Le principe du respect de la dignité humaine vise «à protéger les intérêts multiples et interdépendants de la personne — allant de son intégrité corporelle à son intégrité psychologique ou culturelle. […] Le respect de la dignité humaine fait également intervenir les principes du respect de la vie privée et du respect des renseignements personnels. Dans beaucoup de cultures, la protection de la vie privée et de la confidentialité des données privées est vue comme essentielle à la dignité humaine. Les normes de vie privée et de confidentialité protègent l’accès aux renseignements personnels ainsi que leurs contrôle et diffusion. De telles règles permettent de protéger l’intégrité psychologique et mentale et s’accordent aux valeurs qui sous-tendent la vie privée, la confidentialité des données et l’anonymat» (Éthique de la recherche avec des êtres humains, Énoncé de politique des conseils de recherche en médecine, en sciences naturelles et en génie, en sciences humaines du Canada, août 1998, chap. i, 5-6).
Les mots «confiance» et «confidentialité» sont dérivés des termes latins cum (avec) et fides (foi). L’adverbe, avec, désigne un lien de communauté entre celui qui fait une confidence et celui qui la reçoit. Les deux personnes sont liées par un lien éthique de confiance réciproque. L’une doit pouvoir compter sur la probité de l’autre. Le confident a des raisons de croire que celui qui dit une vérité le concernant dit vrai et est sincère. Le mot foi désigne une croyance, une acceptation accompagnée à la fois d’incertitude et d’espoir. Thomas Hobbes (1588-1679) définit la confiance comme «la foi que nous avons en celui de qui nous attendons ou nous espérons du bien». Celui qui confie un secret croit à la bonne volonté de la personne qui le reçoit et espère que celle-ci exercera son pouvoir avec discrétion et intelligence. La personne qui fait une confidence se rend fragile et vulnérable, elle consent à devenir dépendante de la compétence et de la bienveillance de l’autre. Elle n’a aucune obligation morale de révéler des données secrètes sur elle-même. Si elle le fait, elle le fait librement. Ce geste n’est pourtant pas arbitraire, si elle estime que la personne (ou l’institution) à qui elle donne sa confiance est digne de foi ou fiable. Cependant, elle est censée savoir qu’elle prend un risque, car la possibilité existe que le confident manque de loyauté et utilise les données confidentielles à l’encontre de ses intérêts, s’acquitte mal de la confiance que l’on a mise en lui, gère mal la confidence qui lui est faite par négligence ou par imprudence, par incompétence ou par malveillance (A. C. Baier, «Confiance», dans M. Canto-Sperber (dir.), Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, p. 283-288).
À l’égard du suicide, le principe de la confidentialité entre en jeu dans trois situations: 1. Prévention et confidentialité: dans les services de prévention du suicide et dans les lignes téléphoniques*, les intervenants sont tenus de respecter la confidentialité des renseignements personnels qu’ils reçoivent. Cependant, le principe du respect de la confidentialité a ses limites. Il n’est pas un absolu. D’abord, la personne concernée peut toujours, de manière libre et éclairée, consentir à la divulgation de certaines données confidentielles. Parfois un confident est obligé de divulguer à une personne autorisée une information secrète pour éviter qu’un crime* soit commis ou que des dommages soient faits à un tiers, par exemple, lorsqu’une personne nourrit le projet de supprimer ses enfants avant de s’enlever la vie. Parfois, le bris de la confidentialité peut se faire dans l’intérêt de la personne suicidaire elle-même. Mais alors l’intervenant doit, dans la mesure du possible, demander l’autorisation à la personne qui sollicite de l’aide, que ce soit celui qui a des pensées ou des désirs suicidaires ou des proches. Dans toutes les démarches qu’il juge nécessaires, il essaie de respecter le plus possible l’anonymat des personnes concernées. S’il est heureux que les pratiques individuelles des professionnels et des bénévoles puissent compter sur une équipe et la collégialité, le droit à la confidentialité doit être maintenu et, si possible, repensé à partir de la modification des principes. 2. La confidentialité et le dossier médical: la transmission par télécopieur ou par messagerie informatique du dossier médical dans lequel figurent souvent des données autres que strictement médicales pose des problèmes. On y trouve souvent des renseignements relatifs à l’état psychique de la personne concernée, à ses antécédents familiaux, à ses habitudes de vie, à sa vie sexuelle, à la toxicomanie* et à la tentative de suicide*, ou encore à son dossier judiciaire (violence conjugale, maltraitance d’un enfant, inceste). On assiste ainsi à la mise en réseau, par la voie de la télémédecine, des données personnelles du domaine non seulement de la santé, mais aussi d’ordre psychosocial. Les autoroutes de l’information mettent en danger la vie privée. Il nous faudra donc une «infoéthique» ou une déontologie informatique qui garantit le droit à la confidentialité. Les grands principes qui fondent le droit à la confidentialité demeurent toujours très actuels: la dignité humaine, qui sous-tend le droit au respect de la vie privée, le principe de bienfaisance, qui veille aux effets bénéfiques de la gestion des données confidentielles pour le client et qui le protège contre un mauvais usage de ces données. Mais il y a aussi le principe d’autodétermination, qui signifie que le patient a le droit de connaître les données personnelles enregistrées sur son compte et de savoir qui les utilise, de rectifier ces données au besoin, de s’opposer à leur utilisation pour un but autre que des soins d’ordre thérapeutique ou psychothérapeutique. Finalement, il y a le principe de solidarité, qui fonde le droit de tout citoyen à la protection et qui exige que l’on porte une attention particulière aux individus et aux groupes les plus vulnérables de la société, parmi lesquels figurent les personnes suicidaires. 3. La confidentialité et la recherche: des recherches empiriques faites sur le suicide, ses causes ou ses corrélations, impliquent des enquêtes, des questionnaires et la collecte de données auprès des groupes particuliers de la population (adolescents, autochtones*, militaires, etc.), auprès des personnes qui ont fait une tentative de suicide ou auprès des familles dont un membre s’est suicidé. L’énoncé de politique des trois conseils sub ventionnaires canadiens sur l’Éthique de la rec herche est d’avis que «la recherche a permis d’enrichir considérablement le savoir et d’améliorer la qualité de vie et il serait difficile, voire impossible, de mener à bien d’importants projets de recherche sociétaux sans avoir accès à des renseignements personnels. En conséquence, l’intérêt public justifie parfois que l’on autorise les chercheurs à avoir accès à des renseignements personnels afin d’approfondir les connaissances et d’atteindre divers objectifs sociaux, telle la création de programmes de santé publique adéquats» (chap. 3, 1). Les chercheurs qui souhaitent interroger un sujet en vue d’obtenir des renseignements personnels pouvant mener à une identification ultérieure feront approuver, par un comité d’éthique de la recherche (cer), le protocole de leurs entrevues et s’assureront d’obtenir, par écrit, le consentement libre et éclairé des sujets interrogés.