Qui suis-je? ils me voient
Sortir de ma cellule
Avec la sérénité tranquille et forte
D'un maître qui sort de chez lui.
Qui suis~je ? Ils me voient
Parler à mes gardiens
Avec la liberté cordiale et claire
D'un chef qui leur commande.
Qui suis-je? Ils me voient encore.
Porter les jours de malheur
Avec l'impassibilité souriante et fière
D'un vainqueur habitué à vaincre.
Et moi, que vois-je? Rien que faiblesse méprisable et
triste ...
Qui suis-je donc? L'image qu'ils me tendent ?
Ou celle que me renvoie le miroir de mon seul savoir?
Impatient, angoissé, malade, tel un oiseau en cage,
Cherchant de l'air comme quelqu'un qu'on étrangle,
Appelant des couleurs, des fleurs, des chants d'oiseaux,
Assoiffé d'une parole ou d'une présence enfin humaines,
Attendant fébrilement quelque prodige,
Tremblant d'impuissance pour ceux dont une distance infinie me sépare,
Fatigué et vide à ne plus pouvoir ni prier, ni penser, ni agir,
Et prêt à tout laisser dans un vertige de lassitude?
Qui suis-je? Lequel de ces deux masques de moi-même?
L'un aujourd'hui, l'autre demain?
Ou tous les deux dans le même instant? Mensonge aux
autres,
Et pour moi ce miroir de faiblesse douloureuse et vile?
Ou semblable encore à l'armée battue
Qui recule en désordre alors que la victoire est déjà remportée?
Qui suis-je? 0 dérision d'un monologue amer.
Qu'importe, ô Dieu, puisque tu sais que je suis tien!
été 1944.
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LA MORT DE MOÏSE (1)
«Puis L'Éternel lui fit contempler tout le pays» (Deut. 34, 1)
Tu me donnes la mort sur la haute montagne
Loin de la bassesse des hommes de la plaine,
La mort du capitaine, dont le libre regard sonde le large
Après avoir mené son peuple à la bataille,
La mort dont les confins obscurs s'illuminent déjà
Des feux des temps nouveaux.
Et si désormais la nuit funèbre m'environne,
De loin je vois pourtant ton salut accompli.
Terre sainte, j'ai pu te contempler
Belle et glorieuse comme une fiancée,
Virginale en ta robe de noce éclatante
La grâce précieuse est ta parure.
Laisse mes yeux trop de fois déçus
Aspirer ta douceur et ta suavité.
Laisse-moi, avant que mes forces ne défaillent,
Ah! boire une fois encore aux fleuves de la joie.
Repos de Dieu, tu viens sur les fidèles
Comme un soir de fête immense.
août-septembre 1944.
(1) Extraits.