L'Encyclopédie sur la mort


Brault Jacques

Brault JacquesJacques Brault, né à Montréal en 1933, poète, romancier et essayiste, est « sans doute celui qui a été le plus loin dans l'expérience et l'apprentissage de la mort dans le rapport à l'autre et à soi-même. Son récit Agonie (Montréal, Boréal Express, 1985), tout entier placé sous le signe d'une mort désirée, et surtout reconnue comme inaugurale («Mourir, acte initial plutôt que terminal») se termine ainsi:

Il se mourait (le vagabond). Moi aussi. Chacun à sa manière. Tous deux ensemble. L'espace d'une minute, nous avons formé un lieu de connivence, un pays. Une promesse? Non. Nous sommes tous des exilés. Nous ne rentrerons pas au pays. Il n'y a pas, il n'y a jamais eu de pays, il n'y aura jamais de pays [...] Le lieu n'est que d'angoisse, une étroitesse, un resserrement d'être. La lutte se donne des raisons d'y croire, d'espérer que la vie triomphera. Mais il est sur son banc, défait, décomposé. Il n'attendait rien d'autre. Je n'irai pas au bureau. Ni sur sa tombe, si on lui en donne une. Je n'irai pas. Je mourrai sans mourir.

(Jean-Pierre Denis, «Claude Gauvreau* du tombeau du père au langage exploréen», Voix et Images, vol. XVIII, n° 3 (54), printemps 1993, note 17, p. 492)

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«On l'aura deviné, l'oeuvre de Jacques Brault n'est pas dominé par l'optimisme. Le thème du mal-né y est omniprésent. Le narrateur d'Agonie dit: "je mourrai sans mourir" et le clochard qu'il observe est "un petit homme tué de naissance"!

Avec un aussi lamentable modèle paternel, comment un enfant peut-il devenir un homme? C'est la question que soulève le poète:

Père [...]
Que moi ton fils pâle et sale aussi du même hiver je recommence tes erreurs brèves en ce pays austère
Et tu achèves un peu plus et tu t'inclines rompu aux genoux et tu cries ton dernier cri.

[...]

Quant au pays, c'est de lui que semble venir tout le mal puisqu'il est identifié au père : «Notre histoire anonyme et désespérée comme la mort du père». Tel père, tel fils dit le proverbe. On pourrait ajouter: tel pays tel homme.

Quand je n'étais pas mort
j'allais de bon matin
balayer les ravines d'ombre
maintenant poussière de poussière
je prends soin de mes ombres.

[...] L'obsession de la mort est poussée à l'extrême dans ce poème: «Ne m'approchez pas je dors et cette mort glissée entre mes bras ne la fuyez pas, elle dort».

[...]

Jacques Brault se décrit sous la forme d'un arbre, mais c'est un arbre d'automne dépouillé de ses ramures:

Sur les prés d'une pluie terreuse, je suis revenu voir les feuilles mortes et cette fois je suis resté arbre parmi les autres.

Dans un poème où il parle du printemps, le poète se dit inapte à ce recommencement de la vie: «j'ai mal de cette vie nouvelle / revenir de la mort n'est plus possible».

Plus le poète avance en âge et plus la mort devient le seul thème de ses recueils. [...] Au bout de son voyage, le vagabond se demande: «où et comment t'arracher du mourir vieux corps troubadour». Il «marche monotone», au bras des ombres, et reprend le leitmotiv de toute une vie: «Tu n'as plus qu'à t'enfanter toi-même fiancé à nulle part».

Au terme de cette oeuvre, que reste-t-il de ce poète sans pays, sans amour, sans horizon? Il reste le miracle de la poésie, ainsi qu'il nous le révèle dans l'un de ses beaux essais: «J'ignore ce qu'est la poésie, d'où elle vient, où elle va, j'ignore jusqu'à son nom, son visage. Mais je connais à en mourir son absence. Une journée sans poésie fait entendre en nous et entre nous le grand huhulement muet de l'inespoir.»

(Pierre Châtillon, «La mémoire humiliée de Jacques Brault» dans Le mal-né: seize études sur la poésie québécoise, Québec, Presses de l'université du Québec, 2004, p. 143-154)

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Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-13

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