Sociologue et journaliste français (1880-1961), professeur à la Sorbonne et à l'École pratique des hautes études. Dans Le suicide et la morale (1922), un des grands classiques de l’histoire* des diverses morales du suicide, l’auteur distingue entre une morale simple, qui condamne indistinctement tous les suicides, et une morale nuancée, qui les juge sur les raisons qui ont conduit au geste. L’origine de ces deux morales se trouve «dans la société romaine»; «la première [est] servile et populaire, la seconde [est le] privilège d’une élite cultivée et éprise de liberté*». La première condamne le suicide, la seconde l’approuve. «La morale simple condamne tous les suicides en principe et dans tous les cas […] une morale nuancée, plus souple, distingue entre les cas et va de l’horreur au blâme et à la désapprobation, de la désapprobation à la pitié, de la pitié à l’excuse, à l’approbation, à l’admiration» (p. 23). Dans la morale contemporaine, il n’y a pas une doctrine qui condamne le suicide et une doctrine qui l’approuve. Il serait faux de réduire le conflit entre ces deux morales à une lutte sectaire opposant la pensée simple des catholiques à celle plus nuancée de leurs adversaires. Ces deux doctrines divisent le monde de la pensée sans que l’on puisse ranger leurs partisans en deux camps bien définis au point de vue religieux, philosophique ou politique. La plupart des moralistes condamnent le suicide pour les arguments suivants: 1. celui qui se tue fait tort à la société; 2. le suicide est une faiblesse, une solution de facilité, une lâcheté; 3. le suicide est une violation de nos devoirs envers Dieu; 4. le suicide est une cruauté envers soi-même; 5. le suicide est un acte contraire à la nature; 6. le suicide va à l’encontre d’un principe très cher au sens commun et estimé intangible; 7. la réprobation sociale du suicide s’est accrue dans les sociétés modernes à cause de l’importance que celles-ci accordent à la dignité de la personne humaine; 8. le suicide constitue un danger permanent, car celui qui est résolu à se tuer n’hésitera pas, pour un motif futile, à attenter à la vie de ses semblables; 9. le suicide provient de l’incapacité à relativiser les choses. Mais de tous les arguments contre le suicide, il n’y en a pas un seul qui n’ait été réfuté par quelque moraliste contemporain. Certains moralistes expriment nettement l’idée que les suicides ne se ressemblent pas et que l’appréciation morale doit varier selon la particularité des situations.
Dans la deuxième édition de La morale du suicide, Paris, L'Harmattan, «Thanatologie», 2007, 2 vol., François-André Isambert termine sa Préface ainsi:
«Il y a, aujourd'hui, un fait médical qui amène à poser le problème moral du suicide d'une nouvelle manière. C'est celui des techniques permettant de prolonger la vie en suppléant aux fonctions vitales par des procédures, voire des organes artificiels. Dans la mesure où ces procédures sont compatibles avec un état de dégradation psychiques avancé ou avec des souffrances extrêmes, leur application pose un problème aigu qui est celui de l'acharnement thérapeutique. La question est alors inversée. En effet, il s'agit alors de savoir si une vie humaine peut - ou doit - être prolongée. Mais «prolongée» au-delà de quel terme? [...] On voit alors que la Morale - ou si on veut signifier une exigence supérieure - n'en a pas fini avec le suicide par une simple complaisance ou une interdiction, mais que l'ouverture d'une liberté* de choisir sa mort ouvre en même temps la porte à une réflexion sur l'affrontement des peurs et des douleurs physiques et morales, pour soi-même et pour ceux qui peuvent être amenés à partager notre décision, voire même accompagner jusqu'au terme et soutenir notre énergie.(19) Une morale du suicide demande l'exploration de tous ces plans, ce pourquoi la thèse d'Albert Bayet est non seulement un acte de courage, mais encore un très bon point de départ et un répertoire irremplaçable.» (p.IX-X)
Notes
19. M. Zala, Chronique d'une mort volontaire annoncée. L'expérience des proches dans le cadre de l'assistance au suicide, Fribourg, Academic Press Fribourg, «Lecture du social», 2005.