L'Encyclopédie sur la mort


Esthétique de l'angoisse

Benjamin Delmotte, Esthétique de l'angoisse. Le Memento mori comme thème esthétique, Paris, PUF, « Lignes d'art, », 2010, 121 pages.

Memento mori (« souviens-toi que tu vas mourir ») : la sagesse lapidaire de la maxime latine est ici envisagée comme une invitation à parcourir l'histoire de l'art pour y déceler l'oeuvre de l'angoisse. Car il est une esthétique de l'angoisse de mort, qui ne recouvre pas tout à fait celle de la mort et son iconologie macabre. La maxime doit donc être réécoutée pour y entendre le rapport au monde, et notamment la distance, qu'implique l'angoisse. La formule devient alors concept opératoire pour envisager la façon dont l'angoisse travaille l'oeuvre d'art, par-delà toute analyse simplement iconologique. Qu'est-ce que donc qu'une oeuvre angoissante? En quoi une peinture, par exemple, peut-elle constituer un rappel cinglant de la certitude de la mort? À charge, pour le phénoménologie, d'envisager la fascination ambiguë pour la mort dont témoigne l'histoire de l'art, et de montrer comment le tableau peut faire voir ce qui s'entend dans la maxime « memento mori » (quatrième page de la couverture).

Les Incipit

Avant-propos

C'est une expérience de spectateur qui motive cet essai. Devant des oeuvres souvent très différentes, relevant d'époques et de courants très variés, une même étrange distance s'instaurait. Une distance qui n'était pas le signe d'un désintérêt mais au contraire la condition d'une fascination. C'était l'impression de coïncider exactement avec l'artiste ou le personnage, de saisir l'évidence de plus dans une forme de retrait énigmatique : un sentiment d'éloignement, un temps en suspens, une stupéfaction à la fois rêveuse et effrayée (o.c., p. 7).

Introduction

Memento mori : l'expression latine est bien connue, largement utilisée et commentée; elle n'a pourtant pas perdu la sécheresse claquante de son énonciation. Ces mots si souvent entendus continuent à oeuvrer silencieusement dans la conscience de celui à qui ils sont répétés, ils se prolongent dans un murmure intérieur, un écho béat aux résonances parfois maladives où l'effroi le dispute à la stupéfaction (o.c., p. 9)

Chapitre I

L'expression memento mori jouit d'une grande notoriété historique : elle était la devise légendaire de Marc Aurèle, de Jean de Dinteville (dont Holbein a peint un portrait célèbre), et était prononcée lors des triomphes des généraux romains : Wolfgang Beech évoque en effet le rôle de l'esclave censé répéter cette formule à l'oreille du général pendant qu'il défilait sous les acclamations de la foule. L'usage littéral de cette expression n'est cependant peut-être pas avéré dans ces circonstances. Il semble que la formule utilisée était bien plutôt : respice post te, hominem te esse memento [regarde derrière toi, souviens-toi que tu es un homme] (o.c., p. 25)

Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-10