ainsi qu'à la fête des morts dans les diverses cultures. Dans les présentes notes, nous nous limitons au « jour des Morts » issu de la tradition occidentale et chrétienne.
Le culte des morts dans l'Antiquité gréco-romaine
Mircea Éliade et P. Couliano distingue le culte des ancêtres de celui des morts (Dictionnaire des religions, Paris, Presses-Pocket, 1990). « Chez les Grecs, le premier prend la forme du culte des héros, personnages extraordinaires, devenus semi-dieux, qui étaient l'objet d'un culte qui consistait en libations, sacrifices, concours athlétiques et qui était censé protéger les vivants et en particulier décupler la force militaire des cités. Quant aux morts « ordinaires », leur culte était surtout familial : ils étaient commémorés par des repas familiaux sur les tombeaux lors des anniversaires ou des fêtes., (Jean-Hugues Déchaux, Le souvenir des morts », PUF, 1997, p. 36)
Dans la Rome antique*, les feralia furent des fêtes annuelles célébrées en février, elles se passaient en plein air, car les sanctuaires étaient fermés et toute cérémonie était suspendue autre que la commémoration des mânes des défunts dont les tombes étaient jonchées de fleurs et de couronnes. On y joignait des épis, quelques grains de sel, du pain trempé dans du vin pur. Le reste de la journée s'écoulait en prières et en commémorations. La fête qui précède le jour des morts s'appela les caristia célébrées le 22 février et dont Ovide nous a laissé la description suivante :
« Après la visite aux tombeaux et aux proches qui ne sont plus, dit-il, il est doux de se tourner vers les vivants; après tant de pertes, il est doux de voir ce qui reste de notre sang et les progrès de notre descendance. Venez donc, coeurs innocents; mais loin, bien loin, le frère perfide, la mère cruelle à ses enfants, la marâtre qui hait sa bru, et ce fils qui calcule les jours de ses parents obstinés à vivre! Loin, celui dont le crime accroît la richesse et celle qui donne au laboureur des semences brûlées! Maintenant, offrez l'encens aux mânes de la famille; mettez à part sur le plateau des mets arrosés de libations, et que ce gage de piété reconnaissante nourrisse les lares qui résident dans l'enceinte de la maison! » Grâce à ce témoignage, on se rend compte de la proximité dans le temps et des liens étroits physiques et symboliques, en cours déjà dans la Rome antique, entre les fêtes des ancêtres (héros, « saints ») et des morts « ordinaires », entre les vivants et les morts.
De sa part, J.-H. Déchaux met en évidence deux fêtes des morts : les Parentalia (en février) et les Lemuria (en mai). « Lors des Parentalia, chaque famille s'occupait de ses morts en sacrifiant des animaux et en faisant des offrandes de fleurs et d'aliments sur les tombes. Pendant neuf jours, les morts revenaient sur terre et se repassaient de ces mets. Les Lemuria avaient pour centre le foyer : trois jours durant, les morts visitaient les maisons où ils avaient vécu. Le chef de famille prononçait alors des formules pour empêcher qu'ils entraînent avec eux quelques vivants dans la mort. En somme, le mort devait être rituellement reconduit dans son monde. S'il pouvait revenir périodiquement sur terre, il ne fallait pas qu'il y demeure (o.c., p. 36) ».
Le culte des morts dans la tradition celtique
Les Celtes célébraient, au début de la saison sombre de l'année, dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre, la fête de Samain (Samhain en Irlande et Samhuinn en Écosse) où le peuple des esprits envahissait le monde des vivants et venait dans les demeures des hommes qui lui offraient les derniers fruits de l’automne. Il y avait des déguisements et des vivres à profusion pour passer la nuit auprès des morts afin de s'attirer leurs bonnes grâces et de les dissuader de saccager les récoltes. Le feu sacré, allumé par les druides, honorait le dieu du Soleil et chassait les mauvais esprits. Chaque famille recevait une braise lui permettant d'allumer chez elle un nouveau feu, qu'elle devait maintenir jusqu'à l'automne suivant. A cette fête a succédé l’actuelle Toussaint. Ce furent, au Ve siècle, les moines évangélisateurs de l’Irlande, de la Grande-Bretagne et de la Gaule qui remplacèrent cette fête druidique par la Toussaint, suivie de la Fête des Morts.
(« Samain, le jour des morts et le voyage de l'âme dans le monde des morts »)
http://vivrevouivre.over-blog.com/article-samain-le-jour-des-morts-
et-le-voyage-de-l-ame-dans-le-monde-des-morts-37643645.html
Le culte des morts dans la tradition chrétienne
« L'association entre la mort et la mémoire prit rapidement une très grande extension dans le christianisme qui la développa sur la base du culte païen des ancêtres et des morts (J. Le Goff, Histoire et mémoire, Paris, Gallimard, 1988, p. 136) ».Autant il difficile de distinguer la Toussaint du jour des Morts , autant il est difficile de d'attribuer l'origine de cette fête à la tradition romaine ou celtique, à des coutumes anciennes populaires ou à un décret de l'institution impériale ou ecclésiastique.
Selon certains historiens, la Toussaint fut instituée en 835 par un décret de l'empereur Louis Le Pieux sur le conseil du pape Grégoire IV. Selon d'autres, de nombreuses communautés chrétiennes de l'Angleterre, de Gaule et de Germanie honoraient la fête du premier novembre dès avant le IX° siècle. Toussaint aurait été retenue en l'an 800, lors du concile de Riesbach et enregistrée en Gaule entre 830 et 860. Rome ne l'aurait adoptée qu'à partir des X° et XI° siècles. La fête des morts ou des trépassés fut inaugurée au XI° siècle par Odilon, abbé de Cluny, dans les monastères de l'Ordre des Bénédictins et s'est répandue ainsi dans toute l'Érurope. La célébration de cette fête est bien attestée à partir de 1030.
« D'après l'historien Jean-Claude Schmitt, la fête des morts a permis d'intensifier la memoria des défunts selon la formule des "suffrages pour les morts". Cela consistait à venir en aide aux trépassés en leur adressant des prières et des messes ou en faisant des aumônes aux pauvres, considérés comme des substituts des morts. Les suffrages étaient fondés sur une sorte d'échange avec les vivants: tant de suffrages en plus, c'étaient pour celui qui en bénéficiait tant de peines en moins dans l'au-delà. Plus que jamais, les rites "faisaient" les bons morts. L'Église médiévale n'hésitait d'ailleurs pas à s'appuyer sur la croyance aux revenants, alors très populaire, pour assurer la promotion de la formule des suffrages ( J.-H. Déchaux, o.c., p. 39) ».
Depuis la réforme protestante suivie de la contre-réforme catholique, le culte des morts s'individualise et se spiritualise. À la fin du XVIII° siècle, les esprits éclairés et laïques reprochaient à l'Église de ne s'intéresser qu'à l'âme et de négliger le corps et les tombeaux. Regrettant la piété de la Rome antique* pour les défunts, ils étendirent le culte des morts de l'individu ou la famille à la société civique. Les héros et les grands hommes seront désormais vénérés par l'État. La visite des cimetières deviendra une activité d'ordre publique et une commémoration des morts par la cité ou la patrie, comme le démontre l'adresse du conseil municipal de Paris, en date du 29 mai 1881, inspirée par l'idéologie du positivisme :
« Le culte des morts, ainsi que l'établissement de la tombe et des lieux de sépulture qui seul le caractérise vraiment, faisait partie des institutions mères propres à toute population civilisée; il faut admettre comme un principe politique fondamental que le cimetière, autant au moins que la maison commune, l'école ou le temple, est l'un des éléments intégrants de l'agrégation des familles et des municipalités et qu'il ne saurait y avoir par conséquent de cités sans cimetières (cité par J.-H. Déchault, o.c., p. 43) ».
En Europe, plus particulièrement en France, en Belgique et en Allemagne, à la Toussaint, fête nationale ou jour férié, on célèbre les Morts publiquement devant les monuments des Morts ou devant les tombeaux dans les cimetières. Depuis peu d'années, il semble y avoir une légère baisse des activités civiques ou familiales liées au culte des morts et aux espaces funéraires. Au Québec, jusqu'au Concile Vatican II, la Toussaint fut une fête obligatoire et le 2 novembre, jour de travail, l'assistance à la messe fut plus élevée que les jours de semaine ordinaires. Plusieurs personnes profitaient des 1er et 2 novembre pour visiter leurs tombes familiales. À cause du risque du froid hivernal, les paroisses organisèrent dans l'après-midi d'un dimanche du mois de septembre une cérémonie des morts au cimetière.
Avec un peu de recul historique
Pour conclure ces quelques notes sur le couple Toussaint-jour des Morts, nous nous référons à J.-H. Déchaux dont l'étude historique nous a été d'un grand secours et « fait bien apparaître que l'objectif de l'Église était de promouvoir la Toussaint dans une version autorisée et contrôlée par une liturgie ad hoc et de contenir les débordements [jugés] impies de la fête des morts. L'interprétation orthodoxe voit dans la Toussaint la « célébration des saints collectivement unis par le même amour du Christ et déjà associés à Lui dans une éternité bienheureuse, comme le seront, après le jugement dernier, les fidèles trépassés dont on fait mémoire le lendemain (M. Fournié) ». Pour ce faire, il a fallu christianiser un vieux fonds païen qui se figure les rapports des vivants et des morts sur le mode de l'échange. Près de dix siècles après l'introduction de la fête des trépassés, il ne semble pas que cette politique visant à cléricaliser la mort ait tout à fait réussie. Si la fête des morts est incontestablement devenue populaire et pris la forme d'un culte des tombeaux, c'est en s'alimentant à un terreau culturel que l'Église n'est jamais parvenue à éradiquer ou à cléricaliser (J.-H. Déchaux, o.c.,p. 40 »). Ce qui ressort aussi de l'étude de la fête des morts au Mexique* d'origine précolombienne.
Bibliographie
J.C. Schmitt, Les vivants et les morts dans la société médiévale, Paris, Gallimard, 1994.
J. Le Goff, L'invention du purgatoire, Paris, Gallimard, 1981.
M. Fournié, Les prêtres du purgatoire (XIV°-XV° siècles), Études rurales, janvier-juin, 1987, p. 93-121.