Directeur médical de l’hôpital Notre-Dame de Montréal pendant trente-six ans, le docteur Boutin, peu avant de se donner la mort, a fait parvenir au journal montréalais La Presse une lettre* dont voici des extraits qui rapportent certaines raisons de son suicide et qui révèlent l’esprit dans lequel il a accompli son geste.
«À l’approche de mes quatre-vingt-trois ans, je prends de plus en plus conscience de mon vieillissement. J’ai atteint l’âge fatidique à partir duquel, dans mes antécédents familiaux, sont apparus les premiers signes de la vieillesse. Ma mémoire perd de son assurance; ma vision baisse constamment et me rend la lecture et l’écriture de plus en plus pénibles; bientôt, sans doute, on me retirera mon permis de conduire; les pertes d’équilibre et les étourdissements deviennent de plus en plus fréquents et m’apparaissent comme des signes avant-coureurs d’un accident cérébro-vasculaire possible, si fréquent chez mes ascendants. Je ne crains nullement la mort. Bien au contraire, elle m’apparaît comme une amie qui me libérera des contraintes inévitables de la vieillesse. Cependant, j’appréhende avec une certaine anxiété la perte de mon autonomie* et la perspective d’une éventuelle dégénérescence, qui feraient de moi un fardeau pour les miens et la société. Comme le dit Sénèque*: “Ce n’est pas la durée de la vie qui importe, c’est sa qualité.”»
Le 26 janvier 1995, Bernard Keating, professeur d’éthique de la faculté de théologie de l’université Laval, commente cette lettre dans ses réflexions qui ont pour titre «La mort en différé» *. Tout en respectant les raisons du médecin, l’auteur met en question «l’affirmation unilatérale de l’autonomie* [qui] est loin de nous préparer à assumer la solidarité humaine sans laquelle l’autonomie* n’est qu’un mot vide. La fragilité congénitale de l’humain fait en sorte qu’il ne peut être autonome qu’avec les autres et pour les autres.» En revanche, nous estimons que J. R. Boutin n’a pas perdu le sens et le souci de la communauté, à laquelle il lui répugne d’être un fardeau.
* Extrait de l'article de Bernard Keating
«Nous sommes responsables des conséquences qu'ont, sur les autres, nos revendications de droits. L'amour, c'est se faire responsables des autres.»
En décembre dernier, les médias ont fait leurs manchettes du suicide du Dr J. Raphaël Boutin, directeur médical de l'Hôpital Notre-Dame de Montréal pendant 36 ans. Le journal Le Soleil reproduisait même en première page le message qui résumait la lettre de suicide publiée en page trois sous le titre de «Dernier message». Une brève citation du Dr Boutin accompagnait d'ailleurs la manchette: «La vieillesse est une maladie incurable...»
La lecture de la lettre du docteur Boutin est émouvante. Qui peut rester indifférent face à ce message, si centré sur l'essentiel:«L'élément majeur du bonheur dans la vie c'est l'amour. Les êtres les plus heureux sont ceux qui ont consacré leur vie à l'amour»? Le docteur Boutin s'est estimé comblé par la vie. Son message me donne à croire qu'il a comblé d'amour ceux et celles qui ont été en contact avec lui.
Mais le dernier message du docteur Boutin ne se résume pas simplement à cette profession de foi dans le rôle central de l'amour. Il inclut aussi une défense du suicide assisté et de l'euthanasie. L'argumentation est limpide, cohérente. Le professeur d'éthique que je suis y voit une pièce majeure à verser au dossier. Un document en quelque sorte exemplaire pour comprendre les convictions et les raisons qui sous-tendent la position favorable à l'euthanasie et au suicide assisté. Rarement on les a vues exprimées de façon si succincte et si claire. » (26 janvier 1995)
Texte intégral:
http://www.scom.ulaval.ca/Au.fil.des.evenements/1995/32/011.html