Xavier Emmanuelli, Au seuil de l'éternité, Albin Michel, 2010, 228 p.
L'auteur affirme qu'il a «pris la plume au seuil d'une immense crise». C'est de sa mort qu'il s'agit. Ce n'est pas pour lui ni pour les siens qu'il écrit. Il emprunte à saint François d'Assise la formule tirée du Cantique des créatures: «louer le Seigneur pour notre Soeur la Mort corporelle à qui nul homme vivant peut échapper». Tout en racontant sa vie et en révélant ses pensées d'ordre philosophique, religieux ou écologique, il nous entretient de sa Compagne la Mort qu'il a tant fréquentée. Il conçoit sa vie et sa profession en termes de performance. Et sa propre mort?
Incipit
J'ai désormais dépassé l'âge de mon père. Il n'est pas arrivé jusqu'à ses soixante-dix ans, il lui a manqué treize jours. Dans cette mesure, moi, son fils, j'ai été plus performant que lui. (op. cit., p. 9)
Extrait
3. Dans l'intimité de la mort.
Le médecin a le droit de pénétrer dans l'extrême intimité des êtres, quand ils sont au bord de leur destinée, en grave danger ou en grande souffrance. Les corps s'expriment et se débattent dans les soubresauts de la douleur ou de l'agonie. Dans ces rencontres, il n'y a pas de surface sociale, ni de palabres, ni de gestes pour se protéger de l'intrusion et respecter la pudeur.
Pendant des années, je me suis trouvé ainsi aux côtés des mourants. J'étais là, dans leur proximité, mais je ne comprenais pas que notre rencontre était aussi d'ordre métaphysique. Ils partageaient leurs moments ultimes, et moi, je m'enfermais dans ma logique, dans ma science, dans mon arsenal d'instruments, pour courir après un organisme qui se défaisait sous mes yeux. Je voulais ne me fixer que sur les sursauts de la vie qui s'accrochait de toutes ses forces. Je n'avais pour moi que mon avoir, ma technique et ce que j'appelais «mon éthique», sans voir, sans comprendre que ces luttes d'agonie étaient l'expression même de la condition humaine dans son refus de l'anéantissement. (op. cit., p. 34-35)
