Le chômage est une des manifestations et des sources de l’exclusion sociale. Et pourtant toute situation de chômage, surtout lorsqu’elle est indemnisée, même le chômage de longue durée, ne conduit pas automatiquement à l’exclusion, encore moins au suicide. Pour que le chômage devienne un chômage d’exclusion, il faut la présence simultanée de plusieurs facteurs. Des chômeurs de longue durée deviennent des exclus par manque de scolarité ou de formation professionnelle, par la perte ou l’inadaptation des qualifications acquises, par la perte de statut social. Ces manques ou ces pertes, qui sont des formes de deuil*, s’accompagnent de comportements observés fréquemment chez des personnes affectées par le non-emploi: la réduction de l’intensité de leur effort pour chercher un travail rémunéré, le découragement et la perte de confiance en soi. En outre, l’absence d’autres revenus dans le ménage, l’instabilité familiale, l’isolement (par exemple, les mères célibataires ou les femmes seules à gérer une famille), la précarité du logement, l’appartenance à une zone géographique marquée par la pénurie, augmentent les risques d’exclusion et, éventuellement, de suicide. Le fardeau peut devenir trop lourd à porter pour l’individu qui, par sa mort choisie, ne fait que confirmer sa non-existence (E. Volant, «Le chômage d’exclusion», Religiologiques, no 13, 1996, p. 125-141). On peut objecter que, aussi longtemps que l’on souffre, on existe. C’est vrai, mais si l’on n’existe plus socialement, si l’on n’est plus soutenu par une communauté humaine signifiante, si l’on ne peut plus compter que sur ses propres forces, le défi de persister dans la vie peut devenir trop exigeant sinon impossible à relever.
Si le travail peut être une source de joie et d’épanouissement, il peut aussi se révéler à l’origine d’un mal-être profond. Conflits sociaux et relation au travail sont souvent cités comme facteurs de risque de la crise suicidaire. À l’heure de la mondialisation, des tragédies sociales commencent par la faillite d’une société, son rachat par un groupe suivi du licenciement d’une bonne partie du personnel qui, faute d’une véritable politique de formation professionnelle, ne pourra se reconvertir. Dans l’absence de toute perspective d'avenir, des cadres ou des ouvriers, anciens ou nouveaux, sombrent parfois dans un sentiment de profonde impuissance et de révolte qui se manifeste par des actes de violence à l’extérieur ou retournée vers soi par des tentatives de suicide et des suicides accomplis. Le couple et la famille, en difficulté financière ou affective, ne peuvent plus jouer leur fonction de communauté de soutien ou d’identification. Il importe donc de responsabiliser les entrepreneurs. En cas de cession de société, d’exiger la coresponsabilité du vendeur pendant une durée minimale de deux ans afin qu’il assume ses devoirs. Actuellement, les dédommagements des préjudices sont dérisoires et le suivi médical des salariés est inexistant. Il faut faciliter le dialogue par la mise en place de nouveaux interlocuteurs. Hormis les collègues de travail qui sont les premiers confidents, le médecin permettra de repérer des dépressions et des souffrances psychiques importantes avant qu’elles ne soient irréversibles et ne conduisent au passage à l’acte. Une équipe de soutien psychologique, rassemblant médecins et psychologues rémunérés par la société, soutiendra et accompagnera les salariés par la mise en place d’un espace d’écoute et veillera à ce qu’il n’y ait pas de dérapages. Il convient de rendre la formation professionnelle obligatoire. Cette stratégie devrait permettre aux salariés de se réorienter vers une autre activité suite à la perte d’emploi. L’évolution professionnelle et la promotion au sein d’une même entreprise s’imposent (Christian Larose, membre du Conseil économique et secrétaire général de la fédération CGT Textile, l’Union nationale de prévention du suicide (UNPS)
Croissance économique, chômage et suicide
«La croissance économique favorise globalement la baisse du suicide mais la réorganisation permanente de l'économie joue en sens inverse. C'est pourquoi, même dans les périodes de croissance, les taux de suicide se maintiennent à des niveaux très élevés. Car, dans les nouvelles fractures sociales, le chômage joue un rôle de premier plan. En un siècle, avec l'accélération des Trentes glorieuses, s'est constituée dans les sociétés les plus riches une notion nouvelle de l'emploi. L'investissement individuel dans la réussite scolaire doit s'accomplir dans la qualification reconnue, elle-même sanctionnée par un emploi relativement stable. Il s'agit là d'une forme centrale de la formation de l'identité personnelle et de l'estime de soi. D'où l'épreuve du chômage, d'où les relations si étroites entre le chômage et le taux du suicide chez les jeunes*.» (C. Baudelot et R. Establet, «Lecture sociologique du suicide» dans P. Courtet, dir,, Suicides et Tentatives du suicide, Flammarion, 2010, p. 214-217)