L'Encyclopédie sur la mort


Bertrand Claudine

« Née à Montréal, Claudine Bertrand a fait des études de lettres à l'UQAM et elle est professeure de littérature au niveau collégial. Elle collabore à de nombreuses revues littéraires dès les années 1970, avant de fonder en 1981 Arcade, revue consacrée à l'écriture des femmes, qu'elle a dirigée pendant 25 ans. Récompensée par plusieurs prix pour ses activités dans le domaine de l'écriture des femmes et pour ses recueils dont le prix Tristan-Tzara pour Le corps en tête en 2001 et le prix international Saint-Denys-Garneau pour L'Énigme du futur en 2002. Elle a codirigé le projet La poésie prend le métro et animé de nombreux événements poétiques ici comme ailleurs. Auteure d'anthologies et de livres d'art parus en France, elle a publié une quinzaine de recueils de poèmes depuis 1983. En 2010, Claudine Bertrand a été lauréate du Grand prix du Salon international des poètes francophones 2010 au Bénin, pour Passion Afrique ainsi que pour l'ensemble de son oeuvre. Figure marquante de la poésie québécoise, elle continue de sensibiliser divers publics à la poésie et à la littérature (L'Hexagone) ».

Claudine Bertrand, Autour de l'obscur, Montréal, L'Hexagone, 2008, 71 pages

Autour de l’obscur est un titre très suggestif. Les poèmes de ce recueil sont comme comme des petites pierres taillées dans le diamant. Ce sont des compositions de phrases dont chacune se lit comme un élément d’un récit de vie. Ce sont des constructions de mots qui évoquent une idée, une image, un doute ou une interrogation. Un enchaînement de mots qui révèle et insinue, dévoile et approche la mort d’une façon délicatement sensible. Des brefs récits ouvre la voie à « vision de qui nous serons » (p.9), de qui nous sommes et de qui nous avons été en tant comme vivants et mortels.

La vie et la mort sont là, omniprésentes, mais voilées dans un clair-obscur qui nous interpelle. « Autant de questions, nulle certitude » (p. 10), mais qui engendrent le doute. Elles sont là sous la forme du feu qui se consume, comme une « voix de braise ». La vie est là dans les mots qui « virent et voltent », émergent et sombrent, la mort se cache dans l’opacité et l’énigme, dans l’amuïssement et l’amnésie, le chaos et le souffle court, dans le silence et les « dialectes imprononcés » (p. 14), dans le « bonheur honteux à vouloir écrire », « au goût de la langue inachevée » (p 36)

Le temps est là et donne la cadence de la durée, des jours qui perdurent, le mouvement du va et vient des choses et des êtres, dans l’anticipation « de ce qu’ils seront devant la fin, de ce qu’ils seront ce qui est déjà ». Plus on avance dans le recueil, la mort montre davantage sa présence. « Chaque mort sa stridence .... Comme l’orpheline en deuil de soi » (p. 37).

Ce recueil est un bel hommage d'une amie à une autre, décédée, qu'elle a pu suivre de près dans son cheminement vers la mort. Les poèmes évoquent, dans des mots toujours discrets, des parcelles du profil, de la figure et de l'esprit de cette personne bien-aimée. L'auteure nous donne le goût de la connaître mieux (E.V.).

POSTFACE

Auteur d'une vingtaine de recueils de poésie publiés soit au Québec, soit en France,animatrice de revues poétiques sur papier ou sur Internet, Claudine Bertrand avec Autour de l'obscur, fait appel à sa riche expérience pour nous donner un recueil dédié à l'écriture poétique elle-même. Qu'on ne s'y méprenne pas : il n'y a rien d'abstrait ou d'académique dans son propos. Poète du corps, de l'amour, de la nature, Claudine Bertrand ne peut concevoir l'art du poète que comme à la fois un travail sur les mots et les rythmes, et une recherche sur l'énigme de notre vie, de notre mort. Recherche, hélas, sans nulle réponse définitive : ce recueil, dédiée à une chère amie morte, le dit assez par son titre. C'est seulement « autour de l'obscur » que nous pouvons espérer nous situer, parvenant « à une trame/ Parfois une transe » : un début d'explication, ou une vision.

En effet, la poésie peut « dévoiler » certains aspects du monde. Elle peut « rendre lumière au moirage » par le jeu des mots qui « virent et voltent »; elle peut être aussi une « étoile » et même une « constellation » d'étoiles. Le poète est celui qui sait « profaner de fatum » par son élan musical, qui l'élève « à volte-faîte» et le fait aussi entrer au creux du passé. Sans doute « Ne se corrigent / Ni le corps / Ni les jeux brisés // En eux portent/ une ombre / Comme leurs os ». Le poète n'en est pas moins emporté comme par une mer; il « Avale une bouffée du ciel ». Même menace par l'énigme, il sent « Tout compte fait [l'] issue tourmentée ». Oui, un poète vit dans l'insurrection, de la débâcle à l' « Implosion / D'infini ».

Recherche qui ne connaît pas de terme : « Une page de plus / Et c'est enfin / L'In'achèvement ». Mais comme cette « Langue pour se taire », belle définition de la poésie par opposition à la prose rhétorique, permet, et elle seule, de sentir la vie courir dans notre corps! Ces poèmes en vers brefs sont parcourus d'allitérations (« brise et bruine »), d'alliances de mots qui soudain deviennent les expressions toutes faites et les rendent savoureuses ( « Libre comme l'art », « À son corps dépendant », « Les yeux en chamade »). Ils mettent en oeuvre une poésie fortement charnelle, « L'irrrationnel au cou », « Fièvre aux lèvres ». « Chaque voyelle / Sous-cutanée / Scelle le précis » : voilà un livre qui par lui-même est une preuve sensuelle de l'exercice poétique tel que l'entend Claudine Bertrand. On le lit avec bonheur comme une poésie de l'art poétique » (Marie-Claire Bancquart, o.c.,p. 66).

 

POÈMES

Cloches sifflets sirènes
Jambes qui fléchissent
Effleurant l'herbe à fugue
L'allation de vertige

Près de la clairière
Au chant occulté
C'est elle qui s'étire
En serrant la pénombre
De tout son être

Avale une bouffée de ciel

(o.c., p.40)

*****

En toute la cruauté
Que l'on tait
Dans l'oreller
De l'insomiaque 

Désormais se prendre
La tête en ses ramages

Une page de plus
Et c'est enfin
L'inachèvement

(o.c., p. 56)

*****

Abrégé d'astres
Langue pour se taire

Qu'avons-nous su
De cette vie
Morte en elle

Longtemp réfléchir
Fuire l'endroit
Envers le vide
Ici même

Raconter tout

(o.c., p. 61)

*****

Date de création:2013-01-18 | Date de modification:2013-01-20

Notes

Publié avec l'autorisation bienveillante de Claudine Bertrand pour la publication des poèmes et de Marie-Claire Bancquart pour la publication de la Postface.